La Chronique Agora

La BCE de connivence avec la Fed dans la guerre des devises

▪ Il est de ces rares séances sur les marchés financiers où tout semble devenir limpide, jusqu’aux plus surprenants paradoxes. La journée de vendredi l’a parfaitement illustré à Wall Street, où les investisseurs se sont rués sur les actions comme des morts de faim.

Ils ont fait preuve du même appétit que si les indices américains avaient perdu 7% ou 8% lors des précédentes séances — offrant une occasion unique de rafler une large sélection de titres complètement bradés.

Mais ce sont précisément les titres les plus survendus — notamment les parapétrolières — qui ont continué de couler à pic tandis que les pharmas et biotechs affichant un PER entre 25 et 50 figuraient en tête de liste des programmes d’achat. N’oublions pas non plus l’incontournable « super-levier » du Nasdaq — c’est-à-dire Apple, qui revient à 3% de ses meilleurs niveaux du début de l’automne.

Ceci confirme la corrélation inverse entre le pétrole et les indices américain depuis des mois… Pourtant vendredi dernier, comble de bonheur, le dollar prolongeait le spectaculaire plongeon survenu la veille (-3% à 1,089/euro). Ainsi, vendredi dernier, Wall Street a bénéficié d’une rare combinaison quasi-idéale de chute de l’or noir et du billet vert.

Les valeurs pétrolières ont tellement perdu de terrain depuis un an qu’elles ne pèsent plus grand’chose au sein du S&P 500

Les valeurs pétrolières ont tellement perdu de terrain depuis un an qu’elles ne pèsent plus grand’chose au sein du S&P 500. Même un repli moyen de 4% à 5% ne suffit plus à faire basculer la tendance dans le rouge, contrairement au scénario observé à la même époque en 2014.

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Symétriquement, même en cas de rebond façon trampoline (et les parapétrolières ont d’autant plus d’élan qu’elles partent de très loin), cela ne suffirait pas à alimenter un rally haussier d’ici le 18 décembre prochain.

Autrement dit, si les sherpas de Wall Street ont l’intention de propulser les principaux indices américains vers leurs sommets annuels et historiques, il restera plus efficace de « bourriner » sur les AAA (Alphabet, Amazon, Apple) puis les grosses biotechs… sachant qu’Apple pèse maintenant autant à lui seul que l’ensemble des titres du secteur parapétrolier cotés sur le S&P.

Et ne doutez pas qu’à moins de 15 jours de l’ultime « Journée des quatre sorcières » du 18 décembre, la gestion de la liquidité va être monopolisée par les mathématiciens.

▪ Des milliards attendus
Puisque tout est affaire de flux, il va falloir aller les chercher là où la BCE ne les injectera pas. Les marchés avaient en effet cru qu’une rallonge de 10 ou 15 milliards d’euros leur avait été promise le 22 octobre dernier et ils avaient intégré au moins 10 milliards de plus dans leurs calculs.

En ce qui concerne les 360 milliards d’euros supplémentaires qui seront imprimés entre septembre 2016 et mars 2017, cela fait longtemps que les marchés ont déjà pris en compte cette perspective (et pourquoi pas septembre 2017) ; c’est donc pour eux une « non information ».

La petite nouveauté provient de l’extension des instruments éligibles aux rachats mensuels de la BCE : les obligations émises par des collectivités locales en font désormais partie.

Actuellement, les 60 milliards d’euros épongés chaque mois sur le marché secondaire se décomposent comme suit : 44,5 milliards de bons du Trésor + 13,8 milliards d’obligations sécurisées + 1,7 milliards d’ABS (Asset-Backed Securities… typiquement des dérivés d’emprunts hypothécaires).

L’élargissement consenti par la BCE est d’abord dicté par le constat que l’écrasement de la courbe des taux — fruit d’une gestion stalinienne de la valeur des dettes d’Etat — a si bien réussi qu’il existe de moins en moins d’instruments offrant une rémunération positive des acheteurs.

La BCE ne peut pas, pour des raisons évidentes, racheter des bons du Trésor offrant un rendement négatif

La BCE ne peut pas, pour des raisons évidentes, racheter des bons du Trésor offrant un rendement négatif (c’est le cas de pratiquement la moitié du stock émis chaque mois). Cela équivaudrait en effet à payer les Etats pour qu’ils s’endettent encore plus avant.

Toutefois, cela revient également à priver le prêteur de la juste rémunération du risque, au prétexte avoué que si le marché faisait le prix, le système financier exploserait. Ce constat date de juillet 2012 ; Draghi avait annoncé la couleur à la veille de la cérémonie des Jeux olympiques de Londres en affirmant qu’il sauverait l’euro « à n’importe quel prix » — ce que tout le monde avait traduit par « des rachats massifs et sauvages de dettes souveraines en détresse via la mise en oeuvre d’un QE ».

A l’époque, nous étions nombreux à nous être gaussés — et moi le premier — de cette déclaration tonitruante : sa seule chance de succès était d’anéantir le marché en fixant lui-même le prix de ces mêmes emprunts d’Etat, ce qui n’a aucun sens dans une économie de marché.

L’Allemagne s’était de surcroît juré d’empêcher le recours au QE afin d’éviter que l’euro devienne un dollar ou un yen bis… destiné à perdre inexorablement de sa valeur au fil des décennies, dans le cadre d’une guerre des devises éternelle et sans vainqueurs mais faisant des centaines de millions de perdants — les épargnants — plus une victime collatérale : l’investissement dans l’économie réelle.

▪ Une trêve qui arrange tout le monde
Le marché a donc été aboli ; c’est bien la BCE qui fixe seule les prix depuis trois ans. C’est aussi elle qui décide qui doit être élu ou battu (ou doit se coucher), et finalement qui doit vivre ou mourir. Les Grecs en savent quelque chose depuis qu’ils ne sont plus fournis qu’au compte-goutte en médicaments… selon que l’aide européenne est versée à temps ou gelée dans l’attente de nouvelles mesures d’austérité.

Ce n’est pas tant le truquage délibéré et permanent de la valeur des actifs obligataires par les banques centrales qui alimente la bulle boursière, ceci dit. C’est surtout l’expansion de la liquidité — c’est-à-dire la possibilité de prendre des leviers de plus en plus énormes, colossaux, démesurés, afin d’empêcher une implosion de la structure des prix.

C’est la hausse d’hier qui finance celle de demain… et non pas les profits, ni les rendements, ce qui est une évidence indiscutée depuis trois ans de stagnation du résultat des entreprises, hors rachats de titres et versement de dividendes financés à crédit.

Et ce que vient de faire la BCE, c’est déjouer un pari massif sur l’expansion de la liquidité. Ce n’est pas une faute ni une erreur de communication… c’est un scénario « impensable ». C’est LE tabou absolu !

Mario Draghi n’a donc pu s’y risquer. Cela signifie donc qu’il a simplement orchestré une impasse — au sens que les bridgeurs connaissent : différer la mobilisation d’un atout maître et le réserver pour un coup décisif. Cela le temps que Janet Yellen effectue le tour de vis promis depuis un an dans des conditions « confortables », c’est-à-dire avec un dollar qui ne crève pas tous les plafonds.

Ensuite… eh bien, la guerre des devises reprendra à grands coups de QE là où la BCE l’avait laissée le 3 décembre. Le billet vert recommencera sa course vers la parité 1/1 avec l’euro… interdisant à la Fed de relever plus avant ses taux, pour le plus grand bénéfice de Wall Street.

Et si le scénario n’est pas celui-là, pour résumer la situation d’une brève formule, en ce qui concerne le CAC 40, l’EuroStoxx 50 ou l’Eurofirst 300, ce sera game over.

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