La Chronique Agora

Ce qui se cache derrière l’axe Grèce-Russie

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Savez-vous où était Alexis Tsipras il y a une dizaine de jours, alors que la Grèce frôle le défaut ? A Berlin ? A Bruxelles ? A Paris ? Non… en Russie.

Officiellement, la raison de cette visite est très simple : la signature d’un accord gazier avec le Russe Gazprom.

Officieusement, on peut difficilement écarter d’un geste l’idée que cette rencontre entre Tsipras et Poutine avait aussi pour objectif de faire enrager aussi bien Washington que le reste de la Zone euro. Mission manifestement accomplie… mais que signifie-t-elle vraiment ? La Grèce peut-elle trouver une réelle aide financière auprès de Moscou ? Athènes peut-elle faire évoluer la politique européenne quant à Poutine et l’affaire ukrainienne ?

L’Europe, premier débouché historique du gaz russe, n’est manifestement plus assez fiable

Le gaz, le coeur de stratégie russe
Commençons par l’aspect énergétique de ce rapprochement. Depuis la montée des tensions avec l’Ukraine et les sanctions imposées aussi bien par Bruxelles que Washington, la Russie a accéléré son processus de recherche de nouveaux clients et débouchés pour son gaz et son pétrole. L’Europe, premier débouché historique du gaz russe, n’est manifestement plus assez fiable et cherche très ouvertement à réduire sa dépendance à la Russie. Pour un pays dont 50% des recettes de l’Etat dépendent des hydrocarbures, c’est un problème majeur.

La Russie s’est tout naturellement tournée vers la Chine, avec la signature d’un méga-contrat de 400 milliards de dollars en mai 2014, mais aussi la construction d’infrastructures destinées à alimenter toute l’Asie, jusqu’au Japon, en gaz et pétrole russes.

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L’autre axe de la stratégie de Moscou : s’attaquer à l’Europe de manière contournée, en développant un nouveau réseau de gazoducs passant par des pays plutôt favorables à Moscou comme l’Allemagne, la Turquie… et la Grèce.

Pour Moscou, et Gazprom, l’objectif est double : contourner les pays « à risque » comme l’Ukraine et tuer dans l’oeuf les projets européens de gazoducs destinés à s’affranchir du gaz russe. Les projets Southstream et Nabucco ont déjà fait les frais de cette stratégie (et des dissensions au sein de l’Europe) si bien que seul le projet Transadriatic Pipeline (TAP) (reliant la mer caspienne à l’Europe en passant par le Nord de la Grèce puis l’Albanie, l’Adriatique et enfin rejoindre le sud de l’Italie) survit encore. Mise en « gaz » prévue de ce projet ? 2020… En attendant, la Russie a le temps de développer son réseau.

▪ Contourner l’Ukraine à tout prix
Gazprom a ainsi annoncé son intention de construire un gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne, en partenariat avec Shell, le groupe allemand EON et l’autrichien OMV.
Vous pourriez vous étonner de cette annonce mais l’Allemagne, très dépendante du gaz russe (qui représente 35% à 40% de ses importations), a joué un rôle plutôt pacificateur dans les relations tendues entre l’Europe et Moscou sur fond de crise ukrainienne et n’a jamais vraiment rompu ses relations avec Poutine.

L’accord avec la Turquie s’avère tout aussi important pour la Russie dans sa stratégie de contournement de l’Ukraine. Au cours des derniers mois, les liens économiques et géopolitiques se sont renforcés entre Moscou et Ankara pour aboutir, en décembre 2014, au lancement du projet de gazoduc Turkish Stream, concurrent du projet South Stream qui devait relier la Russie à l’Europe en transitant par l’Ukraine. South Stream n’a pas survécu aux tensions avec l’Ukraine et la Turquie s’est avérée, sans surprise, un partenaire bien plus conciliant pour les Russes que les Ukrainiens.

▪ La Grèce, la Russie… et le gaz
La Grèce est le dernier atout majeur dans la stratégie russe. Fin juin, les ministres de l’Energie grec et russe ont ainsi signé un accord prévoyant la construction d’un gazoduc russe en Grèce. Ce projet est destiné à compléter et prolonger le gazoduc Turkish Stream, et pourrait permettre à la Grèce d’empocher quelques milliards d’euros d’avance (certaines sources, non vérifiées, parlent de cinq milliards) et des dizaines de millions d’euros de revenus dans les années qui viennent. La construction de ce gazoduc pourrait commencer l’année prochaine pour se terminer en 2019.

