▪ L’Europe est dans la panade. Cela fait les gros titres de toute la presse économique, et comme nous l’avions démontré dans notre Chronique d’hier, c’est une excellente raison d’éluder le sujet pour les médias grand public.
Quand les marchés sont au bord de la crise de nerfs, il n’est pas de meilleur moyen de leur donner raison que de faire paniquer le citoyen lambda.
Dans le cas du bank run — qui devient une des expressions les plus « taggées » (comprenez recherchées) sur Google ces derniers jours — nous sommes confrontés à l’archétype du phénomène auto-réalisateur.
Il a été parfaitement résumé par l’ex-patron de la Banque Centrale d’Angleterre (Bank of England) : « si vous devez paniquer, soyez le premier ».
▪ Va-t-il falloir conserver ses billets sous un matelas ?
Sous-entendu, si vous n’avez pas compris qu’il fallait convertir dans l’urgence votre compte en banque en liasses de billets bien réels (ou en pièces d’or), c’est déjà trop tard pour vous. Votre banque a probablement déjà fermé ses guichets face à l’afflux des épargnants venus retirer du cash… et les distributeurs automatiques sont vides depuis la nuit précédente.
Le plus difficile, c’est de déterminer lorsque c’est le moment de paniquer. C’est typiquement lorsqu’un ministre de l’Economie annonce que son pays n’a besoin de recourir à aucune aide et que les dépôts bancaires sont garantis par le gouvernement. A ce moment-là, chacun sait qu’il n’a plus un sou en caisse et que le refinancement sur les marchés atteint un coût prohibitif.
Techniquement, lorsqu’un pays en récession doit payer plus de 6,5% pour séduire des créanciers (des kamikazes, diront certains), la catastrophe n’est plus très loin.
Surveillons ce qui se passera en Espagne jeudi alors qu’une émission de 2,5milliards d’euros de bonos est inscrite au calendrier.
▪ Les marchés attendent un signal fort pour être rassurés
Si la BCE a un message rassurant à faire passer de mercredi, c’est le moment de le délivrer avec force conviction et un large sourire. Mais il n’est pas certain que les marchés se contenteront de celui de Mario Draghi car ils attendent un « signal fort », et si possible très concret, comme la reprise des achats — même indirects — de dette de pays en difficulté.
Sans le feu vert d’Angela Merkel et du Bundestag, cette dernière éventualité a peu de chances de se concrétiser. A moins que la BCE parvienne à démontrer aux autorités allemandes que c’est cela ou le chaos, avant même les législatives grecques.
Tout le monde a bien compris que la chancelière joue la montre, depuis l’automne 2009 et le surgissement de la crise grecque.
▪ Les dettes espagnoles et grecques sont des bombes à retardement pour la Zone euro
Les marchés savent bien depuis 2008 que les créances douteuses des banques espagnoles sont la bombe à retardement (à 350 milliards d’euros) qui menace de faire exploser l’Eurozone.
C’est pourquoi Bruxelles, Berlin, la Troïka, la BCE, le FMI tentent de contenir le souffle du pétard à corbeau grec. Pour ce faire, ils y vont à grands coups de restructuration bidon d’une dette sans valeur et de LTRO ces six derniers mois. Le but est d’éviter que les démineurs ne commettent un faux mouvement en tentant de désamorcer le mécanisme de mise à feu de l’énorme pain de TNT ibérique.
La plupart des artificiers qui s’affairent autour du terrifiant engin se doutent que l’horloge a été programmée pour le lundi 18 juin (au lendemain des législatives grecques).
Il pourrait y avoir un appel ce jour-là… et ce pourrait être un appel au secours de la finance mondiale qui redoute de subir une dévastation bien pire qu’un Lehman bis.
▪ Un canot de sauvetage pour toute l’Eurozone
Nous ne sommes donc pas très surpris d’entendre circuler dans les salles de marché la rumeur de la mise au point d’un plan de sauvetage conçu pour l’ensemble du secteur bancaire européen… alors que chacun sait que ce sont surtout les banques espagnoles qui sont en difficulté.
Elles ne sont pas les seules puisque la banque centrale chypriote appelle à l’aide — mais les deux milliards d’euros qu’elle réclame passent pour des pièces jaunes. Le Portugal, en grande difficulté, se voit accorder un satisfecit (équivalent à la promesse d’un gros chèque) de la part de Bruxelles et de Francfort.
