▪ Les dirigeants réunis depuis hier soir à Cannes ont eu une soudaine illumination en apprenant que George Papandréou voulait soumettre l’approbation des accords de Bruxelles du 27 octobre à un vote démocratique. Ne vaudrait-il pas mieux laisser la Grèce mettre fin d’elle-même à sa calamiteuse odyssée au sein de la Zone euro ?
Comme le rappelait Valéry Giscard d’Estaing avant-hier et Jean Leonetti (le ministre français des Affaires européennes) jeudi matin, ce ne serait pas une perte immense que de voir un pays qui pèse 2% du PIB de la Zone euro (et 4% du stock de dettes) tirer sa révérence et lever l’ancre pour cingler vers des rivages économiques connus d’elle seule.
Il nous vient à l’esprit ce célèbre vers de Baudelaire : « Homme libre, toujours tu chériras la mer/La mer est ton miroir, tu contemples ton âme ».
Mais les Grecs ne sont pas libres : pas libres de voter — l’organisation d’un référendum à ce stade de la crise, c’est soit une basse manœuvre politique, soit une trahison pure et simple du point de vue allemand. Et s’ils décidaient tout de même de recourir au verdict des urnes, il leur est fortement déconseillé de déterminer eux-mêmes l’intitulé de la question.
▪ Le tandem Merkozy a déjà fait savoir que la question devrait porter sur le maintien de la Grèce dans la Zone euro, à l’exclusion de toute autre formulation pouvant induire une réponse négative — comme par exemple de demander au peuple d’approuver les mesures d’austérité ou la braderie du patrimoine national au travers des « privatisations ».
Mais que ceux qui pensent que l’Europe reste un espace démocratique se rassurent, le référendum n’aura probablement pas lieu. De nombreux députés de l’opposition et même des ministres de premier plan de l’actuel gouvernement grec ont reçu 5 sur 5 le message envoyé mercredi soir par leurs amis européens : « laissez tomber le référendum ou on vous coupe les vivres ».
Il n’a pas fallu longtemps à M. Papandréou pour réaliser (comme nous l’anticipions dès mercredi soir) que sa majorité politique se dispersait dans le paysage comme les coureurs du marathon au bout du 36ème kilomètre par un jour de chaleur orageuse.
L’orage gronde déjà au-dessus de la tête du Premier ministre grec. Les marchés parient ouvertement sur sa probable démission en cas d’échec dans sa tentative d’obtenir la confiance du Parlement grec ce vendredi.
Peut-être s’est-il montré assez habile pour obtenir la constitution d’un front uni face au péril de la faillite du pays — l’opposition grecque a visiblement pris les menaces de Nicolas Sarkozy très au sérieux — afin de faire entériner le package du 27 avril. Si tel était le cas, le peuple grec n’aurait plus son mot à dire ; la messe serait dite.
Donc à quoi bon le consulter ?
De toute façon, l’opposition semble désormais considérer qu’une réduction de 50% de l’encours de la dette et une mise sous tutelle du pays est une offre plutôt honnête.
Le Premier ministre est donc parvenu à ses fins : obtenir le soutien du Parlement, y compris des plus farouches opposants, à une remise à niveau de la Grèce made in Germany. Il pourrait prendre sa retraite dès ce week-end avec le sentiment du devoir accompli.
Mais mieux vaut ne pas se poser la question de l’après-Papandréou, ni se demander comment son pays parviendra à tenir ses engagements financiers. N’oublions pas non plus le climat social littéralement explosif… qu’un référendum sur l’appartenance à la Zone euro pouvait peut-être désamorcer, tout du moins jusqu’à la date du scrutin.
Les marchés pensent qu’en enfermant le thermomètre démocratique dans un coffre caché dans les sous-sols du Parlement à Athènes, Bruxelles, le FMI et Merkozy échapperont à l’explosion de la cocotte-minute grecque.
Laissons-les rêver un peu et savourer le bonheur d’un répit de quelques jours ou même de seulement quelques heures.
Car il ne vous aura pas échappé que les coups de théâtre s’enchaînent à une fréquence qui fait penser à un Vaudeville frénétique, de telle sorte que la presse n’a même plus le temps de faire imprimer les gros titres de la prochaine édition.
