▪ Afin de stimuler le prêt et de relancer l’économie, la Banque centrale européenne a récemment annoncé qu’elle pourrait prendre des mesures plus drastiques. Parmi les outils envisagés se trouvent les taux d’intérêt négatifs. Ce qui signifie que la BCE ferait payer les banques sur des réserves détenues à la banque centrale.
C’est un plan de relance bien étrange, construit sur des principes erronés concernant les prêts des banques. Et cela ne fonctionnera pas.
Le problème n’est pas un manque de motivation de la part des banques. Le problème, c’est le manque d’emprunteurs volontaires et qualifiés |
Ce que la BCE doit comprendre, c’est que le problème n’est pas un manque de motivation de la part des banques. Le problème, c’est le manque d’emprunteurs volontaires et qualifiés.
Il existe un mythe persistant selon lequel les banques sont « assises » sur des excès de réserves, et qu’il faut, d’une manière ou d’une autre, les motiver à prêter.
Sauf qu’il y a là un problème : les banques ne prêtent pas ces réserves au niveau macro. Elles ne le peuvent pas (nous y reviendrons dans un instant).
Simplement pour vous montrer que je ne suis pas en train d’attaquer des moulins à vent, voici un extrait d’un éditorial récent dans le Wall Street Journal :
« Les dirigeants de la Banque centrale européenne ont signalé le 25 mars qu’elles étaient prêtes à prendre des mesures bien plus agressives pour faire baisser les taux d’emprunt des entreprises privées. Cela inclut des taux d’intérêt négatifs — ce qui signifie que les banques devraient payer pour garder leurs réserves à la BCE –, ce qui, en théorie, encouragerait les banques à prêter des fonds actuellement parqués à la banque centrale« .
(Nous avons ajouté les caractères gras).
Les auteurs de cet article sont Benn Steil et Dinah Walker. Steil, selon le Journal est un « directeur d’économie internationale au Conseil des relations étrangères (CRE) », en plus d’être auteur. Walker est « analyste au CRE ». On peut penser que ce sont des gens bien informés. Pourtant, ils croient que les banques prêtent leurs excédents de réserves détenus à la banque centrale.
▪ Les prêts n’ont rien à voir à l’affaire !
Un autre exemple nous provient de mon rédacteur financier préféré, James Grant, dont j’admire le travail et que je lis religieusement. Dans le dernier numéro de sa lettre, le 21 mars, on trouve ceci sur la situation américaine :
« Soit le QE est inflationniste, soit il ne l’est pas. Les banques américaines sont assises sur 2 500 milliards de dollars d’excédents de réserve. Si elles devaient choisir de mobiliser ces montants à la pleine mesure de leurs critères de 10% de réserves, elles pourraient émettre 25 000 milliards de dollars de nouveaux prêts« .
(Là encore, nous avons rajouté les caractères gras).
Les banques pourraient émettre 25 000 milliards de dollars de nouveaux prêts qu’elles aient ces excédents de réserve ou pas — en admettant qu’elles aient des emprunteurs volontaires et qualifiés.
Les banques ne prêtent pas leurs excédents de réserves. Les banques créent de la devise (les dépôts bancaires) quand elles prêtent |
C’est parce que les banques ne prêtent pas leurs excédents de réserves. Les banques créent de la devise (les dépôts bancaires) quand elles prêtent. Il existe un autre moyen pour le système bancaire d’obtenir des dépôts : les déficits gouvernementaux. Quand le gouvernement dépense plus qu’il n’encaisse, il crédite les dépôts bancaires. La compensation de ces dépôts, ce sont les réserves (détenues à la banque centrale). Je m’explique…
Pour que les réserves baissent au niveau macro, il faut l’une des conditions suivantes :
– La banque centrale vend des actifs (l’inverse du QE)
– Le gouvernement enregistre un surplus (encaisse plus qu’il ne dépense)
– Le désir du public de détenir du cash augmente
C’est tout. Aucun prêt n’entre en ligne de compte.
▪ Résumé en deux équations
J’ai cherché comment expliquer tout ça en termes très simples. Difficile à faire sans théories boiteuses, calculs compliqués ou diagrammes obscurs.
Essayons avec un simple bilan de la banque central. Cette identité comptable éclaircit trois points précis :
Actifs = réserves + liquidités en circulation + dépôts gouvernementaux
Si vous aimez les mathématiques, réduisez les réserves et vous verrez que vous avez trois manières (ou une combinaison) de maintenir l’équilibre de l’équation. Par exemple, réduisez les réserves et compensez en réduisant les actifs (c’est-à-dire vendez les bons du Trésor détenus par la banque centrale). A nouveau, pas de prêt en jeu.
Maintenant, regardez un bilan ultra-simple pour le système bancaire dans son ensemble, avec les actifs à gauche :
Réserves + prêts + détentions obligataires = dépôts + valeur
De sorte que lorsque le système bancaire fait un prêt, il crée aussi un dépôt. Chacun est parfaitement compensé. Point à la ligne. Pas d’utilisation des réserves.
Lorsque le gouvernement fait un dépôt dans le système bancaire, où est la compensation pour maintenir l’équilibre de l’équation ? Elle se trouve dans les réserves à la banque centrale. Elles grimpent.
Les liens entre QE et prêts sont loin d’être étroits |
Le QE a pour but de réduire les taux d’intérêt. Mais vous pouvez désormais voir que les liens entre QE et prêts sont loin d’être étroits. Peut-être qu’à la marge, une baisse des taux pousse un emprunteur à contracter un prêt qu’il n’aurait pas pris autrement. On peut en débattre, mais le fait que les banques ne prêtent pas leurs excédents de réserves au niveau macro est indiscutable.
J’espère avoir réussi à vous démontrer la folie qu’il y a à taxer les réserves ou à tenter de pousser les banques à prêter leurs réserves. Elles ne le peuvent pas. Ce n’est pas possible au niveau macro. En fait, le système bancaire dans son ensemble n’a que peu de contrôle sur son niveau de réserves. C’est déterminé en grande partie par la banque centrale. Si cette dernière veut siphonner l’excédent de réserves, un moyen d’y parvenir serait d’inverser le QE (vendre les titres du Trésor).
Vous pouvez également constater que le QE n’injecte pas vraiment d’argent dans l’économie. Malgré toutes les discussions sur ses effets inflationnistes, ce n’est pas le cas dans la mesure où il n’est qu’un échange de dépôts bancaire contre des titres du Trésor avec un rendement plus élevé.