En Angleterre, le chaos financier devient un chaos politique. La crise pourrait cependant de nouveau virer au krach… un krach qui ne s’arrêtera pas à la frontière.
Nous avons assisté, selon plusieurs observateurs, à l’un des mouvements de marché le plus « cinglé », le plus « insane », le plus « abracadabrantesque » de la décennie.
Le plus fin mot de l’histoire, nous le devons à Lloyd Blankfein, l’ex-PDG de Goldman Sachs :
« Ce 13 octobre constitue l’un de ces rares exemples où un initié qui aurait connu par avance les très mauvais chiffres de l’inflation publiés ce jour-là aurait quand même perdu de l’argent. »
Et croyez-moi, Lloyd Blankfein s’y connait en ce que nous qualifions improprement de « délit d’initié ». En réalité, à son niveau, les contacts informels avec la Fed sont la règle. Il y a les réunions de travail, les appels de routine… et les dîners en ville où les membres de la Fed et l’élite de Wall Street se retrouvent pour discuter de « tout et de rien »… mais jamais pour parler boutique, promis juré.
Admettons, il y a aussi les parties de golfe, la chasse, les communications sur les messageries cryptées pour échanger des petits secrets entre « sherpas » de Wall Street… que resterait-il à anticiper que la Fed n’aurait pas déjà dévoilé ?
Des marchés débranchés
Les 5 à 6% repris par les indices américains le 13 octobre puis le petit 1% supplémentaire pris à l’ouverture le 14 (soit 7% en moins de 7 heures de cotations prises en continu) témoignent pourtant d’un effet de surprise d’une violence assez rare… au point qu’on n’en retrouve pas d’équivalent au cours des 15 dernières années.
Ceci pourrait signifier que la Fed a jugé qu’elle devait reprendre par surprise le contrôle de marchés qui s’enhardissaient à renouer avec un rôle qui est le leur : « pricer » le risque, calculer la valeur d’un actif vulnérable à une hausse de taux, à un épisode de récession… et, en l’occurrence, à une combinaison des deux périls les plus redoutables pour des assets managers.
La Fed a de la façon la plus assumée choisi de « débrancher les marchés » (en manipulant ouvertement le VIX, la jauge du risque à laquelle sont asservis les algos), parce que la situation l’exigeait. Comprenez bien ce que cela signifie : c’était reprendre la main ou le chaos… et ce, à 35 ans jour pour jour du krach de 1987.
Mais les forces adverses ont repris le dessus en moins de 24 heures, les indices – et bons du Trésor – américains – rechutant de 2 à 3% dès le lendemain, le vendredi 14.
C’est exactement le même scénario qu’au Royaume-Uni 15 jours auparavant : la Banque d’Angleterre est également intervenue pour enrayer le chaos sur les « Gilts » et la livre sterling.
Les vendeurs ont opéré un repli stratégique, mais sont revenus à la charge en moins de 72 heures : les taux longs britanniques ont retrouvé leurs pires niveaux depuis octobre 2008.
Dix jours après le « flash-krach » systémique, c’est la situation politique qui a viré au chaos au Royaume-Uni les 13 et 14 octobre. Pour rester très factuel, Liz Truss a limogé le ministre des Finances, Kwasi Kwarteng, qu’elle avait chargé de sa réforme fiscale. Une réforme qui était sensée relancer l’économie britannique, un peu à la manière de Donald Trump avec sa plus grande « tax reform [en faveur des plus riches et des entreprises] de tous les temps ».
Ministre pour un mois
Les marchés font leurs comptes. D’un côté, les réserves en devises du Royaume sont au plus bas. De l’autre, l’explosion des coûts de l’énergie va plonger le pays dans une récession d’ampleur biblique (alors que les Etats-Unis de Trump étaient censés voir la croissance de leur PIB accélérer de 2017 à 2020). En ajoutant à cela l’idée que les recettes fiscales provenant des entreprises qui font des bénéfices dégringolent par dizaines de milliards… on obtient un vent de panique.
Effectuant un virage à 180°, Liz Truss a donc sacrifié le fusible Kwasi Kwarteng et nommé à sa place Jeremy Hunt, ce qui a de quoi faire trembler le parti conservateur, la City, et une bonne partie du peuple britannique.
En effet, Jeremy Hunt est un admirateur de la stratégie « zéro Covid », il fut un ardent défenseur des confinements et souhaitait même que les enfants soient soustraits à la garde des parents ne souhaitant pas les faire vacciner : à ce niveau, il est permis de se poser des questions sur ses motivations.
Et pour ceux qui pensaient qu’il n’était implacable qu’avec le Covid, il a affirmé dès sa nomination comme « chancellor of the Exchequer » qu’il devrait prendre des mesures « difficiles » : des hausses d’impôts (et non plus des baisses) ainsi que des coupes claires dans les dépenses de tous les ministères. C’est-à-dire l’exact opposé du plan de relance initial.
En clair, Jeremy Hunt fera tout l’inverse de ce qu’avait promis Liz Truss pour séduire les membres du parti conservateur. Ceux-ci venaient en effet de l’élire pour sa promesse de protéger les citoyens de l’inflation et de relancer l’économie, tandis que son principal adversaire, Rishi Sunak, défendait la ligne que Jeremy Hunt veut désormais adopter.
Liz Truss restera-t-elle en poste ?
D’ailleurs, Jeremy Hunt – qui se veut le Mario Draghi britannique – soutenait ouvertement Rishi Sunak contre Liz Truss, laquelle se retrouve donc en cohabitation au sein de son propre parti après avoir été désavouée par la Bank of England et les marchés financiers. Son premier gouvernement aura duré moins d’un mois et la City pense déjà que son changement de cap économique signifie que le pouvoir vient de lui échapper.
Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, s’est félicité ce samedi de la « convergence de vues immédiate et claire » entre la banque centrale et le nouveau chancelier. Autrement dit, Liz Truss n’est déjà plus l’interlocutrice privilégiée de la BoE… du jamais vu !
Une fois pulvérisé son programme économique, la presse se souvient du programme « social » de Liz Truss. La Première ministre se veut inflexible face aux syndicats, assumant vouloir devenir une nouvelle Margaret Thatcher. Elle s’était notamment engagée à limiter le droit de grève pour séduire la faction ultralibérale de son parti.
Message reçu 5/5 par les divers syndicats britanniques qui ont aussitôt menacé ce dimanche de lancer des grèves concertées dans tout le pays et de multiplier les mouvements sociaux dans toutes les branches (fonction publique et privée).
Le quotidien The Times rapporte que les conservateurs cherchent un moyen d’évincer Liz Truss du pouvoir au plus vite.
Lors de l’élection au leadership du parti, le journal avait soutenu ouvertement Rishi Sunak, qui a désormais repris les manœuvres en coulisses auprès des parlementaires conservateurs pour mener un putsch contre la Première ministre. S’il se voyait taxé de traitrise par les pro-Truss, l’actuel ministre de la Défense, Ben Wallace, serait un potentiel recours.
Les Gilts et la livre sterling n’ont pas fini d’être chahutés : si Liz Truss est évincée, le Royaume-Uni plongera dans la récession et l’austérité et deviendra une poudrière sociale.
Une autre source de stress pour les marchés… et la Bank of England sait que, à l’image de la Fed, elle devra intervenir tous les trois jours pour résoudre les situations critiques. La saison des fêtes s’annonce compliquée !