La Chronique Agora

La Banque du Japon suit l’exemple américain

▪ "Aujourd’hui Tokyo, demain Buenos Aires", telle est encore notre prévision pour l’économie américaine — et occidentale plus largement — dans les années qui viennent.

"Les Etats-Unis suivront les traces du Japon", avions-nous prédit lorsque la crise a commencé en 2007. Le Japon n’a pas un marché boursier galopant, allez-vous protester. C’est vrai, mais les Etats-Unis n’ont pas non plus un ratio dette gouvernementale/PIB de 200%. Ni de jeunes filles portant couettes et bas rayés. La comparaison n’est donc pas franchement exacte.

La chose la plus importante, c’est que l’économie japonaise est en plein marasme. Celle des Etats-Unis aussi. C’est le cas pour la même raison : dans les deux pays, le consommateur hésite à emprunter. Et sans emprunt, il n’a aucun moyen d’augmenter sa consommation.

Les ménages ont réduit leurs dépenses pour trois raisons. La première, c’est qu’ils vieillissent. Deuxièmement, leurs revenus réels stagnent ou chutent. Troisièmement, ils ont déjà trop de dettes. Cela rend le ralentissement du Japon et celui des Etats-Unis similaire. Tout deux sont nourris par des ménages qui souhaitent assainir leurs finances.

▪ La dette est morte, vive l’épargne !
Aux Etats-Unis, ces six dernières années, la dette gouvernementale et la dette des entreprises ont grimpé en flèche. Idem pour la dette étudiante. La dette des entreprises est désormais plus importante que la dette adossée aux créances hypothécaires. Voici Bloomberg sur ce qui arrive à cet argent :

"Le trimestre de fusions-acquisitions à 1 000 milliards de dollars, qu’on n’avait plus vu depuis la crise financière mondiale, est de retour. Le volume global de transactions de ce genre ce trimestre est de 992 milliards de dollars, selon des données compilées par Bloomberg qui incluent les transactions en cours, achevées et en projet. Ce chiffre met cette période de trois mois en bonne place pour être la plus importante, en termes de fusions-acquisitions, depuis le troisième trimestre 2007 — la meilleure année à ce jour pour ce genre d’opérations — avant que la faillite de Lehman Brothers Holdings Inc., en 2008, ne lui fasse frôler la mort".

Youpi, on est de retour en 2007 !

Youpi, on est de retour en 2007 ! Mais vous savez déjà ce qui se passe aux Etats-Unis. Voici les dernières nouvelles du Japon, par le Telegraph :

"Il n’y a pas de paris à deux sens dans la finance mondiale, mais le marché japonais s’en approche. Les autorités sont sur le point d’injecter de vastes sommes dans les actions japonaises, ouvertement et délibérément, dans le cadre de la prochaine phase des ‘Abenomics’ — à la fois grâce à de la monnaie fiduciaire provenant des autorités et grâce à des achats directs sur le Nikkei avec de l’argent imprimé.

Le Premier ministre Shinzo Abe est en train de libérer le plus grand paquet d’épargne au monde, les 1 300 milliards de dollars du Fonds d’investissement gouvernemental pour la retraite. Selon les autorités, le plafond sur les détentions de valeur passera de 12% à environ 20% dès août, ouvrant la voie à une ruée d’achats à 100 milliards de dollars".

Oui, cher lecteur, après avoir regardé les Etats-Unis avec envie depuis 24 ans, le Japon a décidé de se joindre à la fête. Il va faire grimper son propre marché boursier, exactement comme l’ont fait les autorités américaines… à tout prix.

▪ La fin justifie les moyens…
Les moyens en question prennent d’abord la forme de changements de réglementation qui encouragent les fonds de pension à placer leur argent directement sur les marchés boursiers. L’autre changement est plus subtil. Pour le comprendre, nous devons revenir à 1990. C’est à cette époque que la "Japan Inc. " a fait faillite. Les actions ont chuté à pic. L’immobilier aussi. C’était ce que l’économiste Richard Koo appelle "une récession de bilan". Les ménages et les entreprises ont dû réduire leurs dépenses pour réduire leurs niveaux de dette.

Toute réduction des dépenses est détestable aux yeux des économistes modernes

Toute réduction des dépenses est détestable aux yeux des économistes modernes — qu’ils parlent japonais ou anglais — de sorte qu’immédiatement ou presque, le gouvernement s’est mis au travail pour stopper le processus. Premier résultat : un quart de siècle de relative stagnation. Parallèlement, le gouvernement est intervenu directement — empruntant l’argent que les ménages voulaient épargner… et le dépensant en ponts inutiles et en routes ne menant nulle part où l’on voulait aller. Deuxième résultat : l’épargne de la nation a été consommée et gâchée, laissant le Japon avec un niveau record de dette gouvernemental. A 240% du PIB, elle est la plus élevée au monde, et il faut près d’un quart des recettes fiscales rien que pour payer les intérêts.

A présent, nous approchons de la phase finale de cette histoire insensée. Maintenant, Tokyo va à Buenos Aires ! Pendant près d’un quart de siècle, les épargnants japonais ont diligemment financé les déficits de leur gouvernement. A présent, ils prennent leur retraite. Ils ont besoin de récupérer leur argent. Dans le même temps, le surplus commercial du Japon est en train de disparaître. D’où viendra l’argent nécessaire pour garder la lumière allumée ?

De nulle part. Il y a déjà des jours où il ne se trouve aucun acheteur pour les obligations japonaises. La banque centrale japonaise prend le relais. A mesure que les gens vieillissent (dépensant leur épargne plutôt que de l’augmenter) et à mesure que le surplus courant du pays disparaît (le Japon n’est plus la locomotive exportatrice d’autrefois), le fossé se creuse.

La Banque du Japon viendra à la rescousse, bien entendu. Elle imprimera l’argent pour acheter des obligations et financer le gouvernement. Le yen chutera. Les prix grimperont. Il en ira de même pour les taux d’intérêt. Et les Japonais apprendront le tango…

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