Il faudrait en sortir trois par jour, et encore… l’édition du soir risquerait d’être périmée avant que ne sonnent les 12 coups de minuit.
Les marchés ont le sentiment de voir l’histoire s’écrire sous leurs yeux. D’habitude, ils ont déjà le script en main et ils se contentent d’un travail de relecture.
Cette fois-ci, leur humeur passe de l’abattement à l’euphorie presque aussi rapidement qu’un feu de circulation passe du rouge au vert — sans même passer à l’orange dans ce cas précis.
▪ Cette journée de jeudi restera caractérisée par une volatilité record sur les places européennes. Nous avons constaté une chute initiale de 2,5% suivie d’une envolée irréversible de plus de 100 points en l’espace de quatre heures et qui s’est accélérée jusque vers 3,5%. Cela se termine sur une hausse moyenne de 2,5% des indices de l’Eurozone.
Les opérateurs ont exulté en découvrant hier une baisse de 25 points de base du taux directeur de la BCE. Mais elle a été votée à l’unanimité des membres de la BCE qui diagnostiquent déjà une récession en Europe au second semestre 2011 (et 2012 ne s’annonce pas brillant).
Par ailleurs, si le G20 mobilise tous ses efforts pour éviter une contagion de la crise des dettes souveraines à l’Italie, le mot « relance » est le grand absent des débats. L’austérité et la récession semblent faire partie de la fatalité des quatre ou six prochains trimestres.
▪ La conjoncture ne s’annonce pas plus souriante aux Etats-Unis, mais Wall Street n’a pas manqué l’occasion de surfer sur la vague haussière venue d’Europe.
Les indices américains terminent la journée au plus haut après une entame plus qu’hésitante. Le Dow Jones a refranchi les 12 000 points (+1,76% à 12 044 points, soit +4% sur 2011). Le S&P a franchi les 1 260 points, avec gain de 1,88%, le score annuel redevient également positif de 0,3%.
Toutefois, les marchés US ne se réjouissent-ils pas de façon un peu prématurée de la résolution de la crise de la Zone euro ? Même les Chinois ne veulent pas nous avancer un dollar. Ils attendent de savoir comment va fonctionner le FESF (mais qui le sait ?) et quel type de gouvernance va nous permettre d’affronter les prochaines catastrophes économiques, comme une faillite de la Grèce, avec un déclenchement des CDS si la décote de la dette dépasse les 50%.
Et puisque les trois principaux indices américains s’inscrivent dans le vert à quelques heures de la publication des statistiques de l’emploi (qui risquent encore de décevoir même si les attentes sont prudentes), comment ne pas se demander si la conjoncture le justifie ?
Le tableau macro-économique est-il plus favorable qu’il ne l’était le 1er janvier dernier alors que la croissance attendue en 2011 a été divisée par deux depuis cette date ? Les Etats-Unis ont perdu leur AAA par la faute d’une impasse budgétaire non résolue, alors que le pays supporte la faillite d’une vingtaine d’états de l’union, dont celle de la Californie qui représente un poids économique équivalent à presque cinq fois celui de la Grèce (1 450 contre 300 milliards de dollars).
Le problème ce n’est donc pas la taille du défaut de paiement — mais l’impuissance à sortir de ce genre d’impasse aux yeux des principaux créanciers de la planète.
▪ A tous ceux qui se demandent si la BCE va jouer le pompier de service jusqu’à ce que l’Europe installe des dispositifs anti-incendie, Mario Draghi a répondu de la façon la plus alambiquée. En effet, il a actionné par trois fois une véritable pompe à brouillard lors de sa première conférence de presse en direct depuis Francfort pour finalement indiqué que ce n’était pas le rôle de la banque centrale… il suffit de relire ses statuts.
N’oublions pas qu’il est probablement l’homme le mieux placé pour évaluer à quel point les moyens de la BCE sont dérisoires si toutes les banques systémiques de l’Eurozone se débarrassent massivement de leurs bons du Trésor italiens (ou espagnols) comme BNP Paribas annonce l’avoir entrepris tout au long du trimestre dernier.
Face à un tel scénario, Mario Draghi se retrouverait également comme un « nappa deuro » (le fameux anagramme de Papandréou).