La Chronique Agora

L’alliance France/Etats-Unis aurait des limites

France, Etats-Unis, Emmanuel Macron, Chine

Que retenir de la visite en Chine d’Emmanuel Macron ?

Sur le plan économique, son déplacement en compagnie d’une délégation d’une cinquantaine de dirigeants d’entreprises français a été l’occasion d’annoncer officiellement la signature de nombreux contrats négociés en amont.

De mauvaises langues diront que Pékin s’est contenté du « service minimum », aussi bien en matière d’accueil protocolaire que de coopération économique, lors de la visite du président français. Elle s’était montrée bien plus empressée auprès de la Malaisie, en signant simultanément pour 40 Mds$ d’investissement avec ce pays producteur de pétrole et co-fondateur de l’Asean en 1967. Pour se représenter les rapports de force : son PIB ne dépasse pas 380 Mds$, contre 3 000 Mds$ pour la France.

Les 10 membres actuels de l’Asean viennent par ailleurs d’adopter le principe d’un règlement de leurs échanges en yuans avec la Chine, et de préférer leurs propres devises pour leurs échanges bilatéraux plutôt que le dollar… redoutant peut-être que leurs avoirs en billets verts puissent être confisqués comme ce fut le cas dans le cadre des sanctions visant la Russie il y a un an.

De façon plus concrète, la Malaisie – et son nouveau Premier ministre Anwar Ibrahim – ne décrochent pas d’un coup 40 Mds$ d’investissements chinois. Il s’agit de la relance d’une partie des projets gelés lors de l’éviction du pouvoir de Najib Razak (Premier ministre de 2009 à 2018), qui avait conclu avec la Chine des accords de construction d’infrastructures peu transparents et surtout désavantageux pour son pays, d’un montant de 20 Mds$. Il a écopé de 12 ans de prison pour corruption dans l’affaire 1MDB, fin juillet 2020.

Les autres accords sino-malaisiens portent sur un renforcement de la coopération dans l’automobile, l’énergie, la culture, le tourisme, l’agriculture et l’économie numérique.

Des avions et des sacs

Sans vouloir minimiser à tout prix les accords conclus avec les entreprises françaises, le plus significatif concerne Airbus qui offre à la Chine l’opportunité de conforter sa place de troisième constructeur aéronautique mondial.

Airbus va doubler sa capacité de production d’avions A320 en Chine grâce à une deuxième ligne d’assemblage sur son site de Tianjin (près de Pékin), qui devrait entrer en service au second semestre 2025.

Ce sont surtout des millions d’heures de travail pour les salariés chinois, et quelques royalties en plus pour Airbus.

L’avionneur européen dispose déjà d’une chaîne de production de monocouloirs A320 depuis 2008, qui a déjà produit plus de 600 appareils, soit environ 40 par an, contre 53 en France en 2022 (pour rappel : Airbus a produit 661 appareils en France pour la seule année 2022, contre 861 en 2019, avant la crise du Covid).

Airbus Helicopters a également signé un contrat de 50 exemplaires de son nouvel hélicoptère multimissions H-160 auprès du loueur chinois GDAT. Ce contrait donnera en revanche effectivement du travail à des Européens.

Quel rôle Emmanuel Macron a-t-il joué dans cette signature ? Probablement aucun.

Alors nous en revenons à la question initiale : que retenir de la visite en Chine d’Emmanuel Macron ?

Sur le plan économique, la presse chinoise a davantage fait de place à la relance des échanges avec la Malaisie qu’aux relations commerciales avec la France, lesquelles passionnent moins que le design du prochain sac à main Louis Vuitton.

Retournement de veste

Sur le plan diplomatique, Macron a prié Xi Jinping jeudi de ramener son homologue Vladimir Poutine « à la raison » (sous-entendu : vous coopérez avec un dingue). Puis le n°1 chinois a donné son feu vert dès le lendemain à de grandes manœuvres consistant en la simulation d’une offensive sur Taïwan (qui a fait l’objet d’un véritable blocus ce week-end de Pâques) en vue de reprendre le contrôle de l’île.

En résumé : Macron est venu demander à Xi Jinping de s’imposer comme faiseur de paix en Ukraine et, alors que son avion présidentiel décollait, le leader chinois lui a offert le spectacle de préparatifs d’une guerre de reconquête qui a dû mettre les observateurs de Washington et du Pentagone sur des charbons ardents.

J’ai du mal à évaluer comment Emmanuel Macron a vécu ce camouflet dantesque… mais cela semble avoir éveillé en lui l’envie de se fâcher également avec Joe Biden. Lors de son vol de retour, Macron a estimé que l’Europe doit réduire sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et s’affranchir de l’extraterritorialité du dollar :

« Le grand risque auquel l’Europe est confrontée, c’est d’être emportée dans des crises qui ne sont pas les nôtres, compromettant ainsi notre capacité à construire notre autonomie stratégique. Le paradoxe serait que nous nous mettions à suivre la politique américaine, par une sorte de réflexe de panique. » (Ou de soumission volontaire ?)

Et Macron rajoute :

« La question qui nous est posée à nous Européens est la suivante : avons-nous intérêt à voir une accélération sur le sujet de Taïwan ? Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise. »

Xi Jinping l’a-t-il convaincu que l’Europe s’est fourvoyée dans la crise ukrainienne, et qu’elle ferait bien de ne pas se mêler d’une possible crise dans le détroit de Formose ?

Avouons que ce serait déjà un retournement vertigineux. Mais, conclure son déplacement en Chine par un appel à peine voilé à prendre ses distances avec le dollar, c’est carrément renversant !

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