▪ C’est encore une rumeur qui a permis aux marchés de tenir
ll ne faut cependant pas se cacher que nous venons d’échapper à un lundi noir. Cela s’est tenu à pas grand-chose, juste une rumeur jugée suffisamment crédible, contrairement aux intox qui ont provoqué le rebond artificiel des indices mercredi midi et jeudi soir.
La journée avait très mal démarré en Asie avec -1,7% à Tokyo, -2% à Hong Kong, -2,8% à Séoul et Shanghai, -3% à Taïwan. Les places européennes menaçaient de chuter de 1,5% en moyenne à une heure de leur réouverture. Les vendeurs se sont toutefois mis à douter d’un triomphe trop facile lorsque la chancelière allemande a exhorté le gouvernement de M. Rajoy de recourir au mécanisme du FESF (et futur MES qui entrera en vigueur début juillet).
Mais le MES a-t-il les moyens de ses ambitions ? Comment sera-t-il doté de la puissance de feu nécessaire ? Sous quel délai ? Avec une capacité de prêts garantie par qui ?
Et sa mise en oeuvre suffira-t-elle à relancer la croissance en Europe, par la magie d’une dissipation des plus grandes angoisses du moment ?
▪ Le mur des BRIC chancelle
Les marchés ont découvert lundi matin que le PIB du Brésil n’avait progressé que de 0,2% au premier trimestre 2012. Nous voici très loin des 7,5% de croissance de 2010 et des 3% de 2011 !
Avec la chute de pratiquement 2% du PMI non manufacturier en Chine au premier trimestre, il apparaît évident que le découplage des émergents par rapport aux pays du G7 est une pure légende. La croissance a brutalement ralenti un peu partout dans le monde ces derniers mois… en particulier en Inde, avec un rythme passé de 6,5% à 5,3%.
Dans un tel contexte, il ne faut pas s’étonner que les rebonds des indices boursiers restent fragiles. Le CAC 40, qui gagnait hier midi jusqu’à 1,2% (à 2 985 points), n’a pas réussi à garder le contact avec la zone des 2 970 points (ex-plancher du 18 mai 2012 et mi-décembre 2011) après l’ouverture de Wall Street. La place a terminé sur un gain symbolique de 0,15%.
▪ Wall Street victime de la cassure de supports techniques
Les marchés américains demeurent victimes d’un flux vendeur depuis la cassure (vendredi) d’importants supports techniques.
Après avoir rouvert en hausse de 0,3% à 0,6%, les indices US sont repassés dans le rouge après un quart d’heure de cotation et perdaient de 0,5% à 0,7% à la mi-séance.
Il est vrai que le recul des commandes à l’industrie américaine (-0,6%) au mois de mai ne fait que confirmer toute une série de signaux conjoncturels négatifs aux Etats-Unis.
Les investisseurs ont fini par considérer que le rebond de l’euro au-dessus des 1,25 face au dollar soulageait un peu les pressions sur les valeurs exportatrices. Cela a alimenté une petite vague de rachats techniques en fin de séance, laquelle permet au S&P 500 de clôturer sur une note de stabilité… tout comme le CAC 40.
Tous deux ont donc convergé vers l’équilibre mais le S&P s’est redressé de 0,5% au cours de la dernière demi-heure tandis que l’indice parisien a suivi la trajectoire inverse.
Nous serions tenté de conclure que cela arrangeait beaucoup de monde que les indices boursiers n’aillent nulle part. Ce serait cependant faire bien peu de cas des 3% de hausse de Madrid et du repli de 1,2% de Francfort.
Mais comme l’affirment nombre de commentateurs, là aussi nous assistons à un phénomène de convergence des extrêmes.
Il est effectivement difficile de contester le principe des vases communicants (ou d’arbitrage systématique) entre ces deux places boursières depuis l’automne dernier.
▪ L’addition svp, et tout le monde partage la note !
Le spectaculaire rebond des banques espagnoles lundi nous avertit simplement que les marchés s’attendent à ce que l’Europe, le FMI, la BCE, des fonds souverains asiatiques, des family office de monarchies pétrolières, sortent leur carnet de chèques pour participer au sauvetage des banques ibériques — sinon ce sera la cata.
Cela se produira peut-être… mais pas avant que vous-même ou votre voisin de palier sortiez les vôtres.
Car c’est bien chacun d’entre nous qui garantissons en dernier ressort tous les plans de la dernière chance pour sauver le monde — comprenez les banques qui se sont fourvoyées sur les prêts immobiliers et leurs multiples dérivés plus ou moins délétères.