La Chronique Agora

Autant prier Hulk de se mettre à tricoter de la dentelle au point mousse

** Les chiffres des commandes de biens durables aux Etats-Unis publiés mercredi ont déjoué tous les pronostics : ils ressortaient en hausse de 1,8% au lieu de subir une nouvelle contraction de 0,8% au mois de mai. Cependant, sur une période d’un an, la chute reste spectaculaire (-26,8%) — et le phénomène de restockage ne préjuge en rien d’une véritable reprise à moyen terme.

Il ne faut pas s’étonner qu’une aussi bonne statistique contribue à réchauffer le climat boursier : les terminaux de cartes bleues grésillent sans relâche depuis 8h ce matin dans les magasins de l’Hexagone (cela démarre mollement selon nos sources)… et le dollar reprend un peu de terrain après son plongeon de la veille (à 1,4050/euro et 95,5 yens).

Ce sont là des conditions qui favorisent quelques rachats à bon compte, certes sur un large front mais dans des volumes une nouvelle fois très étriqués : moins de un milliard d’euros échangés à Paris après cinq heures de cotation, à peine 2,5 milliards d’euros en fin d’après-midi.

Le CAC 40 est venu une nouvelle fois reprendre appui sur les 3 100 points, avant de grimper en direction des 3 160 points. Cela ne remet pas en cause le mouvement de consolidation amorcé dès le 2 juin après un premier test des 3 400 points, réitéré sans succès le 5 juin.

** En ces temps de bascule potentielle de la tendance à la baisse (de nombreux signaux d’alerte clignotent dans les salles de marché), il convient de rappeler que la psychologie des investisseurs compte moins que l’analyse du pouvoir exorbitant dont disposent désormais les méga-banques américaines nées de la fusion des établissements de crédit classiques (encore valides) et des investment banks (les défuntes banques d’affaires).

S’il est difficile de trouver une unanimité à 30, l’affaire devient plus facile à 20… Mais lorsqu’une poignée d’entre elles pèsent autant que les 15 autres réunies, que croyez-vous qu’elles feront de cette emprise sans précédent sur Wall Street ? Les imaginez-vous se livrer à une lutte sans merci pour apparaître meilleure que leurs concurrentes, ou les voyez-vous plutôt s’unir pour imposer leur loi aux seconds couteaux ?

En imaginant une approche plus collaborative, les "cinq majeures" pourraient décider d’une trêve avec leurs potentielles rivales en leur attribuant à chacune un rôle bien précis, un segment de marché qui correspond à une spécialité historique : prêts aux collectivités locales, gestion de certains fonds matières premières, négoce des CFD (contracts for difference), restructuration de créances pourries, etc.

Oui, il est plus facile de se partager le monde lorsque l’on forme un petit club et que l’on est devenu à la fois incontournable, et d’une certaine façon invulnérable, du fait de son immense périmètre commercial et capitalistique.

Les autres, les petites banques locales, les "sans grade" continuent de faire faillite au rythme de deux par semaine. Tenez, le week-end dernier, elles ont été pas moins de trois — un record depuis l’été 2007– à déposer le bilan dans l’indifférence générale !

Et dire que la Fed et le Trésor US, qui ont tant oeuvré en coulisses pour que naissent ces colossales superstructures, édictent parallèlement le principe d’une limitation de leurs engagements financiers, de leurs parts de marché, d’un encadrement de leurs (si juteuses… avant qu’elles ne deviennent ruineuses) opérations de gré à gré !

** De nombreux économistes ont récemment dénoncé l’intense lobbying des banques d’affaires auprès des membres du Congrès US, notamment ceux figurant au sein de la commission des finances du Sénat et qui préparent les nouvelles lois régissant la sphère financière… Mais est-ce que leur pouvoir d’influence va se trouver réduit du fait qu’elles sont nettement moins nombreuses ?

Est-ce que leur statut d’icônes systémiques ne va pas les inciter à mettre tout leur poids gigantesque dans la balance pour que les projets de réforme de leurs activités en tant qu’émetteurs de crédit et de contrôle de leurs opérations soient réduits à de simples mesures techniques de portée limitée ?

Ou mieux encore… pour que le Congrès vote — après moult amendements — des textes d’une lecture réjouissante pour le contribuable, qui pense reprendre la main après des années de laisser-faire, mais totalement inapplicables sur le plan pratique.

Oui, il y a un évident paradoxe dans le principe visant à créer des monstres verts (comme le dollar) qui ont la puissance destructrice du géant Hulk et de leur demander de consacrer leur temps à tricoter des napperons façon point mousse sous l’étroite surveillance de la Fed, de la SEC, de la FDIC — et parfois même du FBI lors d’enquêtes sur des escroqueries internationales ou en cas de soupçon de blanchiment de l’argent de la Mafia.
 
** Et puis il y a cet autre paradoxe : les économistes voyaient récemment éclore des bourgeons de croissance partout. Le printemps boursier s’est achevé vendredi dernier, et leur discours est en train de changer radicalement : en substance, voici venu l’été et les jeunes pousses semblent figées à un stade de développement embryonnaire.

Dans ses toutes récentes déclarations, le secrétaire au Trésor US, Timothy Geithner, ne dit pas autre chose. Il estimait à la mi-juin qu’il est prématuré d’affirmer que "nous en sommes au point où nous pouvons parler d’une vraie reprise".

La Fed pourrait laisser entendre ce mercredi que l’activité économique a touché son point bas, en faisant référence à divers scénarios de sortie de crise… mais les cambistes ont clairement manifesté ce mardi leurs doutes à ce sujet en faisant replonger le dollar de 2%, sous les 1,41/euro.

En ce qui concerne Barack Obama, qui s’exprimait mardi en fin de journée, le discours reste prudent. Il se dit convaincu que le plan de relance de 787 milliards de dollars va produire des effets bénéfiques dès cet été… mais il souligne l’importance de se montrer patient afin de voir comment l’économie évolue et quelle est l’efficacité réelle des mesures votées début février.

Il n’est pas encore question d’élaborer un nouveau plan de relance, même si le président américain a déclaré : "il est clair maintenant que le chômage va monter au-dessus de 10% dès les tout prochains mois".

L’arme du stimulus fiscal a épuisé son magasin de cartouches, lesquelles ont déjà percé bien trop de trous sous la ligne de flottaison du budget américain. Les Etats-Unis n’ont plus les moyens de s’endetter d’avantage, même si les 40 milliards de dollars de T-Notes à deux ans mis aux enchères ce mardi ont trouvé preneur sans trop de difficultés.

** Le titre de la Chronique publiée hier ("L’euro grimpe malgré son air ’emprunté’") était littéralement prophétique : nous ne pensions pas si bien dire car la Banque centrale européenne a alloué mercredi 442,241 milliards d’euros lors de sa première opération de refinancement à un an, ce qui constitue la plus grosse injection de liquidités de l’histoire ! Le précédent record était de 348,6 milliards d’euros alloués en décembre 2007, au plus fort de la tourmente provoquée par la crise du crédit.

Cette allocation, au taux fixe de 1,0%, dépasse de loin toutes les estimations et constitue l’illustration, très concrète cette fois, de la mise en oeuvre d’une politique monétaire non conventionnelle : encore un cadeau royal pour les banques… mais quelle que soit le diamètre de la corne d’abondance, cela ne va pas modifier les critères de solvabilité de leur clientèle !

Philippe Béchade,
Paris

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