La Chronique Agora

Accord du 21 juillet : un pas de géant pour « l’Europe chasse-neige »

Deux visions de l’Europe s’affrontent… et il n’est pas dit que les citoyens « ordinaires » en sortiront gagnants, où qu’ils se trouvent dans l’Union européenne.

Le 21 juillet, les Etats membres de l’Union européenne (UE) se sont mis d’accord pour lever une dette commune de 750 Mds€. Pour la première fois de son histoire, la Commission va emprunter sur les marchés pour financer des dépenses communautaires.

En France, il est de bon ton de saluer cet accord comme une grande avancée. Après avoir péroré sur l’intérêt supérieur de l’Europe et donné des leçons de solidarité européenne à tout le monde, notre boutiquier national est rentré à la maison auréolé de la gloire des 40 Mds€ qu’il aurait grattés.

Il s’agirait par ailleurs d’un « changement historique de notre Europe et de notre Zone euro », a déclaré le président… Pour Bruno Le Maire, ce serait même la « naissance d’une nouvelle Europe » qui vient de se dérouler devant nos yeux.

Les Etats fourmis ne veulent pas d’une Union qui serait une France en plus grand

Contrairement à ce qu’anticipait Jean-Marc Daniel le 21 mai, le plan Macron-Merkel a bel et bien fini par voir le jour. A l’époque, l’économiste estimait ceci :

« Il y a une opposition qui s’est substituée à l’opposition britannique qui était un peu caricaturale et qui n’avait pas la légitimité de celle des Pays-Bas en particulier, qui sont un membre fondateur.

[…] Le couple franco-allemand est mort. Je pense qu’en tant que moteur de l’Europe, ce n’est plus qu’un endroit où, de façon rituelle, les fonctionnaires allemands et français se réunissent pour émettre des vœux dont les Allemands savent qu’ils ne déboucheront pas puisqu’ils seront épuisés et détruits par les frugaux et autres pays intermédiaires. »

Un coup dans l’eau !… Mais cela arrive même aux meilleurs.

L’influence de la France et de l’Allemagne n’est donc pas « morte ». Cependant, ce sommet européen a montré que les 25 autres Etats membres de l’UE n’entendent plus être les simples signataires d’accords négociés entre Paris et Berlin. Il faudra désormais compter avec eux, et c’est une très bonne nouvelle pour tous les démocrates.

Leur voix est d’ailleurs d’autant plus légitime qu’eux ont fait l’effort de se réformer pour respecter les traités européens qu’ils ont signés.

Pendant ce temps-là, d’autres Etats, au premier rang desquels la France, piétinent allègrement les traités depuis une vingtaine d’années en faisant fi des critères de Maastricht. Les rares réformes effectuées par notre Etat au cours de cette période ont d’ailleurs souvent été impulsées par Bruxelles, qui n’a de ce point de vue-là pas que de mauvais côtés…

Les vœux franco-allemands ont donc été acceptés par les Etats fourmis.

Ce que veulent ces Etats, c’est ça :

Les grandes idées et les discours de deux heures à la sauce French technocrate, ça ne les in-té-resse-pas.

Les Etats fourmis sont dans l’UE avant tout pour faire du business et assurer la prospérité de leur population, et c’est ma foi une raison tout à fait louable.

Cependant, pour faire des affaires, encore faut-il avoir des clients solvables. J’ai eu maintes fois l’occasion de souligner les divergences qui ne cessent de s’accentuer au sein de la Zone euro. Dans un Flash Eco en date du lendemain de l’accord, Natixis en a remis une couche à ce sujet. Voici ce qu’écrit la banque :

« On sait depuis longtemps que, dans une union économique et monétaire, la tendance normale est l’augmentation de l’hétérogénéité des pays membres. Ceci résulte de ce que la disparition du risque de change permet l’exploitation complète des avantages comparatifs des pays, donc conduit à une divergence de leurs spécialisations productives, et, en conséquence, de leur niveau de revenu.

Si les pays les plus prospères, au niveau de revenu relatif le plus élevé, rejettent la solidarité avec les pays au niveau de revenu relatif le plus bas, ceux-ci finiront par quitter l’union économique et monétaire pour retrouver des marges de manœuvre de politique économique (dévaluation du change, monétisation des déficits publics, déréglementation…) et sous la pression d’une opinion de plus en plus défavorable à l’Europe.

Pour l’éviter, les pays les plus prospères sont obligés d’accepter des politiques de transfert qui réduisent l’hétérogénéité de l’union économique et monétaire.

Ils le font pour une raison totalement égoïste, qui est de protéger leur économie contre les effets de l’explosion de l’euro. […] La sortie de l’euro de ces pays est donc une perspective inacceptable pour les pays du nord de la Zone euro, qui se rappellent la crise durable en Allemagne causée par l’explosion du Système monétaire européen en 1992-93.

On va donc observer que les pays du nord de la Zone euro vont accepter des politiques de transfert et de solidarité vis-à-vis des autres pays de la Zone euro, avec un objectif purement égoïste qui est de protéger leur économie de l’explosion de l’euro. Cette argumentation est parfaitement claire dans les dernières interventions d’A. Merkel. »

Voilà ce qui arrive lorsque l’on met la charrue de la monnaie unique avant les bœufs de l’intégration politique. La solidarité n’est naturelle qu’au sein d’une nation. L’Union européenne n’étant pas à ce jour une nation, la solidarité ne peut être y être qu’intéressée.

Au regard des chiffres que nous avons passés en revue dans de précédents billets, on peut donc conclure que les Etats fourmis ont mené de remarquables négociations, et on ne peut qu’être dépité au regard de ce qu’a obtenu la France.

La situation de notre pays est triste à en pleurer, mais voilà où nous ont menés 45 ans de politiques étatistes :

Tant qu’il n’y aura ni réforme de l’Etat, ni rétablissement de l’état de droit sur l’ensemble du territoire, le statut de la France restera celui-là.

L’Allemagne ne pourra pas éternellement ménager la chèvre et le chou

Pour ce qui est de la position allemande, je rejoins ce qu’expliquait Bruno Bertez le 22 juillet :

« Le problème, c’est que l’Allemagne ne veut pas payer, rien payer donc plutôt que de payer elle préfère ‘en même temps’ maintenant sacrifier la monnaie et accepter l’inflation de la masse d’euros et donner son accord à des dettes qui repoussent les problèmes de choix dans le futur. »

Et Bruno Bertez de poursuivre :

« L’UE, c’est le chasse-neige qui repousse le tas de neige devant elle. Il y aura un mur de dettes et un mur de taxes. »

A refuser de trancher entre une véritable mutualisation des dettes – laquelle supposerait des transferts massifs – et la salubrité de sa monnaie, l’Allemagne risque de finir par « se franciser. »

A court terme, le constat de la chancelière est le bon…

… mais un jour, l’Allemagne devra trancher. Soit retourner sa veste une bonne fois pour toute et accepter la mutualisation des dettes publiques et les eurobonds (auquel cas il faudra modifier les traités), soit jeter sa veste à terre et quitter l’euro – à moins bien sûr qu’un autre Etat membre ne la précède en ce sens.

Le 21 juillet, Berlin a certes confirmé qu’elle acceptait de tirer temporairement un trait sur les critères de Maastricht, d’emprunter en commun avec ses partenaires européens et de laisser la BCE soutenir la dette des Etats cigales.

Mais il ne faut pas s’y tromper : du point de vue de l’Allemagne, ce ne sont-là que des mesures temporaires, et ce n’est aucunement à la naissance d’eurobonds que nous venons d’assister.

Contrairement à ce que souhaite la France, pas d’eurobonds, tout au plus un nouveau test de solidarité

Il est indéniable que le fait que la Commission va emprunter sur les marchés pour financer des dépenses communautaires est une petite révolution. Comme l’écrivait Nicolas Beytout le 21 juillet, « la puissance et la symbolique d’un tel accord ne se jugent pas au nombre de milliards engagés. »

Je n’irais cependant pas jusqu’à dire, à l’instar du fondateur de L’Opinion, qu’il s’agit de « l’acceptation par les Européens d’une première étape de fédéralisme budgétaire ».

En effet, l’Allemagne et les autres Etats fourmis ont clairement indiqué qu’il ne s’agissait là que d’un pis-aller exceptionnel ayant pour objet de surmonter une crise, c’est-à-dire tout le contraire d’un mécanisme ayant vocation à devenir permanent, à l’instar du vœux français d’eurobonds. Le recovery fund est là pour trois ans – point barre !

Article 122.2 : « 2. Lorsqu’un Etat membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’Etat membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise. »

Angela Merkel n’a donc toujours pas trahi sa promesse de 2012.

Evidemment, certains commencent déjà à œuvrer pour pousser le bouchon un peu plus loin. Ainsi, le président du Parlement européen David Sassoli a-t-il déclaré le 26 juillet dans un entretien au Soir que « la dette mutualisée entre Européens, a priori temporaire pour la relance post Covid-19, est là pour rester », résume le journal. Voilà qui ne dérangerait sans doute pas l’Italie…

On lui souhaite cependant bien du courage, car l’UE reste aujourd’hui très peu intégrée politiquement. N’ayant qu’une autonomie marginale dans des domaines tels que la fiscalité, les affaires étrangères ou encore la défense, il est absurde de prétendre qu’elle vient de se transformer en un Etat.

Et si l’objectif à long terme d’Emmanuel Macron reste d’accentuer l’intégration européenne au travers de la mise en place d’une véritable mutualisation des dettes publiques, autant dire que la France a intérêt à bien se tenir si elle ne veut pas se faire renvoyer dans les roses.

Comme nous l’avons vu hier, ce n’est cependant pas la direction qui est prise par notre exécutif…

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