La portée de cet accord ne se limite évidemment pas à son pan énergétique. Depuis son arrivée au pouvoir, Alexis Tsipras s’est manifestement et très publiquement rapproché de Moscou, tranchant avec l’attitude officielle des autres membres de l’Union européenne.

▪ Les fondements de l’axe Athènes-Moscou
La proximité culturelle et religieuse entre les deux pays est indéniable mais ne saurait expliquer entièrement leur récent regain d’affinité.

La Grèce a en effet longtemps été un atout de poids pour les Etats-Unis dans leur affrontement avec ce qui était alors l’URSS, et son entrée dans l’Union européenne en 1981 a clairement ancré le pays vers l’ouest plutôt que vers l’est.

Certains voient dans le rapprochement entre Athènes et Moscou un revirement de sphère d’influence

Aujourd’hui, certains voient dans le rapprochement entre Athènes et Moscou un revirement de sphère d’influence.

Les avantages de ce rapprochement sont en premier lieu économiques. La Russie est un partenaire commercial important pour la Grèce, avec 9,3 milliards d’euros d’échanges en 2013 (soit plus qu’avec l’Allemagne).

Le rapprochement entre Athènes et Moscou, débuté avant même l’arrivée de Tsipras au pouvoir, a déjà débouché sur un allègement, pour la seule Grèce, de l’embargo russe imposé sur les produits alimentaires et agricoles européens. Sachant que ceux-ci représentent 40% des exportations grecques vers la Russie, l’enjeu est non négligeable pour Athènes.

▪ Aide financière en vue ?
Tsipras a-t-il envisagé d’obtenir une aide financière auprès de Poutine ? Difficile de ne pas le penser… Le Premier ministre grec s’est rendu plusieurs fois en Russie depuis son élection et la pression du Groupe de Bruxelles s’accroissant, il a certainement exploré toutes les voies alternatives, dont la solution russe.

La situation économique russe, plombée par l’effondrement du cours du pétrole, n’est pas vraiment reluisante

Jusqu’à présent, Moscou n’a pris aucun engament sur le sujet. Il faut dire que la situation économique russe, plombée par l’effondrement du cours du pétrole, n’est pas vraiment reluisante et que la perspective de prêter des milliards qui ont de grandes chances de ne jamais être remboursés ne doit pas tant sourire que cela à Poutine.

En outre, et malgré de très solides liens économiques et financiers, Moscou a refusé d’aider financièrement Chypre menacée par la faillite — alors que les besoins du pays étaient bien moindres que ceux de la Grèce.

▪ Rapprochement entre deux mis au ban
Pour Tsipras, le rapprochement avec Moscou relève donc essentiellement de la pression psychologique. Il laisse ainsi sous-entendre une prise de distance avec la position officielle de l’UE face à la Russie et l’affaire ukrainienne, et peut-être même le blocage de nouvelles sanctions contre Moscou et ses intérêts économiques — qui nécessitent l’unanimité des 28 membres de l’UE. Une manière de rappeler au Groupe de Bruxelles — et aux Etats-Unis — le poids géostratégique d’Athènes dans les relations entre Occident et Russie.

Du côté de Moscou, l’alliance avec Athènes est significative sur différents plans. Economique bien sûr, avec le projet Turkish Stream. Mais aussi géopolitique et géostratégique. La Grèce est en effet, pour la Russie, une porte ouverte sur la très stratégique région des Balkans et de la mer noire, et une des seules voix discordantes sur les sanctions imposées à la Russie.

Pour résumer, les accords entre Moscou et Athènes sont économiques, oui, mais ont très peu de chances d’aboutir sur une bouée financière. Ils sont surtout une carte psychologique pour deux pays malmenés par les Européens.

▪ Fragilité grandissante de l’UE ?
Reste une inquiétude que je ne peux écarter, et dont Washington s’inquiète très ouvertement : l’apparition de fissures de plus en plus importante dans l’Union européenne, principal allié stratégique, politique et économique des Etats-Unis. Entre la menace d’un Grexit et la possibilité d’un Brexit (sortie de la Grande-Bretagne de l’UE), l’Union a un sacré coup dans l’aile.

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