La Chronique Agora

Banques centrales : le grand saut dans l’inconnu

Le système monétaire fonctionne dans l’opacité la plus totale et, en cas de problème – désormais inévitable –, les garde-fous ne serviront à rien.

Voici ce qu’on pouvait lire sur ETF Trends.com début juillet :

« Selon le dernier rapport sur les flux de capitaux sur les fonds négociés en bourse (FNB) de State Street Global Advisors, ‘les FNB actions ont recueilli 20 Mds$ de fonds. Toutefois, les entrées dans les obligations étaient véritablement hors du commun avec plus de 25 Mds$, soit une augmentation de plus de 45% par rapport au record précédent d’octobre 2014’. Le nombre record d’entrées dans les FNB obligataires a permis une allocation de capital record dans le secteur des titres à revenu fixe. »

Ce que d’autres célèbrent comme un marché haussier fantastique n’est en réalité rien qu’un désordre monétaire d’ordre supérieur. Je m’abstiens d’y ajouter le qualificatif d’extrême car je suis persuadé que les extrêmes sont encore loin devant nous ; nous n’avons encore rien vu en matière de désordre.

Les prix des actifs financiers du monde grimpent de manière parabolique. D’où vient l’argent ? Réponse : il vient de lui-même. L’argent s’engrosse lui-même, de sa propre multiplication, de sa rotation, de l’effet de levier systémique et de l’effet de liquidité qui résulte de la hausse des « papiers ».

Qu’est-ce que le monétaire ?

Voici une citation provenant d’un gouverneur de la Fed plus intelligent que les autres : « la liquidité c’est quand les gens pensent qu’ils vont vendre plus cher que ce qu’ils ont acheté ».

Cette définition met le doigt sur la structure cachée de ce qui est monétaire. Le monétaire, c’est indéfinissable ; c’est le mercure dans sa principale qualité, le mouvement, le vif-argent. Non pas quelque chose de réel, mais un mouvement !

Même la notion de catalyseur des échanges est dépassée. Les notions, les concepts de masse monétaire ont perdu toute pertinence. Nous sommes, quand nous rapportons les masses monétaires, dans le « culte du cargo » : nous observons une forme, une intelligibilité, qui ne correspondent à rien dans la nouvelle réalité créée par les apprentis sorciers au fil du temps.

N’oubliez pas : les masses monétaires ne signifient plus rien ! Rien de rien !

Quelle quantité de titres à revenu fixe mondiaux a été achetée avec le miraculeux effet de levier ? Quelle est l’ampleur de l’effet de levier lié aux dérivés qui s’est accumulé sur les marchés obligataires mondiaux ? Les vendeurs/acteurs de stratégies multiples sont obligés d’acheter les titres de créance sous-jacents pour couvrir les contrats dérivés précédemment vendus. Personne ne sait rien, c’est opaque.

En cas de crise, les « assurances » ne seront pas au rendez-vous

N’oubliez jamais non plus que les produits dérivés sont une sorte d’assurance – mais une assurance bidon car il n’y a pas de capital pour faire face aux paiements en cas de sinistre. On l’a vu en 2008.

Sur les marchés contemporains dominés par les produits dérivés, les dislocations à la hausse des marchés donnent l’apparence extérieure d’une liquidité sans fin. On croit que l’on a pu vendre le risque !

Mais il n’y a pas d’assurance, pas de réserves dans lesquelles puiser. C’est un mythe car les assurances sont faites en dynamic hedging, c’est-à-dire en couverture sur les marchés. En d’autres termes, on achète le sous-jacent pour couvrir les contrats de dérivés que l’on a vendus dans le passé.

Rien que cela, c’est la certitude de la panique future, de la panique inéluctable. La panique est incrustée dans la structure des marchés modernes.

C’est pour cela que les banques centrales doivent toujours, toujours, être là, prêtes ; elles doivent surveiller le lait sur le feu pour qu’il soit toujours très chaud avec l’espoir qu’il ne va pas se mettre à bouillir.

Les banques centrales ne peuvent plus se sortir du jeu, c’est fini, archi-fini.

Un titre de Bloomberg à retenir, sorti début juillet : « Fed Debate Shifts From Large Cut to Whether to Cut at All ».

Traduction : le débat pour la Fed change d’un seul coup, on passe du débat sur une large baisse des taux à celui sur la question, faut-il les baisser ?

Qu’est-ce que ce monde où les autorités chargées de préparer l’avenir lointain peuvent changer d’avis et inverser à 180° leurs décisions à 48 heures d’intervalle ?

Explication : c’est un monde où les apprentis sorciers ont tout tripatouillé, un monde où ils ont eux-mêmes faussé les signaux sur lesquels ils prétendent s’appuyer pour prendre leurs décisions !

Powell lui-même a déclaré qu’« une once de prévention vaut mieux que de guérir ».

Comment prévenir quand on ne sait même plus à quoi s’attendre ?

Nous avons dépassé le stade de l’aventure, de la grande expérience ; nous entrons dans l’inconnu d’ordre supérieur, l’inconnu comme inconnu.

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