▪ En matière de sauvetage financier comme dans le cas d’un arrêt cardiaque par noyade, le timing de l’intervention est crucial. Si le défibrillateur entre en action dans les trois minutes, le patient sera réanimé et il n’y a aucune séquelle neurologique. Au bout de cinq minutes, il faut ajouter une suroxygénation pour assurer le bon redémarrage du cerveau… Et au bout de six minutes, vous pouvez toujours faire repartir le coeur mais le cerveau est irrémédiablement lésé et l’ex-noyé devient un « légume ».
La Grèce a déjà subi trois arrêts cardiaques depuis décembre 2009 : à chaque fois, l’Allemagne a tout fait pour allonger le délai de réanimation. Déjà très « hors limite » la première fois, les Européens ont perdu un temps fou à ergoter sur les circonstances de la noyade au lieu de vider l’eau des poumons.
C’est à croire que l’Allemagne voulait s’assurer que la Grèce ne pourrait jamais se relever pour contracter de nouvelles dettes : « un légume n’a pas besoin de chéquier ».
Depuis, la Grèce a refait deux infarctus et nous en prépare un troisième. Avec un bon coup de jus et une injection d’adrénaline dans le coeur, le pouls sera une fois de plus relancé et le diagnostic de la mort clinique sera encore repoussé de quelques jours ou quelques semaines.
A notre avis, l’Europe se contente de gagner du temps pour organiser la succession (la sortie de l’euro d’Athènes)… mais c’est très compliqué parce qu’il y a beaucoup d’héritiers et que la Grèce ne lèguera que des dettes aux survivants de la Zone euro.
▪ Un héritage… délicat
Or en l’occurrence, il n’est pas possible de renoncer à sa part d’héritage. Il va falloir assumer — et chacun tentera de prouver qu’il n’était qu’un très lointain cousin par alliance et n’a rien à voir avec l’impécuniosité du cher disparu… qui affiche désormais une dépression économique de -7%.
La plus embêtée dans l’histoire pourrait bien être la BCE. Elle a toujours refusé d’ajuster la valeur des créances qu’elle détient sur la Grèce, comme si les marchés pouvaient encore croire que cet argent sera intégralement remboursé quand les autres détenteurs ont passé 80% à 90% de provisions.
Cela équivaut à reconnaître un défaut presque intégral… mais par une pirouette sémantique et technique, le défaut n’a pas été prononcé. Les CDS n’ont donc pas été activés et une réaction en chaîne affectant l’ensemble du système bancaire a ainsi pu être évitée.
Un évènement local aurait pu, si l’on s’y était mal pris, se transformer en évènement systémique.
Un « évènement systémique », c’est typiquement ce qui se produirait si l’Espagne devait faire l’objet d’un plan de sauvetage (avec restructuration de la dette et passage de provisions massives sur la dette par tous les créanciers).
Un tel évènement peut-il se produire ? Intellectuellement non, puisque cela signifierait la mort de la Zone euro. Mais techniquement, c’est tout à fait possible ; c’est d’ailleurs précisément ce que les marchés anticipent à l’horizon 2014 avec des taux à deux ans qui flirtent avec les 7% tandis que le 30 ans affiche « seulement » 7,3% (contre 7,65% pour le 5 ans qui paye mieux que le 10 ans).
Une inversion de la courbe de taux prédit un incident de crédit quasi-certain dans un délai inférieur à 18 ou 24 mois. Ceux qui détiennent des emprunts échéance 2022 peuvent voir venir…
Si le scénario est le même que pour la Grèce, tous les créanciers seront plumés, toutes échéances confondues : les Etats, la BCE, mais également votre banquier et votre assureur-vie.
Ce sera la fameuse euthanasie des rentiers… parce que ceux-là théoriquement ne dressent pas de barricades.
Seul un achat massif de la dette espagnole par la BCE permettrait de détendre la situation et de repousser les échéances. Cela ne réglerait rien sur le fond, mais alimenterait l’espoir qu’un MES doté d’un statut bancaire — et se refinançant auprès de la BCE — pourrait dissuader de nouvelles attaques spéculatives contre l’Espagne ou l’Italie en attendant qu’une supervision européenne des dettes et une ébauche d’harmonisation fiscale voit le jour.
Pour construire une digue (ou élever des remparts), il faut au moins que les eaux refluent ou que les boulets cessent de pleuvoir.
▪ Les médecins ont perdu la tête
Nous entendons depuis quelques jours des arguments qui nous laissent pantois : la tension sur les taux espagnols va cesser de s’aggraver parce que Madrid va suspendre ses émissions obligataires au mois d’août, trêve estivale oblige !
Autrement dit, puisque l’on va cesser de prendre la température du malade, la courbe de la fièvre va se stabiliser au cours des prochaines semaines : voilà une intuition brillantissime… Et ce sont des gérants et des stratèges de maisons de courtage réputées qui l’expriment sans rougir de honte sur différents médias économiques.
Il en est un sur lequel on peut toujours compter pour rassurer le « gogo » américain et taper à bras raccourcis sur l’Europe (symbole de tous les dysfonctionnements) : il s’agit du Wall Street Journal. Il a remis sur le tapis mardi soir la thèse d’une intervention imminente de la Fed — comprenez la remise en route de la planche à billets.
L’article ne contient aucune information nouvelle, aucun communiqué plus ou moins officieux de la Fed… C’est juste un petit shoot psychologique, censé préfigurer une vraie belle seringuée de nouvelles liquidités d’ici le mois de septembre.
▪ Une séance qui n’a guère de sens
Sans l’agitation de cet épouvantail à ours (le bear symbolise le vendeur mû par un pessimisme radical), Wall Street aurait certainement perdu plus de 3% depuis le début de la semaine, les indices américains ayant beaucoup d’avance sur leurs homologues européens… mais la chute de 5% d’Apple ne les faisait même pas reculer mercredi à la mi-séance.
Les places du Vieux Continent, se raccrochant également à l’espoir d’une intervention de la Fed, ont enrayé une chute de 6% en quatre séances. Le CAC 40 affichait +0,23% au final, après être repassé dans le rouge vers 17h.
Le rebond de la mi-journée, provoqué par un indice IFO déprimant en Allemagne (si, si… vous avez bien lu, il n’y a pas de coquille), n’a pas tenu. Le CAC 40 a testé les 3 110 points au moment le plus creux de la journée ; quand les volumes se sont de nouveau étoffés, c’était des flux vendeurs.
La tendance s’est franchement dégradée à partir de 16h avec la publication des mauvais chiffres des ventes de logements neufs aux Etats-Unis (-8,4% au lieu d’une stabilité attendue)… mais deux heures plus tard, Wall Street repassait positif.
Toutes les mauvaises statistiques du jour tombent au meilleur moment puisque les marchés ont besoin de s’assurer que l’économie est au plus mal pour jouer à fond la carte des banques centrales — d’où l’enthousiasme abscons suscité par le piètre IFO de juillet.