La Chronique Agora

Marchés actions : la fin de l’argent facile ?

▪ Oui, c’était la belle époque. 1980-2015. Nous avons ri. Nous avons pleuré. Nous nous sommes mariés. Nous avons élevé des enfants. Nous avons acheté des maisons. Nous avons gagné de l’argent.

Qui n’a pas vu son existence améliorée, depuis la fin des années 70 ?

Devrions-nous simplement nous arrêter là… heureux d’avoir passé un si bon moment ensemble ? Devrions-nous simplement remercier la divine Providence… ou les autorités profanes… pour nos cuisines équipées, pour les cours de nos actions, pour nos familles et nos fortunes ? Ou bien devrions-nous regarder dans les placards et sous le tapis ? Ou bien, peut-être… devrions-nous vérifier les comptes ?

Dans la vie, mieux vaut ne pas remettre en question son bonheur en mariage ; mais serait-il aussi bête de se poser des questions sur la félicité générée par un marché haussier de 35 ans ?

Hier, le Dow a ouvert à 17 867 points — non loin d’un sommet historique… et approximativement 16 900 points plus haut qu’il y a 35 ans. La presse a été unanime sur ce qui s’est passé :

"Glissade des valeurs US après le témoignage de Yellen".

Que contenait ce témoignage pour que les investisseurs pensent que leurs actions avaient moins de valeur à 16h qu’elles n’en avaient à 9h ?

"Yellen laisse sous-entendre une hausse des taux en décembre".

Les investisseurs ne sont pas idiots. Ils savent que la partie est truquée

Les investisseurs ne sont pas idiots. Ils savent que la partie est truquée. La valeur d’une action n’est plus déterminée par le commerce honnête — la fabrication et la vente de choses. Elle est désormais dépendante de la finance — et plus précisément de la somme que la Fed demande à ses membres pour les prêts overnight. Ce chiffre — aussi minuscule soit-il — peut avoir un effet énorme. S’il est fixé au "mauvais" niveau, une grande partie de la valeur accumulée au cours des 35 dernières années pourrait s’évaporer — perdant jusqu’à 50 000 milliards de dollars, selon nos calculs.

▪ Bons pères de familles et coquillages
Nous avons parlé cette semaine de "comment nous en sommes arrivés là". Nous avons fait allusion à plus de trois décennies d’argent facile… menant à une gigantesque augmentation de la masse monétaire mondiale. En gros, elle a augmenté de 500 milliards de dollars en moyenne par an, tous les ans, depuis un quart de siècle. Allan Sproul a fait ses débuts en rejoignant la Fed en 1920. Il est resté dans le secteur bancaire jusqu’en 1969, devenant président de la puissante Réserve fédérale de New York dans les années 40. A sa mort, en 1978, il pensait avoir tout vu.

"A mesure que les obligations ‘de bon père de famille’, tant publiques que privées, voient leur prix grimper sous la pression de l’abondante masse monétaire", écrivait-il en 1946, "les fonds s’écoulent de plus en plus dans des titres moins bien notés, dans les valeurs boursières et dans les matières premières, l’immobilier et autres marchés".

Quand on fait des choses bizarres avec l’argent… ça provoque des événements tout aussi bizarres

Dommage qu’il n’ait pas vécu quelques décennies de plus. Nous aimerions voir sa tête aujourd’hui. Les fonds sont devenus un véritable torrent s’écoulant dans les actions, les obligations et l’immobilier, exactement comme il l’avait prédit. Cette inondation d’argent facile a créé le delta d’abondance dans lequel nous vivons aujourd’hui. Malheureusement, il ne durera probablement pas, parce que quand on fait des choses bizarres avec l’argent… ça provoque des événements tout aussi bizarres.

Telle est la leçon de la superbe étude en trois volumes de Vivek Kaul, Easy Money ["Argent Facile", ndlr.]. Vivek, chef économiste dans notre bureau de Bombay, remonte loin… bien avant l’administration Carter… aux débuts de la monnaie, aux coquillages et aux fèves de cacao.

En fait, on peut tout utiliser comme monnaie. Dans le Maryland et la Virginie de l’époque coloniale, le tabac était largement utilisé comme tel. Dans les camps de prisonniers de la Deuxième guerre mondiale, à nouveau, le tabac — les cigarettes — était la monnaie de choix.

Vivek retrace le développement de la devise et de l’activité bancaire depuis leurs origines jusqu’à la crise de 2008-2009 et après.

Son récit du Krach de 29 et de la Grande dépression qui s’en est suivie est particulièrement intéressant. Il se passait tant de choses, si rapidement… avec tant de tripatouillages et d’interventions… qu’il devait être impossible de suivre les événements, même si l’on se trouvait au beau milieu. Aujourd’hui encore, huit décennies plus tard, après que l’histoire a été contée par des géants — Galbraith, Keynes, Friedman et Rothbard –, chacun ayant son point de vue, il est difficile de ne pas se perdre dans les détails. Il se passe quelque chose sur les marchés… les autorités réagissent maladroitement… ça engendre des conséquences imprévues… qui causent plus d’actions sur les marchés… menant les autorités à faire encore plus d’âneries. Une sottise en entraîne une autre… tout au long de la Grande dépression. Finalement, la Deuxième guerre mondiale arrive, et une toute nouvelle série d’erreurs commence.

Vivek s’est donné pour but de décrire comment le monde de l’argent actuel est devenu ce qu’il est. Il démontre comment des théories simplettes et intéressées, ainsi que les chicaneries et les vols de bas étage habituels, ont causé nombre de migraines au cours des siècles. En ce sens, il n’y a vraiment rien de particulier en ce qui concerne notre génération ou le boom des 35 dernières années. Les rêves d’"Argent Facile" sont toujours les mêmes.

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