La Chronique Agora

Baisse des taux, une tragédie pour l’humanité

La fermeture de la fenêtre de l’or, en 1971, a ouvert une ère d’excès de crédit et de création monétaire dont nous payons – chèrement – les conséquences aujourd’hui.

Tout a commencé en 1971.

Arthur Burns, président de la Fed à l’époque de la fermeture de la fenêtre de l’or, a déploré : 

« Mes efforts pour empêcher la fermeture du guichet de l’or par John Connally, Paul Volcker, et George Shultz ne semblent pas avoir réussi. La fenêtre de l’or devra peut-être être fermée demain parce que nous avons maintenant un gouvernement qui est incapable, pas seulement de leadership constructif, mais incapable de toute action tout court. »  

Quelle tragédie pour l’humanité !

La situation précaire des marchés et des économies est le résultat inévitable de près de 50 années d’efforts pour manipuler les prix, influencer le comportement des agents économiques, les obliger à faire comme ils ne feraient pas spontanément.

Nos difficultés ne sont pas produites par le cours normal du système, elles sont produites par notre volonté démiurgique de tenter de nous y opposer. Et plus nous nous y opposons, plus nous produisons de conséquences non-voulues et plus tout dysfonctionne.

La balance entre les avantages de nos actions et les inconvénients qu’elles produisent, cette balance s’est inversée ; nos actions sont contre-productives.

Nous nous enfonçons dans… nos pseudo-remèdes – c’est-à-dire dans la mer de dettes que nous créons pour échapper aux conséquences du surendettement. Nous sommes sans cesse obligés de baisser le coût des dettes, les taux d’intérêts en d’autres termes, ce qui a pour effet de gonfler, de stimuler la demande de crédit et de prêts – accélérant ainsi la progression du mal contre lequel nous prétendons lutter.

Les taux bas exacerbent la production de dettes… mais la production accélérée de dettes produit un stock de capital fictif, non productif, de poids mort, qui agit comme un véritable boulet au pied de nos économies.

Asphyxie

Avec la dette, l’oxygène économique, qui est le profit, se raréfie ; il devient relativement insuffisant, il n’y en a plus assez pour tout le monde – surtout quand un secteur monopolistique, celui de la technologie, draine le surproduit mondial à son profit.

La technologie est inflationniste pour elle-même mais colossalement déflationniste pour le reste : elle s’attribue les ressources, les revenus, le pouvoir d’achat, elle étrangle l’économie traditionnelle. Elle draine le surproduit et en plus, elle le fait sans alimenter les recettes fiscales des gouvernements !

Nous sommes addicts, intoxiqués. C’est à tel point que nous ne supportons plus le retrait des béquilles, la disparition du bol de punch : nous sommes obligés de continuer ou de reprendre les injections de dopage alors même que, selon les critères historiques, il faudrait largement les supprimer.

Domestiqués, nos systèmes ont perdu leurs capacités d’adaptation naturelles… tout comme les humains.

Le règne du veau d’or

Les grands prêtres de l’ordre nouveau – qui est dans son essence un ordre monétaire envahissant –, ces grands prêtres ont perdu le contrôle de la situation. C’est le fétiche, le signe, le faux symbole, le veau d’or qui commande. Ils ne conduisent plus la situation, ils en sont otages.

Ils croyaient piloter les marchés, passer la laisse à la bête sauvage ; en pratique, désormais, ils lui obéissent. La bête les tyrannise, leur impose ses caprices.

Ils le font en le niant, en multipliant les récits, qui n’ont qu’un but, tromper, et un résultat,  fausser tous les signaux indispensables au fonctionnement d’une vraie économie de marché. Non seulement on n’a pas de carte, mais en plus ils ont affolé les boussoles.

Leur problème, c’est ce qu’ils appellent la Transmission. Ils s’étonnent que les marchés, la réalité, n’obéissent pas à leurs incantations. Ils s’étonnent que la baisse des taux d’intérêts ne produise pas de croissance supplémentaire.

Ils sont incapables de comprendre que leurs baisses de taux enrichissent ceux qui ont du capital, ceux qui s’endettent, ceux qui ont accès au crédit, c’est-à-dire les riches… et qu’ils privent de revenus les petits, ceux qui économisent pour leurs enfants et leurs retraites.

