La Chronique Agora

Affaire Kerviel, un an déjà…

** Tout seuls, comme des grands, les indices européens se sont offert lundi une rechute de 4,5% (en écart absolu) en quelques heures. Elle a emporté au passage des supports graphiques tels que les 3 000 points sur le CAC 40, les 4 300 points sur le DAX et les 1 700 points sur l’Eurotop 100.

Le rebond initial de 2,25% à Paris semble n’avoir servi qu’à donner un peu plus d’élan aux valeurs françaises pour mieux rebaisser et casser avec détermination le palier de soutien des 3 000 points (-0,9% à 2 989 points).

Les places européennes ont en quelque sorte célébré le premier anniversaire du mini-krach Kerviel par un plongeon des valeurs bancaires qui n’a rien à envier à celui du lundi 21 janvier 2008. Hier soir, Société Générale plongeait d’ailleurs de 10,25%… à comparer avec les 8% perdus un an auparavant en pleine tourmente.

Crédit Agricole et BNP Paribas ont chuté de 5,5% en moyenne sans aucune information émanant de ces sociétés. Elles subissent la contagion des banques britanniques HSBC (-7%), Barclays (-11%), Lloyds TSB (-34%) et Royal Bank of Scotland (-66%). Cette dernière fait l’objet d’une nationalisation suite à la conversion d’actions préférentielles hier.

Le montant des pertes trimestrielles record de Royal Bank of Scotland laisse craindre que d’autres banques en Zone euro n’annoncent de nouvelles dépréciations massives de leur portefeuille de dérivés de crédit. Elles seraient alors contraintes de recourir à des augmentations de capital accompagnées de réduction drastique ou de suppression pure et simple du dividende.

Si, aujourd’hui, des géants comme Citigroup, Bank of America ou JP Morgan imitent les banques du Vieux Continent, le Dow Jones pourrait rapidement casser les 8 000 points et confirmer le risque de glissade vers de nouveaux plus bas en 2009. Nous sommes tout particulièrement inquiet au sujet du crédit à la consommation et des sociétés qui délivrent de la plastic money. American Express, Mastercard et Visa (introduite en Bourse dans l’urgence avant que ses affaires tournent au vinaigre) nous semblent très exposées.

** En l’absence de toute statistique américaine ainsi que de cotations à Wall Street — en congé comme chaque troisième lundi de janvier pour le Martin Luther King’s Day), la brutalité du retournement de tendance a surpris. Cependant, l’intensité de la volatilité s’avérait inversement proportionnelle aux volumes, qui sont proprement dérisoires avec tout juste 2,5 milliards d’euros échangés sur l’ensemble de la séance à Paris.

Il y a bien entendu des raisons objectives pour justifier à tout moment une bourrasque de ventes dans de nombreux secteurs de la cote — période des trimestriels oblige — mais les mauvaises nouvelles que l’on invoquait lundi soir concernant les banques britanniques étaient déjà connues en début de matinée et ont été accueillies sans émotion particulière.

Depuis fin novembre, les marchés semblaient également avoir intégré une perspective de récession sans équivalent depuis le premier choc pétrolier de 1973, avec à la clé une sévère contraction de l’activité économique. Aux Etats-Unis, la rumeur d’un score abyssal de -5% à l’issue du premier semestre 2009 circulait déjà fin décembre dernier.

** La commission de Bruxelles a annoncé lundi matin qu’elle revoyait en nette baisse ses prévisions concernant 2009. Le PIB de l’Union européenne devrait reculer de 1,8% en 2009, avant de connaître une légère remontée de 0,5% en 2010. Une embellie aussi modeste — et toute théorique — ne permettra pas au chômage de redescendre sous la barre des 10%… qui sera franchie dès cette année comme nous le pressentions depuis octobre dernier.

