La Chronique Agora

Les barbares ont passé les portes

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L’explosion de la dette et les licenciements qui se multiplient accable une classe moyenne américaine déjà exsangue. Un exemple historique nous montre où cela pourrait finir.

« La classe moyenne delenda est » (la classe moyenne doit être détruite).

Dans nos prochaines chroniques, nous nous intéresserons aux quartiers résidentiels de Baltimore… au sort des petits agriculteurs sous l’Empire romain… et à ce que signifie le « bon sens », entre autres.

Tous ces thèmes se mélangent pour donner naissance à un spectacle extraordinaire et magnifique, un peu comme si Autant en emporte le vent rencontrait Stalingrad : la destruction de la classe moyenne et des sociétés qui dépendent d’elles. CNBC :

« L’utilisation des cartes de crédit explose et la dette des ménages augmente à un rythme que l’on n’avait plus vu depuis 15 ans, annonce un rapport de la Fed.

Le montant total de la dette a bondi de 351 Mds$ sur la période de juillet à septembre. Il s’agit de la plus forte hausse trimestrielle nominale depuis 2007 et cela porte la dette collective des ménages américains à un nouveau record de 16 500 Mds$, ce qui représente une hausse de 2,2% en rythme trimestriel et de 8,3% en rythme annuel. »

Et alors que la dette augmente, les perspectives en matière d’emploi s’assombrissent. Charlie Bilello fait le point sur les suppressions d’emploi dans le secteur des nouvelles technologies :

En plus de ces suppressions d’emploi, Amazon a annoncé un gel des embauches (et un plan pour supprimer 10 000 emplois), Apple a suspendu la quasi-totalité de ses embauches et Google a réduit ses embauches de 50%.

Guerre et impôts

Emploi, dette, logement, revenus, inflation : lorsque ces facteurs partent à vau-l’eau, c’est la classe moyenne qui trinque. Si l’on y ajoute la guerre et les impôts, la destruction est totale.

Mais les Etats-Unis ne seront pas le premier pays à détruire sa classe moyenne. C’est ce que font les grands empires et les républiques bananières. De la Rome antique au Venezuela actuel, détruire la classe moyenne n’est pas un effet secondaire de la corruption des élites, c’est la règle du jeu.

L’empire romain devait sa prospérité principalement aux agriculteurs et aux artisans de la classe moyenne. Ils étaient la colonne vertébrale de la République, prêts à prendre les armes et les boucliers pour répondre à l’appel du devoir. Il s’agissait d’un groupe largement homogène, qui partageait la même culture et les mêmes valeurs.

Mais ils représentaient également une menace pour la classe dirigeante. Dispersés et indépendants, il était plus difficile de les distraire avec les jeux du cirque ou de les acheter avec le pain distribué gratuitement à la plèbe urbaine. Ils pouvaient soutenir les élites, comme se soulever contre elles.

Lorsque la république est devenue empire, elle a étendu ses frontières grâce à une série de guerres quasi permanentes dans sa périphérie. Les généraux se sont couverts d’or et de gloire, revenant à Rome triomphants, avec leur butin… et des esclaves.

Les agriculteurs de la classe moyenne possédaient de petits lopins de terre qu’ils cultivaient eux-mêmes, avec leurs familles, et parfois quelques esclaves. Mais lorsque les conquêtes impériales prirent de l’ampleur, le nombre d’esclaves a augmenté de manière proportionnelle. Lors de l’annexion d’Epire, durant la troisième guerre macédonienne, 150 000 personnes furent réduites en esclavage et vendues.

Les esclaves changèrent l’économie locale et les soldats et les agriculteurs libres se sont retrouvés sous pression. Au début, les soldats-citoyens remplissaient leur devoir et retournaient chez eux pour cultiver leurs parcelles. Mais, à mesure qu’il s’étendait, l’empire postait ses jeunes hommes en garnison en Afrique, en Espagne et au Moyen-Orient, à des centaines voire milliers de kilomètres de Rome, souvent pour une durée de service de 20 ans.

Lorsqu’ils rentraient, les soldats constataient que leurs fermes avaient été laissées à l’abandon. Leurs familles avaient dû emprunter de l’argent pour survivre jusqu’à leur retour. Alors, pour rembourser la dette, les fermes étaient vendues à des propriétaires fonciers appartenant à l’élite. Ces hommes riches consolidaient les petites fermes pour en faire des « latifundia » qui étaient exploitées par des esclaves, et non par des hommes libres.

La prolifération de grandes plantations fit alors baisser le prix des exploitations familiales, incapables ou presque de rivaliser. Dans un contexte marqué par un besoin permanent de soldats supplémentaires, par une forte inflation, par des hausses d’impôts, cela a obligé de nombreux agriculteurs à abandonner leurs terres et, à terme, à accepter d’être réduits en esclavage avec leur famille.

Non-sens

« On récolte ce que l’on sème » est une expression née de l’observation et associée au « bon sens » dans l’esprit populaire.

« Comportez-vous bien avec les gens que vous croisez lors de votre ascension, vous risquez de les rencontrer de nouveau lors de votre chute » est un autre dicton commun.

Il se trouve que les riches et les puissants ont à un moment dû faire face à des invasions barbares.

Au moment où cela s’est produit, l’armée « romaine » s’était désintégrée. De toute façon, cela faisait un moment qu’elle n’était plus romaine. Lorsque la classe moyenne a été détruite, s’en est allé avec elle le vivier de soldats loyaux et patriotes prêts à se battre et à mourir pour leur patrie. L’empire a été obligé de se tourner vers des mercenaires et à des armées motivées par l’appât du gain qui étaient fiables… jusqu’à un certain point. Puis, à mesure que les finances de l’empire se tarissaient, il était courant que les mercenaires ne soient pas payés et refusent de se battre. En pleine bataille, bon nombre d’entre eux se sont retournés contre Rome.

Au final, l’empire s’est retrouvé sans protection. Il n’y avait plus de soldats citoyens pour résister et plus de classe moyenne pour maintenir l’ordre.

Odoacre a renversé le dernier empereur en 476. À partir de ce moment-là, des barbares (Goths, Huns, Alains et d’autres tribus germaniques), des esclaves en fuite, des paysans affamés et expropriés, des déserteurs et des brigands de toutes sortes parcouraient librement le pays, violant, pillant, volant, massacrant, réduisant en esclavage et détruisant tout ce qu’ils trouvaient sur leur passage.

A suivre…

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