Ils ne comprennent pas que les riches ne consomment pas l’argent tombé du ciel et qu’ils le jouent en Bourse. Ils ne comprennent pas que la crise a fait tripler la fortune de Bernard Arnault à 100 milliards mais appauvrit les plus pauvres, qui sont la masse des consommateurs.

Ils refusent de voir que ce qui gouverne dans le vrai monde, c’est le poids des choses, les causes et non pas les volontés et les discours. Ils ont la tête en bas et s’étonnent que, la tête en bas, ils ne réussissent pas à marcher !

C’est un problème philosophique, un problème théorique : on ne commande à la nature qu’en lui obéissant. Quand on utilise des théories fausses, on échoue… et quand on échoue, on ment, on accuse les autres, les peuples, les pays étrangers, les sceptiques, ces empêcheurs de tripatouiller en rond.

Rien de nouveau sous le soleil

Le passé constitue toujours le prologue, la base sur laquelle le présent et le futur se construisent. En particulier sur les marchés.

En dépit de la pensée imbécile de la « nouvelle ère » qui a toujours accompagné les excès de marché précédents, il n’y a presque jamais rien de « nouveau » sur les marchés financiers.

Les marchés évoluent, mais les hommes restent ce qu’ils sont.

La raison en est que les marchés sont constitués de personnes et que les gens d’aujourd’hui, malgré tous les progrès technologiques, ont les mêmes défauts que ceux qu’ils ont toujours connus.

Les marchés sont dominés par deux émotions primordiales : la cupidité et la peur.

Dans les périodes de folie boursière, la pure cupidité pousse les prudents à faire preuve d’imprudence dans l’espoir de tirer parti de l’élan irrésistible qui fait monter de plus en plus le prix des actifs. La bulle des technologies (2000), du logement (2008), et la « bulle de tout » actuelle en sont les exemples.

Les marchés sont des espaces où ce qui se manifeste dans le court et moyen terme, ce sont non pas les forces du réel, mais les impulsions émotionnelles, les « esprits animaux » de Keynes.

Le réel ne se réintroduit qu’à la faveur des oscillations du grand cycle de hausses suivies de baisses. On ne le voit jamais : il traverse, il agit comme une force de rappel, comme une mélodie sous-jacente que l’on n’entend pas mais dont on pressent les déclinaisons/variations.

La technologie informatique a considérablement accru la volatilité du marché, particulièrement aux extrêmes.

L’acte le plus irresponsable de l’Histoire

Les manipulations des démiurges et autres apprentis sorciers ont multiplié des spéculations et les cadeaux tombés du ciel pour la communauté spéculative. La mémoire de la spéculation oblige à sur-stimuler, à sans cesse réinjecter et à doper.

On travaille sur des dérivées, sur des dérivées secondes et maintenant sur des nuances de voca(bullaires), sur les fréquences de survenue de certains mots dans les discours… On est dans l’interprétation de l’interprétation des mystères.

[…] Les taux deviennent des jouets dans les mains des apprentis sorciers. Ils s’annulent, deviennent négatifs, on rémunère l’argent… négativement ! Les mathématiques masquent le tout dans un délire de fausse rationalité dont on a perdu l’ancrage.

En octobre 1997, Greenspan fait accéder tout cela à la conscience en affirmant que les « idées » sont plus importantes que la production.

En juillet 1998, Greenspan, Rubin et Lawrence Summers se battent pour maintenir le marché des produits dérivés déréglementé… et ils gagnent.

En octobre de la même année, Greenspan commet « l’acte le plus irresponsable » de l’histoire de la Fed : il sauve un fonds spéculatif, il conçoit une réduction des taux d’intérêts entre deux réunions après l’effondrement du hedge fund LTCM.

En février 1999, c’est le couronnement des fous parmi les plus fous : le magazine Time consacre Greenspan, Rubin et Summers en tant que « Comité pour sauver le monde ».

En novembre 1999, les dernières portions de Glass-Steagall sont abrogées.

Les dérivés ont gagné une vie propre, ils sont devenus un moyen de décupler, de multiplier les leviers, les positions spéculatives et les endettements. Ils existent en eux-mêmes !

Ils allègent les bilans… fictivement, quand on y croit. La Deutsche Bank croule sous les dizaines de milliers de milliards de dérivés !

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