L’acquis de croissance de l’Union européenne fin 2008 serait de 1% contre un peu moins de 3% fin 2007. Mais cela ne reflète guère l’ampleur de la chute de la production industrielle et l’effondrement des transactions immobilières (entre -30% et -60% selon les pays).

Tout ce qui précède n’est cependant que de la "modélisation". Nul ne sait vraiment comment va évoluer la conjoncture si les banques continuent d’engloutir des tombereaux de liquidités sans offrir des prêts en contrepartie. Des liquidités qui ont été puisées dans la poche du contribuable et déversées sans compter par la Fed à l’instigation de "Bernicoptère" ou de la BCE. Cette dernière avoue que la gravité de la crise a été sous-estimée… en oubliant de préciser "par elle seule".

** Puisque nous évoquons le cas des banques centrales, et puisque c’est aujourd’hui la date anniversaire, comment ne pas faire allusion au mini-krach Kerviel — c’est son nom de baptême, cela ne signifie pas que le trader éponyme en soit le seul responsable. Ce mini-krach reste à ce jour un des plus magistraux exemples de duplicité de la part de la BCE qui a caché pendant plus 72 heures la véritable nature de l’effondrement des marchés mondiaux.

Ben Bernanke avait alors redouté un risque de contagion dévastateur : les indices américains menaçaient de rouvrir en repli de 6% après un congé de trois jours — un écart jugé cataclysmique à l’époque, mais on a vu bien pire par la suite. Il s’était donc senti obligé de déclencher dès le lendemain de la liquidation des positions spéculatives de la Société Générale un abaissement dans l’urgence du prime rate de 50 points de base aux Etats-Unis.

Il avait ainsi gaspillé une précieuse cartouche avant de découvrir, stupéfait puis furieux, que Jean-Claude Trichet et Christian Noyer n’avaient pas jugé bon de le prévenir qu’il s’agissait d’un "accident industriel" local et non d’un problème systémique.

Si la thèse du trader fou solitaire ne tient pas la route s’agissant de l’affaire Kerviel, celle d’un Madoff roulant la SEC dans la farine durant une décennie est tout aussi invraisemblable. L’aveu d’Alan Greenspan concernant une mésestimation du risque global lié à l’industrie des dérivés de crédit nous semble tout aussi surréaliste. Le parti pris du laisser-faire et même une complicité objective ou active des différents acteurs impliqués dans ces catastrophes nous apparaissent incontestables.

** Ce qui nous sidère, c’est que les gouvernements ne s’épargnent aucun effort pour renflouer — avec l’argent des contribuables — les intermédiaires financiers qui ont failli… mais qu’ils ne mobilisent qu’au compte-gouttes des liquidités destinées à sauver les victimes du système, c’est-à-dire ces mêmes contribuables. Ces derniers subissent donc en quelque sorte la double peine… et même la triple peine lorsque l’épargne de toute une vie part en fumée avec la faillite de certains organismes de retraite.

Songez que les sommes consacrées au TARP mis sur pied par Henry Paulson auraient largement suffi à rééchelonner les dettes des quatre millions d’emprunteurs mis en difficulté par l’effet de levier des prêts subprime lors d’un retour au paiement "plein pot".

Les Etats-Unis se seraient probablement épargné l’éclatement de la bulle des dérivés de crédit et les réassureurs, qui anticipaient avec une certaine clairvoyance une hausse des taux de défaut de remboursement à hauteur de 2,5% des encours, auraient pu faire face au versement des primes liées à l’exercice des CDS.

Au lieu de cela, tous les (ir)responsables (établissements de crédit, agences de notation, banques centrales, ministères des finances — quelle que soit leur appellation –) ont préféré faire comme si le système libéral dérégulé restait viable et parfaitement équilibré. Il y a plus douloureux que de perdre l’argent des autres, cela s’appelle reconnaître ses propres erreurs.

Il y plus insupportable que de se les entendre reprocher, cela s’appelle écouter les solutions préconisées par des gens ayant du bon sens.

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile