La Chronique Agora

Banquier central, le pouvoir ultime ? (2/2)

La monnaie fiduciaire repose sur une base toute différente de celle d’une « monnaie marchandise » : c’est précisément là que repose le vrai pouvoir des banques centrales et de l’Etat.

Nous avons vu hier que les échanges et la monnaie n’étaient pas nécessairement l’incarnation du pouvoir et de la domination que certains se plaisent à voir.

Ces notions entrent bien en jeu, cependant… mais pas forcément là où on les attend.

Quand et comment le pouvoir se manifeste

Lorsqu’une monnaie est basée sur une matière première, peu importe laquelle, cette monnaie n’est rien d’autre qu’une marchandise comme une autre, excepté qu’elle est également utilisée pour procéder à des échanges indirects. Cela n’implique pas en soi que cette monnaie procure du pouvoir à son détenteur.

Personne n’affirmerait, ou en tout cas peu de gens, que si nous étions dans une économie où le pain sert de monnaie, le pain offrirait une source de pouvoir sur les autres que d’autres types de denrées alimentaires (ou tout autre type de matières premières) n’offriraient pas.

Ce n’est toujours que du pain, la seule différence étant que les intervenants accepteraient le pain comme moyen de paiement, même si en réalité ils ne désirent pas en consommer — car ils savent qu’ils pourront l’utiliser comme moyen de paiement lors des échanges qu’ils réalisent avec d’autres individus.

Le pain en lui-même conserve une utilité. Même si nous ne désirons pas en consommer, temporairement ou en règle générale, nous pouvons voir qu’il s’agit d’une marchandise qui possède différents usages spécifiques. Il en va de même avec toute autre monnaie-marchandise, même si les métaux précieux ont probablement des usages plus limités pour nous que le pain.

Vulnérabilité de la monnaie fiduciaire

La monnaie fiduciaire change quelque peu la donne, mais pas en ce qui concerne l’utilisation et la nature de la monnaie dans le cadre des échanges. La monnaie est toujours utilisée et acceptée en raison du pouvoir d’achat (escompté) qu’elle procure. Cependant, il ne s’agit pas d’une marchandise qui puisse être utilisée autrement qu’en tant que monnaie.

Donc, dans un sens, nous sommes obligés de l’utiliser uniquement comme monnaie, alors que le pain peut être mangé, l’or peut être fondu pour fabriquer de la joaillerie, et les certificats monétaires constituent un droit direct sur de tels biens.

Pour cette raison, le détenteur d’une monnaie non adossé à une marchandise est plus vulnérable : si cette monnaie connaît une érosion de son pouvoir d’achat, partielle ou totale, il n’existe aucun moyen d’y échapper.

Un billet de 20 $ sera toujours un billet de 20 $, peu importe que le pouvoir d’achat du dollar s’effondre (ou qu’il s’apprécie), alors qu’il pourrait être logique de manger une monnaie faite de pain si son pouvoir d’achat baissait trop fortement.

Le détenteur de liquidités dans un régime de monnaie fiduciaire est donc soumis aux décisions des autorités monétaires. Si ces dernières décident de doubler la masse monétaire – ce qui entraînerait une érosion sévère du pouvoir d’achat de l’unité monétaire concernée, cela affecterait la valeur des liquidités que vous possédez dans votre poche, sous votre matelas ou sur votre compte en banque. Vous seriez victime d’une décision prise par quelqu’un d’autre, ce qui constitue sans aucun doute une forme de pouvoir.

Or c’est précisément l’inverse de ce qu’affirment tous ceux qui insistent pour dire que la monnaie donne du pouvoir. Pour eux, détenir de la monnaie c’est posséder du pouvoir.

Cependant, cet exemple nous montre que quiconque détient de la monnaie est impuissant contre les changements de politique monétaire.

Commander les autres

Qu’en est-il de l’affirmation selon laquelle la monnaie donne le pouvoir de commander les autres ? Comme nous l’avons vu précédemment, c’est impossible dans une économie de troc. Mais un système de monnaie fiduciaire peut être différent, et c’est typiquement le cas à notre époque.

Cela s’explique par l’existence de lois qui imposent la notion de cours légal. Chaque billet imprimé par la Réserve fédérale américaine comporte cette mention : « Ce billet a cours légal pour le paiement de toute dette, publique ou privée. »

En d’autres termes, si quelqu’un vous doit de l’argent, vous avez l’obligation légale d’accepter d’être payé en dollars. Donc quiconque aurait contracté une dette peut exiger, en raison des pouvoirs que possède l’Etat, que l’emprunteur accepte d’être remboursé en dollars.

Bien que cela ne signifie pas que vous puissiez, en tant que détenteur de dollars, obliger qui que ce soit à vous vendre quelque chose, d’autres lois instaurent une telle obligation.

Par exemple, la loi Scanner, dans l’Etat du Michigan, oblige non seulement les magasins à afficher les prix pour l’ensemble des produits proposés, mais également à accepter le paiement du prix affiché en dollars. Cela signifie que les clients possèdent le pouvoir (octroyé par la loi) d’obliger le magasin à leur vendre un produit au prix affiché, même s’il s’agissait d’une erreur.

Par conséquent, nous ne pouvons pas totalement nier l’idée selon laquelle « l’argent, c’est le pouvoir ». Cependant, ce pouvoir n’est pas une conséquence de la nature même de la monnaie, comme on le croit souvent. La monnaie n’est pas mystérieusement dotée de pouvoir – mais il existe des situations dans lesquelles la monnaie représente une forme de pouvoir.

C’est le cas lorsqu’un régime de monnaie fiduciaire et un cours légal sont imposés, ainsi que d’autres lois qui peuvent modifier les dynamiques du pouvoir. Bien que la monnaie soit impliquée dans l’ensemble de ces cas de figure, l’origine commune de tels pouvoirs ne réside pas dans la monnaie elle-même. C’est l’Etat qui en est à l’origine.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici

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