La Chronique Agora

Adam Smith se sentait-il « concerné » ?

Le week-end dernier, nous avons assisté à la cérémonie de remise des diplômes de notre fils, à l’Université du Vermont.

L’université elle-même est imposante et un peu intimidante. Le reste du monde travaille dans des hangars ou des bureaux ordinaires… les universitaires oeuvrent dans de prestigieux « centres ».

Les gens normaux travaillent pour le profit… et sont soumis à l’économie de marché. Le professorat est au-dessus de tout ça ; pas de bilan comptable, pas de primes d’intéressement, et pour les « titulaires », pas de possibilité d’être licencié, aussi incompétents, désuets ou en tort soient-ils.

Le secteur privé dépend de la production et des résultats ; les universités abritent pas mal de charlatans qui ne produiront pas grand-chose de toute leur vie.

Les gens ordinaires — y compris les présidents des Etats-Unis — se contentent d’un costume-cravate ; les élites universitaires américaines sont vêtues de toutes sortes de toges, chapeaux étranges, étoles, aubes… et une ligne de lettres capitales suit leur nom comme une rangée de canetons se dandinant derrière leur mère.

« Toute cette matière grise… travaillant pour notre Justin… ça a dû lui servir à quelque chose », se disent les parents.

Les élites universitaires américaines sont vêtues de toutes sortes de toges, chapeaux étranges, étoles, aubes

Et puis des doutes leur viennent. Justin semble penser que tout ce qui compte vraiment, c’est « la diversité »… que Bernie Sanders a raison… et que manger du gluten est un péché.

En privé, ils se demandent s’ils ne viennent pas d’être les plus gros bêtas de la planète, dépensant plus de 100 000 $ pour payer quatre années de lavage de cerveau à leur progéniture… sans amélioration visible de sa pensée critique.

Mais ce n’est pas le moment d’en parler. Il est trop tard. Ils s’assoient donc avec des milliers d’autres parents…

Telles étaient du moins les sombres pensées obscurcissant notre esprit alors que nous étions assis sur une chaise en plastique sur le gazon, attendant que les festivités commencent.

Critiques et cynisme

E. Thomas Sullivan, président de l’université, a sans doute vu l’orage planant au-dessus de notre crâne.

« Les critiques et le cynisme ne mèneront pas à une solution constructive », a-t-il dit en nous regardant droit dans les yeux. Sauf que les critiques et le cynisme sont exactement ce dont l’Université du Vermont manque. Sans eux, les gens se laissent persuader de la première sottise triomphaliste qui passe.

Comme nous le disons souvent : quand tout le monde pense la même chose, c’est que personne ne pense vraiment. En l’occurrence, si quelqu’un réfléchissait, à l’Université du Vermont, on ne l’a pas laissé parler dimanche.

Nous sommes habitué aux sottises des discours de fin d’année. C’est toujours un mélange de mensonges, de flatteries et de bla-bla. La seule qualité qu’on peut leur trouver, c’est que le manque de sincérité est évident.

On dit aux étudiants combien ils sont merveilleux. On leur assure qu’ils sont désormais équipés pour aller dans le monde et être des « leaders ». On leur conseille de « maximiser leur potentiel ». Comment ? « Faites une différence » ! Faites une « contribution positive » ! « Faites avancer la société »… « Faites avancer l’humanité »… « Sauvez le monde »…

Holà… Comment s’y prendre, pour faire tout ça ?

M. Sullivan ne se pose pas la question. Et s’il y avait eu des doutes dans l’assistance quant à la différence entre le bien et le mal… ou qui devait être élu président… ou comment fonctionne le monde… ils n’étaient pas visibles et n’ont pas été mentionnés.

Je me sens concerné, donc je suis

Des étudiants ont été félicités pour leurs réussites… des prix ont été distribués… des discours ont été prononcés… heure après heure.

Chaque élève était une bonne âme. Tout le monde « se sentait concerné ». Et chacun de ces idéalistes inachevés avait son billet pour un emploi gouvernemental.

« Je me sens concernée, donc je suis », a suggéré Gail Sheeny, qui a fait le discours inaugural et ainsi parfaitement résumé le leitmotiv de l’événement.

« Se sentir concerné » suffit. Pas besoin de faire autre chose. Il faut se sentir concerné par la pauvreté, l’exclusion, les victimes politiquement correctes laissées sur le carreau par le capitalisme moderne et assoiffé de sang.

Peu importe de savoir sur « être concerné » fait la moindre différence concrète.

Ne vous demandez surtout pas si se mêler de la vie des autres les aide vraiment.

Il faut se sentir concerné par la pauvreté, l’exclusion, les victimes politiquement correctes laissées sur le carreau par le capitalisme moderne et assoiffé de sang

Ignorez l’idée d’Adam Smith — selon qui ce n’est pas par amour de l’humanité que le boulanger se lève à quatre heures du matin pour faire chauffer son four. Il est plus probable que Smith avait raison : l’amélioration du monde est un produit dérivé de l’amélioration de votre propre existence, non le fait d’essayer de changer le monde lui-même. Et Friedrich Hayek avait raison lui aussi : tenter d’améliorer le monde en infligeant vos idées aux autres fait plus de mal que de bien.

Mais à l’Université du Vermont, il suffit de se sentir concerné !

Et si vous ne vous sentez pas concerné… vous n’existez pas.

Un nouveau monde hostile et étrange

Aucun étudiant n’a été encouragé à faire du meilleur pain. Aucun n’a été récompensé pour avoir amélioré le moteur à explosion. Pas un seul n’a été reconnu pour quoi que ce soit qui pourrait améliorer la vie des gens de manière visible et convaincante.

Au lieu de ça, les élèves « concernés » quittent l’université comme des ivrognes sortant d’un bar à l’heure de la fermeture… leur esprit entravé par les effluves grisants des bonnes âmes.

Le monde sera-t-il vraiment meilleur dans un an ou deux… ou d’ici à ce que ces gens si « concernés » fassent marcher leur magie ?

Nous n’en savons rien. Mais on pourrait penser qu’une université serait précisément l’endroit où se poser la question, au minimum.

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