La Chronique Agora

Argentine vs. USA : deux populismes, deux destins

Argentina vs United States – Symbolic Conflict or Competition with Flag Boxing Gloves

Elu comme figure de rupture, Donald Trump devait être le Javier Milei des Etats-Unis – un président iconoclaste prêt à renverser l’ordre établi. La réalité est différente.

« Il est fini, fini, c’est terminé. Les sondages sont catastrophiques. Les gens le détestent. » – Un responsable républicain à propos d’Elon Musk

Et ainsi, leurs trajectoires ont divergé. Donald Trump, élu comme figure de rupture, a choisi de rejeter la faute sur les autres – les étrangers accusés de « voler » l’Amérique depuis des décennies. Javier Milei, lui, a pointé du doigt les dirigeants de son propre pays – la « casta política » [l’élite politique] – qu’il accuse d’avoir pillé et gaspillé les richesses nationales.

Trump a dressé des barrières commerciales ; Milei les a abattues. Trump veut tenir les étrangers et leurs produits à l’écart ; Milei leur ouvre les portes. Trump s’est tourné vers la scène internationale ; Milei a recentré son action sur le territoire national.

John Dienner résume la situation :

« Les électeurs ont réélu Donald Trump dans l’espoir qu’il serait suffisamment extérieur au système pour pouvoir réduire et réorganiser un gouvernement manifestement défaillant. Beaucoup espéraient qu’il incarnerait une version américaine de Javier Milei, cet économiste devenu président de l’Argentine – un pays étouffé par des décennies de gouvernements socialistes qui ont considérablement étendu l’appareil d’Etat, accumulé une dette colossale, fait défaut à plusieurs reprises, transformé le peso argentin en une monnaie digne du Monopoly, et les travailleurs en quasi-paysans. »

Une fois au pouvoir, Trump a déclenché une guerre commerciale, affirmant qu’il était « facile de la gagner ». Mais personne ne croyait réellement que des droits de douane élevés garantissaient la prospérité – pas même Trump, semble-t-il. En effet, lorsque les marchés boursiers ont vacillé, il a rapidement fait marche arrière et proposé de négocier avec ses anciens adversaires.

Ces négociations ont abouti aux résultats attendus : les Américains doivent désormais payer plus cher les produits importés, bien que les hausses restent loin des tarifs prohibitifs initialement envisagés. Avec un taux moyen de 18,5%, la taxe douanière version Trump s’aligne sur les niveaux élevés des taxes à la consommation pratiquées en Europe.

Bien que la vie ait repris son cours presque normalement, le mal est fait. Les partenaires étrangers estiment ne plus pouvoir compter sur la bonne volonté ni sur la rationalité des Etats-Unis dans les échanges commerciaux, alors ils se tournent vers d’autres. Reuters rapporte :

« La Chine est désormais le principal acheteur du pétrole canadien transporté par l’oléoduc Trans Mountain élargi, selon les données de suivi maritime. Depuis sa mise en service il y a un an, la guerre commerciale lancée par les Etats-Unis a bouleversé les flux de brut. Bien que le pétrole reste pour l’instant exempté de droits de douane américains, le Canada a cherché à diversifier ses débouchés, en réaction aux surtaxes ponctuelles imposées par Washington sur son brut – et aux menaces, aussi extravagantes que sérieuses, de Trump ‘d’annexer’ le pays. »

Oui, le rêve d’un Milei américain a été confronté à la réalité du Trump, le bagarreur de Long Island, qui est partout et nulle part à la fois.

Le Grand Chef a fait la guerre aux nations étrangères, et s’est mêlé des affaires du Levant et des steppes. Il a négocié des contrats pour les plus grandes entreprises américaines, menacé le Canada, le Groenland et le Panama, s’est enrichi avec les crypto-monnaies, s’est attaqué aux immigrants, à l’OTAN, aux transsexuels, à Harvard, aux cabinets d’avocats, aux tribuns républicains (les seuls membres du Congrès qui veulent réellement réduire les dépenses), etc.

Pendant ce temps, les causes profondes de la fragilisation du pays ont été largement ignorées. Comme nous l’avions prédit, après seulement quatre mois, Elon Musk ne fait plus partie de l’équation. Il en va de même pour les coupes budgétaires nécessaires pour réduire le déficit.

Les déficits annuels de 2 000 milliards de dollars sont désormais devenus « normaux », alors même que nous nous acheminons vers une dette de 60 000 milliards de dollars d’ici 2035.

Donald Trump suit une trajectoire à la manière de l’Argentine, mais il s’agit plutôt du long chemin semé de crises, parcouru entre 1946 et 2023, qui a mené ce pays au bord du désespoir, que de la voie actuelle empruntée par Javier Milei.

Ce qui se passe aujourd’hui dans la pampa figure parmi les événements les plus remarquables – et les plus porteurs d’espoir – de l’histoire économique récente. Sans avoir eu à subir les catastrophes habituellement nécessaires à un revirement aussi spectaculaire – ni défaite militaire, ni révolution, ni hyperinflation (elle a pourtant bien failli survenir !), ni pandémie, ni désastre naturel – les électeurs argentins ont décidé qu’ils en avaient assez.

Après soixante-dix ans de déclin relatif, passant du quatrième ou cinquième rang mondial en richesse à la vingt-troisième place, les citoyens étaient prêts pour un véritable changement.

Et c’est exactement ce qu’ils ont obtenu.

A un niveau élémentaire, la différence entre l’approche de Milei et le discours de Trump s’explique par la différence entre les deux hommes eux-mêmes. Milei est un intellectuel, un économiste issu de l’école autrichienne. Réfléchi, discipliné, cohérent – quoique peut-être un peu fou. Trump, lui, ne l’est pas.

Les démarches de ces deux perturbateurs, aussi dissemblables soient-elles, trouvent également leur explication dans le contexte historique.

Après des décennies de politiques socialistes mises en place par son propre Grand Chef, Juan Perón, l’Argentine avait désespérément besoin de changement. Les Etats-Unis, en revanche, bien qu’en déclin depuis un quart de siècle, demeurent au sommet du monde. Les Américains ne sont pas encore prêts pour un changement de fond. Il leur faudra être plus souvent frappés par le malheur, pliés par les épreuves, avant de pouvoir adopter une forme nouvelle.

A l’heure décisive surgit l’homme providentiel. Donald Trump est cet homme…

P.-S. : Nous ne sommes pas assez naïfs pour croire que la réussite de Milei est garantie. Les politiciens socialistes argentins ne sont ni morts, ni exilés. Les parasites et les membres de la casta política ne se sont pas soudainement transformés en capitalistes honnêtes. Ils pourraient encore le faire tomber, et continuer à détruire le pays.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile