La Chronique Agora

Plongée dans l’absurdité du système de santé américain

Bed in hallway. The concept of working stressful environment

Bureaucratie tentaculaire : tout semble conçu pour complexifier un service pourtant essentiel.

L’industrie des soins de santé a besoin non seulement de médecins et d’infirmières, mais aussi d’une armée d’administrateurs. Aux Etats-Unis, sur les 5 000 milliards de dollars dépensés chaque année en services médicaux, au moins 40% n’ont pas grand-chose à voir avec les patients.

Les narcotiques ne rendront pas votre monde meilleur. Mais ils peuvent vous aider à vous sentir mieux. Vous vous endormez, même lorsqu’on vous découpe, et vous dérivez dans votre propre paysage de rêve.

Nous voici à l’hôpital Johns Hopkins, non pas par choix, mais quelle qu’en soit la raison, c’est une expérience à part entière.

Bienvenue dans le protocole hospitalier

Dès l’entrée, on vous demande vos coordonnées d’assurance, votre nom et votre date de naissance. Un bracelet en plastique à votre poignet, un badge en main, vous êtes dirigé vers le hall. La réceptionniste vous interroge à nouveau : « Votre nom ? Votre date de naissance ? » Puis, on vous invite à patienter. « Quelqu’un va vous appeler. »

Et effectivement, quelqu’un vous appelle. Vous suivez cette personne dans un petit espace où elle scanne votre bracelet avec un appareil électronique.

« Votre nom ? »

« Vous venez de l’appeler », répondons-nous.

« Oui, mais je veux m’assurer que vous le connaissez. »

« Si je suis là, c’est bien que je le connais, non ? »

« Ce n’est pas grave. Mais j’ai quelques questions à vous poser. »

Vient alors une série de formulaires à signer, la plupart précisant que vous ne devez pas fumer dans l’hôpital et que, si un incident grave devait survenir, ce serait à vos risques et périls.

Ironiquement, à quelques kilomètres de là, des panneaux publicitaires d’avocats promettent l’inverse. « Vous méritez une compensation ! Nous avons récupéré des millions pour nos clients. » Ou encore : « Faute médicale ? Connaissez vos droits. Faites-vous payer. »

L’interrogatoire continue : antécédents médicaux, allergies, interventions passées, maladies, accidents. Des questions parfois gênantes, souvent les mêmes. On les a déjà posées plusieurs fois, mais il faut s’assurer que tout est exact.

Puis retour dans le hall. Nous devons attendre à nouveau.

Une autre personne en uniforme médical, masquée et soignée, vient nous chercher. Cette fois, direction une petite pièce close par un rideau. Un lit, des appareils, une atmosphère stérile.

« Quel est votre nom ? »

« William Bonner. »

« Votre date de naissance ? »

Suit une nouvelle vague de questions : état de santé, antécédents familiaux, traitements, assurances… Sommes-nous vaccinés contre le COVID ? Avons-nous des vertiges en nous levant trop vite ? Un membre de notre famille a-t-il eu un cancer ?

Mais la question qui semble compter plus que toutes les autres : « Puis-je voir votre carte d’assurance ? »

Et on comprend vite pourquoi. Le système est d’une complexité sans nom… et surtout, terriblement coûteux.

L’assurance maladie pour une famille de quatre personnes dépasse aujourd’hui les 20 000 dollars par an, tandis que les dépenses médicales moyennes par individu atteignent 14 500 dollars.

Les Etats-Unis se classent aujourd’hui au 46e rang pour ce qui est de l’espérance de vie… et chacun des 45 pays où les gens vivent plus longtemps dépense moins. Nous avons pu tester certains d’entre eux – la France, l’Irlande et l’Argentine. Les services proposés semblent similaires pour la moitié du prix ; mais on dit que les Etats-Unis ont une longueur d’avance en matière de haute technologie.

Notre passage à Johns Hopkins nous a permis d’en juger par nous-mêmes. L’hôpital regorge de personnel en tenue médicale et de nombreuses personnes vous demandant sans cesse votre nom et votre âge. Lorsqu’ils ne posent pas de questions ou n’assistent pas un patient, ils discutent entre eux.

Le système de santé américain est une mécanique lourde et coûteuse. La complexité des traitements, des assurances et des dispositifs comme Medicare/Medicaid impose une véritable armée administrative. Résultat : sur les 5 000 milliards de dollars annuels consacrés aux soins médicaux, 40% ne concernent pas directement les patients, mais des coûts bureaucratiques et administratifs.

Les médecins et les infirmiers que nous avons croisés étaient compétents et avenants. Mais l’hôpital ne semblait pas particulièrement soucieux de l’efficacité du rendement de l’établissement. Après tout, l’absence de concurrence sur les prix enlève toute incitation à réduire les coûts.

Nous avons vu de nombreuses publicités pour des avocats désireux d’intenter des procès… mais aucune ne proposait des services médicaux à moindre coût.

Et s’il n’y avait aucun effort visible pour réduire les coûts, il n’y en avait pas non plus pour augmenter les revenus. A aucun moment on ne nous a proposé un « surclassement » à un tarif plus élevé. La nourriture était gratuite. Personne ne nous a sollicité pour un don caritatif, ni offert de réduction pour les patients fréquents.

Personne ne semblait s’en préoccuper. Nous non plus, d’ailleurs. Après tout, c’est l’assurance qui payait.

Nous ignorons pourquoi le système de santé est aussi inefficace, mais nous avons une hypothèse : les autorités fédérales l’ont plombé avec une avalanche de réglementations et de subventions. Si la nouvelle administration, menée par RFK Jr., voulait réellement faire économiser 2 000 milliards de dollars aux Américains, elle commencerait par alléger le secteur de la santé.

Nous ne savons pas si cela permettrait réellement de faire baisser les prix et d’améliorer la qualité des soins, mais cela vaudrait au moins la peine d’être tenté.

Notre aventure à Johns Hopkins se poursuivait…

Nous commencions à bien maîtriser les réponses aux questions répétitives posées par une autre infirmière, un anesthésiste et l’assistant du chirurgien. Au moins deux d’entre eux nous ont demandé :

« Pourquoi êtes-vous ici ? »

« Pourquoi pensez-vous que nous sommes ici ? » avons-nous répliqué.

« Nous devons juste nous assurer que nous avons la bonne personne et qu’elle est consciente de ce qui lui arrive. »

Les vérifications ont poursuivi :

« