▪ N’importe quel scénario de marché oscillant entre euphorique et totalement haussier semblait compatible avec le contenu de l’actualité boursière à la veille du week-end. Si les indices ne grimpent plus lors d’une déferlante de bonnes surprises micro- et macro-économiques, quand le feront-ils ?
Les meilleurs chiffres concevables pour une saison de trimestriels n’y ont cependant rien fait. Le CAC 40 a terminé en repli de 0,33%, au plus bas du jour et juste au-dessus du palier des 3 800 points (3 808 très précisément). Le tout dans des volumes conséquents de 4,3 milliards d’euros (contre 3,3 milliards la veille) alors que nombre de titres, trackers et warrants n’ont pas coté pour cause de panne des systèmes informatiques d’Euronext.
Les places européennes ont connu dès la réouverture de Wall Street des évolutions des plus improbables alors que les quatre grandes références du Nasdaq (Apple, Amazon, Microsoft et Yahoo!) ont publié des trimestriels qui battaient le consensus à plate couture. Amazon s’est envolée de 27,5% vendredi… il doit y avoir du rachat massif de vendeurs à découvert là-dessous !
Les indices américains étaient attendus en hausse de 0,5% à 0,8%. Ils perdaient symétriquement entre 0,5% (Nasdaq) et 1,3% (S&P 500) au moment de la clôture. Le Dow Jones (-1,1%) terminait quant à lui sous les 10 000 points, soit une perte hebdomadaire de 1,2%.
La tradition veut que le fait accompli se manifeste lors de publications de profits en ligne avec les attentes (ou un peu supérieurs). Cependant, aucun effet de contagion haussière ne parvient plus à se matérialiser, même en présence d’authentiques surprises comme les trimestriels de Microsoft ou Yahoo!.
▪ Tout se passe comme si les chiffres hors norme publiés récemment étaient le signal que beaucoup d’institutionnels attendaient pour prendre leurs bénéfices — quels que soient les relèvements d’objectifs associés aux résultats.
Cela démontre surtout que beaucoup d’opérateurs ne prennent plus le soin de cacher leur jeu. Ils ressentent l’urgence d’alléger leurs positions avant que tout le monde commence à comprendre de quelle manière la partie est truquée ; les analystes ont sous estimé 81% des résultats déjà parus, c’est un record absolu !
Cela fait une dizaine de jours que le phénomène "whisper numbers" (les chiffres qui circulent entre initiés par opposition à ceux communiqués aux journalistes), que nous dénonçons depuis la fin du mois de juillet, commence à s’imposer comme une évidence. Cela même auprès d’un public qui voudrait continuer de croire qu’après la crise de 2008, le monde de la finance avait à coeur de s’amender.
Les gérants et les traders s’inspirent des (vraies) estimations qui circulent dans les salles de marchés. Les prévisions officielles des analystes financiers, en revanche, semblent avoir pour principal objet de déclencher des rafales d’achats d’arrière-garde… qui permettent de solder les positions au sommet de la vague.
Amazon (porté par le succès du livre numérique Kindle) a effectivement suscité un réel étonnement même chez les plus ardents supporters du groupe. Malgré tout, le titre se payait entre 45 et 53 fois les profits anticipés en 2010 avant l’annonce… et désormais entre 50 et 56 fois 2010 avec son nouveau record historique de 120 $.
Nous voici revenus à des multiples dignes des heures les plus folles de la bulle internet. 10 ans se sont écoulés depuis cette époque et le temps semble avoir effacé le souvenir des bonnes résolutions de ceux qui juraient fin 2002 qu’on ne les y reprendrait plus. Google, par exemple, se paye 22 à 25 fois 2010, partant d’un cours de 550 $.
Les valeurs du CAC 40 vaudraient 15 fois les profits 2010. Ce n’est pas astronomique… mais c’est certainement déjà beaucoup trop élevé si la reprise ne dépasse pas les 1% en France et 2% aux Etats-Unis… Si la croissance continue de boiter bas l’an prochain, des tels multiples seront jugés intenables.
▪ A Paris, beaucoup d’opérateurs continuent de croire fermement au test des 4 000 points avant la fin de l’année. Même si le potentiel n’est que de +5% sur la base des planchers de la semaine dernière (3 810/3 820 points), l’illusion de pouvoir les engranger sans faire d’insomnies — parce que l’indice VIX est au plus bas depuis un an — ravive l’appétit des acheteurs.
