** Les marchés ont un peu baissé. Nous ne serions pas étonné de les voir baisser plus encore — pas uniquement parce que les bourses viennent d’enregistrer leur plus grande remontée en deux mois depuis les années 30, mais également parce que l’économie reste tout aussi malade qu’elle l’était le 9 mars dernier, date où le rally boursier a commencé.
– La seule chose qui ait changé dans l’économie, ces deux derniers mois, c’est la manière dont les gens en parlent. Début mars, alors que le Dow enregistrait des plus bas de 12 mois, les medias parlaient continuellement de ruine et de crise. Une seconde Grande Dépression semblait certaine.
– Mais maintenant que l’indice des blue chips américaines a repris pas moins de 2 000 points, la plupart des membres de la presse ont abandonné la cause "ruine et crise". "L’économie se remet", disent-ils. "Les données macro-économiques montrent des signes d »amélioration’ et de ‘stabilisation’" — le Jour du Jugement est passé, pensent-ils. Ne restent plus que le pays du miel et du lait et le remboursement des fonds versés dans le cadre du TARP.
– "Même si les chiffres [économiques] sont encore mauvais, ils sont moins mauvais", rayonnait un investisseur professionnel typique vendredi dernier.
– Et alors ?
– Chuter plus lentement, c’est toujours chuter… ce ne sera jamais grimper.
– Alors jetons un coup d’oeil objectif à certains des chiffres économiques récents… puis décidons si ces données montrent des signes d’"amélioration" et de "stabilisation".
** Vendredi dernier, le département du Travail américain annonçait que 539 000 travailleurs avaient perdu leur emploi au cours du mois d’avril. Les investisseurs ont accueilli ces pertes avec jubilation, parce qu’elles étaient "moins importantes que prévu". Mais dans le même temps, le département du Travail révisait les pertes d’emploi de février et de mars en y ajoutant 66 000 de plus que les chiffres annoncés à l’origine.
– En d’autres termes, si on ajoute les pertes révisées de février et de mars au total d’avril, on obtient 605 000 emplois perdus en avril, et non 539 000. Mais même en prenant au pied de la lettre les statistiques du département du Travail, on se retrouve avec 1 238 000 pertes d’emploi depuis que le rebond boursier a commencé début mars. Quels autres signes de "stabilisation" sont apparus aux Etats-Unis depuis le début du rebond ? Voici une petite liste :
– La production industrielle a chuté pour le sixième mois consécutif — atteignant son plus bas niveau depuis 1998.
– L’indice ISM d’activité industrielle chute depuis sept mois d’affilée.
– L’utilisation des usines a atteint son niveau le plus bas depuis qu’on a commencé à enregistrer ces chiffres, en 1967.
– L’indice S&P/Case-Shiller des prix de l’immobilier a enregistré son 25e mois de baisse consécutif.
– 600 000 ménages de plus ont vu leur maison saisie.
– Le nombre de propriétaires ayant plus de 60 jours de retard sur le remboursement de leur prêt hypothécaire à grimpé à plus de cinq millions.
** De toute évidence, les investisseurs ne complotent pas les uns avec les autres pour ignorer les données économiques menaçantes. Ca arrive, simplement. Les illusions heureuses sont contagieuses. Les êtres humains voient parfois ce qu’ils veulent voir… et ne voient pas ce qu’ils ne veulent pas voir.
– Nous préférerions de loin imaginer les bourgeons d’une reprise plutôt que de nous confronter à la pourriture de la décomposition économique. Et nous préférerions de très loin voir les prix des actions grimper en flèche plutôt que de s’effondrer. Alors quel mal y a-t-il à un peu d’illusions optimistes ?
– Eh bien… pas le moindre mal, tant que les illusions persistent. Mais si les chiffres économiques ne continuent pas à inspirer des arcs-en-ciel, des licornes, des petits coeurs roses, des câlins et d’autres vibrations positives, les cours boursiers pourraient reculer pendant quelque temps. Et ce serait dommage.
– Les marchés font l’opinion — nous ne nous lassons pas de le rappeler à nos lecteurs. Il n’est donc pas surprenant qu’un gigantesque rebond de 2 000 points sur le Dow ait généré la conviction très solide que l’économie se reprend.
– Mais votre correspondant n’y croit pas. Le marché n’a pas fait notre opinion. Au contraire, nous pensons que le marché a perdu la tête. La seule raison pour laquelle nous n’avons pas perdu la nôtre, c’est que nous comprenons que les marchés ne reflètent pas les réalités économiques sous-jacentes à chaque seconde. Parfois, les prix des actions sur-réagissent à la baisse, parfois, ils sur-réagissent à la hausse, et parfois, ils vont si loin qu’on se demande s’ils vont revenir un jour.
– Nous pensons que le marché a sur-réagi à la hausse ; il va peut-être continuer. Mais la récession n’est pas terminée, et un Dow à 2 000 points n’y mettra pas fin. La crise du crédit n’est pas terminée non plus. Et un stress test bidon n’y mettra pas fin… non plus.