La Chronique Agora

Argent neuf, vieilles habitudes

Buffett passe au cash, Friedman se détourne de l’or et l’économie part en vrille…

Aujourd’hui, nous allons nous intéresser au dernier titre de Financially+ :

« Les conseils de Warren Buffett aux investisseurs inquiets : la ‘période incroyable’ de croissance de l’économie américaine touche à sa fin

Les récentes mises en garde de M. Buffett marquent une rupture avec sa vision optimiste habituelle de l’économie américaine. Qu’est-ce qui a conduit à ce changement de perspective ? Il s’agit d’une combinaison de plusieurs facteurs, notamment la persistance d’une inflation élevée, l’escalade des taux d’intérêt et la crise bancaire qui n’est pas terminée. L’ensemble de ces difficultés a incité Warren Buffett et son partenaire commercial de longue date, Charlie Munger, à adopter une position plus prudente quant à leurs perspectives de rendement pour l’année à venir. Munger a résumé la situation en disant : ‘Il faudra vous habituer à gagner moins.’

La prudence du duo à l’égard de l’économie se reflète également dans le portefeuille d’investissement de Berkshire Hathaway. La société a vendu une grande partie de ses actions au premier trimestre 2023, générant un produit de 10,4 milliards de dollars après comptabilisation des achats. En conséquence, les réserves de trésorerie de Berkshire sont passées de 128,6 milliards de dollars à la fin de l’année précédente à environ 130,6 milliards de dollars. »

Bien sûr, Buffett et Charlie Munger sont tous les deux des génies. Mais ils ont également eu la chance de vivre et de pouvoir investir à une époque où la banque centrale américaine injectait des milliers de milliards de dollars de nouvelles « liquidités » sur les marchés.

Cette période est révolue. Et Buffett fait ce que nous recommandons depuis un certain moment : il amasse des liquidités.

Cette nouvelle phase a débuté en juillet 2020. Sa nature exacte ? Nous ne le savons pas encore exactement. Mais elle diffère en tous points de la période qui a fait la richesse de Buffett et Munger.

Revenons en arrière…

Financiarisation et politisation

La période 1950-1980 a sans doute été le point culminant des Etats-Unis. C’est à cette époque que Buffett a appris, grâce à Ben Graham, à acheter de bonnes entreprises à bas prix et à les conserver longtemps. Plus tard, il a appris – grâce à Munger – à les acheter à des prix justes ; les acheter à bas prix était bien sûr une bonne chose, mais ce n’était pas non plus une nécessité.

Mais en 1971, les Etats-Unis ont redressé leur système monétaire… En 1980, le nouveau système était déjà en train de plier et de tordre l’ensemble de l’économie.

Avant 1980, presque tous les indicateurs étaient favorables aux Etats-Unis. Le commerce, les exportations, les emplois, les revenus, l’art, la culture… Tout y passait, le pays était n°1. Après 1980, ces indicateurs ont glissé et chuté…

Parmi eux, ces données peu remarquées, mais révélatrices.

Les salaires réels des citoyens ordinaires ont augmenté d’environ 2,3% par an au cours de la première période. Au cours de la seconde période (depuis 1980), ils sont restés stables. Le rapport d’octobre 2023 sur les salaires corrigés de l’inflation dans le secteur de la production de biens n’indique aucune augmentation depuis octobre 1978.

Deuxièmement, les transferts publics en pourcentage du PIB étaient inférieurs à 10% avant 1980. Par la suite, ils ont augmenté pour atteindre près de 20% en 2020 et sont maintenant redescendus à 15%.

Il y a eu un tournant. Après 1980, le pourcentage de la production totale dépensée par quelqu’un qui ne l’a pas gagnée a augmenté. Le système monétaire d’après 1971 a favorisé la « financiarisation » et la politisation – et non les nouveaux produits et services. Si la richesse globale a augmenté, elle n’est pas allée dans les mains des salariés qui l’ont gagnée. Elle est allée dans les mains de ceux qui ont bénéficié des « transferts »… et à Wall Street.

Le bois tordu

L’économie réelle est composée de personnes qui offrent des biens ou des services à d’autres, en échange d’argent qu’elles utilisent pour acheter des biens ou des services à d’autres.

C’est ainsi que l’économie avant 1980 se portait si bien. La production de biens et de services de meilleure qualité augmentait la richesse réelle. Les salaires ont donc augmenté.

Après 1980, le scénario a changé. L’argent nouveau était plus malléable et plus facilement persuadé de se diriger vers les poches de ceux qui le contrôlaient.

Ce nouveau système monétaire est en grande partie la création de Milton Friedman. Il pensait pouvoir éliminer l’inflation et la déflation en supprimant l’or. Selon lui, les gens n’auraient d’autre choix que de s’en tenir à l’argent papier du gouvernement et n’auraient aucune raison de ne pas le faire.

Friedman était un économiste brillant, mais il n’était pas très doué pour reconnaître un morceau de bois tordu. Dans son monde théorique, les économistes de la Fed autoriseraient une augmentation des avoirs de la Fed (qui remplaceraient l’or comme lest du système) de 3% par an. Personne n’aurait de raison de craindre l’inflation, puisque les génies de la Fed n’en feraient jamais trop. Et personne n’aurait non plus de raison de craindre un effondrement semblable à celui de la Grande Dépression, puisque la Fed pourrait injecter une quantité infinie de « liquidités » dans le système bancaire, ce qui rendrait presque impossible une déflation à l’échelle du système.

Argent neuf, vieilles habitudes

Mais dans le monde réel, les gens ne sont ni toujours bons, ni toujours mauvais, mais toujours influençables. Et imprimer de l’argent a toujours triomphé de la prudence et de la bienséance.

Comme nous l’avons vu hier, la Fed a constamment augmenté la masse monétaire, bien au-delà du taux de croissance du PIB, atteignant 9 fois l’objectif de 3% de Friedman pendant les pires années de l’ère Trump. Cet argent neuf n’a pas été gagné ; il a été emprunté. Principalement par Wall Street et les fédéraux eux-mêmes.

Et voici le résultat…

La dette totale par rapport au PIB était d’environ 150% au cours de la première période, de 1950 à 1980… Elle est passée à 350% au cours de la deuxième période, de 1980 à 2020.

L’argent neuf a directement augmenté la dette collective, indirectement augmenté les prix des actions et des obligations, et a permis à Buffett et Munger de gagner beaucoup d’argent pour eux-mêmes et leurs actionnaires.

Ce chapitre est désormais clos. L’histoire d’aujourd’hui – économique, financière, politique – est différente à presque tous les égards. Les nouvelles liquidités ont été empruntées et dépensées, mais le fardeau de la dette demeure… ainsi que la crise de la dette liée à l’inflation et à la déflation que Milton Friedman pensait avoir évitée.

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