La Chronique Agora

Les banques centrales jouent les prolongations

L’analyse fondamentale est un outil efficace pour investir profitablement – mais les banques centrales manipulent les marchés… et faussent les critères d’investissement.

Les partisans de l’analyse fondamentale, ou encore ceux que l’on appelle les investisseurs value sont ceux qui se rallient à une certaine conception de la valeur d’un actif financier.

Cette conception, que l’on doit qualifier de conventionnelle, est la conception classique de l’analyse financière popularisée par Graham & Dodd, à savoir : la valeur d’une action – ou d’un actif financier en général – est la somme actualisée des flux financiers auquel l’actif va donner droit.

Quand on est investisseur value, on croit que l’on achète un droit de propriété conférant la possibilité de recevoir un flux financier, voilà ce qu’il faut retenir.

C’est une définition rigoureuse mais dont il ne faut pas se cacher qu’elle est marquée par de nombreuses incertitudes. En effet, l’analyste financier doit essayer d’établir une approximation des flux financiers futurs, et en plus choisir un taux de pénalité – c’est-à-dire d’actualisation – pour apprécier la valeur présente de ces flux. On sait que « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » !

Bien souvent, face à ces choix complexes on prend des proxys. En d’autres termes, on choisit des critères et indicateurs qui ont prouvé, par le passé, qu’ils donnaient de bonnes approximations de ces incertitudes.

Ainsi, on démontre que pour le marché boursier américain en général, la variation de l’agrégat du PIB corrigé pour tenir compte de la valeur ajoutée réalisée à l’étranger fournit une bonne appréciation de l’évolution des profits totaux. Et on sait de façon satisfaisante évaluer la croissance longue future des PIB car elle dépend de paramètres bien suivis.

Evidemment, c’est plus compliqué que cela ; je simplifie à l’extrême en vous donnant ce principe.

Un taux faussé

Pour le taux d’actualisation, c’est beaucoup plus délicat. En effet, ce taux qui devrait être social, naturel, dans une collectivité donnée, est totalement faussé.

Les pouvoirs publics n’ont que faire des préférences de la société pour le présent et de sa pénalité imposée au futur ; ils veulent imposer leur préférence. Ils trafiquent les taux d’intérêt. Les taux ne reflètent plus vos préférences mais la leur, leur volonté.

Depuis l’activisme des banques centrales, activisme dont le but est de manipuler les taux, tout est artificiel. Il s’agit en effet pour elles de rendre les dettes supportables afin de pouvoir en produire plus et prolonger le cycle du crédit qui devait se terminer il y a quelques années. Les autorités truquent pour jouer les prolongations.

Les banques centrales, par leurs achats de titres longs et leur monétisation, enfoncent les taux et donc réduisent les pénalités imposées au futur. Cela signifie qu’elles font monter artificiellement, frauduleusement la valeur actuelle des flux à recevoir. En clair, elles gonflent la valeur présente des actions et des obligations.

Cela permet d’en placer plus, de soutenir les prix boursiers et de truquer les valeurs d’actif du système bancaire et shadow bancaire. Lorsqu’on baisse frauduleusement les taux, on évite les faillites en fabriquant des zombies.

Bien entendu, la Fed considère implicitement dans tous ses raisonnements que ce sont ces taux trafiqués qui sont les bons. Elle conseille implicitement de ne pénaliser les revenus futurs que très modestement, c’est-à-dire d’utiliser le taux des emprunts d’Etat à 10 ans, lequel est actuellement autour des 1%.

La Fed ne cesse de répéter que les taux bas justifient des prix hauts pour les actifs. C’est simplement une autre façon, plus obscure, de dire ce que je dis.

Elle reconnaît implicitement que si les taux venaient à échapper à son contrôle et monter à 3% par exemple, les porteurs d’actifs financiers seraient ruinés. Mais pour tromper et apaiser leur crainte, elle promet que les taux ultra-bas dureront très, très longtemps.

Surévaluation perpétuelle

Autrement dit, la surévaluation des actifs va durer toujours, rester sur un perpétuel haut plateau. Ce qui signifie, notez-le, que les banques centrales disent qu’elles ne vont jamais réussir, que la croissance ne va jamais repartir et que l’inflation, c’est fini pour toujours.

En clair, considérer que le taux d’actualisation imposé aux flux futurs doit être de 1%, cela revient à dire que vous devez accepter, si vous achetez des actifs financiers maintenant, qu’ils sont à leur prix… pour rapporter du 1%.

Je ne suis pas sûr que tous les gens qui sont sur les marchés ont vraiment compris cela !

Pour résumer, les banques centrales, pour vous inciter à maintenir les indices boursiers très haut, vous disent qu’elles mènent une politique qui sera rigoureusement inefficace et ne servira à rien.

Elles sont obligées de se contredire :

– pour justifier politiquement ces politiques elles doivent faire croire qu’elles vont être efficaces et relancer croissance et inflation ;

– pour justifier les évaluations boursières, elles doivent dire le contraire : nous allons échouer, la croissance et l’inflation sont exclues pour très, pour très longtemps, plus longtemps que vous pouvez imaginer.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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