Ils étaient bien présents dès l’ouverture vendredi (+1,35% d’entrée de jeu). Le CAC 40 grimpait encore de 1,4% (à 3 870 points) peu avant la reprise des cotations à Wall Street.
Mais le marché parisien a vu fondre la totalité de ses gains en moins d’une heure ; le score hebdomadaire, qui était encore positif de 1,1% en milieu d’après-midi, s’est retourné pour atteindre -0,5%. Un paradoxe total compte tenu du rebond de 9,4% des reventes de logements anciens aux Etats-Unis en septembre, dévoilé à 16h. Le pari sur une consolidation semblait d’une audace inouïe à 90 minutes de la clôture.
La hausse aurait effectivement dû être au rendez-vous à Paris : beaucoup d’entreprises du CAC 40 (notamment les constructeurs automobiles et la distribution) étaient directement bénéficiaires du net rebond (+2,3%) des dépenses des ménages français en produits manufacturés au mois de septembre.
Cette hausse compense en grande partie les baisses de juillet (-1,1%) et août (-1,0%). Le trimestre s’achève sur une stagnation et non un recul de la consommation. L’envol de 10% des dépenses d’achat de voitures neuves explique en grande partie ce bon résultat ; les achats de fournitures scolaires ont également soutenu l’activité dans les secteurs du textile/habillement et de l’électronique grand public.
▪ Le climat des affaires s’est encore amélioré en Allemagne au mois d’octobre, selon le dernier indice de l’institut IFO. Toutefois, l’embellie n’a pas été aussi forte que Francfort l’anticipait (le DAX 30 a chuté de 04%). Les économistes de l’IFO se contentent d’évoquer une reprise "hésitante" au sein de la première économie de l’Europe.
▪ En Grande-Bretagne en revanche, à la surprise générale, c’est un sixième trimestre de récession qui s’enchaîne, avec une nouvelle baisse de 0,4% du PIB… Cela a fait plonger la livre sterling de 1,5% contre le dollar et l’euro — mais la Bourse de Londres, en revanche, a progressé.
Elle fut la seule à terminer dans le vert (+0,65%). C’est là la preuve du genre de logique tordue et pernicieuse en vogue à la City : plus les chiffres sont mauvais, plus cela renforce la probabilité d’un maintien des taux zéro propices à une orgie de spéculation.
Mais l’euphorie de la City, loin de susciter l’admiration de la population britannique, commence à susciter des commentaires acerbes. Et ce aussi bien dans les rangs de l’opposition conservatrice (et libérale) que dans ceux de la fragile majorité qui soutient le gouvernement de Gordon Brown.
Ce sont les commentaires d’Alistair Darling, le ministre de l’Economie, vendredi matin qui ont paradoxalement dopé la confiance de la Bourse londonienne.
Il s’est dit confiant dans la proximité d’un rebond imminent de la croissance. Il a cependant également déclaré qu’il ne commettrait pas la "folie" de suspendre maintenant les mesures de soutien à l’économie du pays (sous-entendu au système bancaire) — alors que le Royaume-Uni est confronté à la plus grave crise financière et à la plus grave récession qu’il ait connu depuis 60 ans.
C’est une autre manière promettre aux brasseurs d’argent le maintien de la manne de l’argent gratuit (à 0,5%) pendant encore de longs mois. Le plongeon de la livre a déjà fourni l’occasion de mettre en oeuvre un fructueux carry trade en faveur de l’euro. Ce dernier a bondi de 1,7% en moins d’une demi-journée vendredi.
▪ De l’argent vite et bien gagné… En ce qui concerne la hausse de 0,6% des valeurs britanniques, c’est le fruit du pari sur les effets positifs du dumping monétaire.
Entre "whisper numbers", carry trade (spéculation sur les écarts de taux ne produisant aucune richesse réelle) et "bull traps" (pièges tendus aux vendeurs), ceux qui confondent la hausse des marchés avec Alice au Pays des Merveilles risquent de découvrir que tout a été orchestré par le Chapelier Fou agissant sur ordre d’une Dame de Pique hurlant : "décapitez-les tous" !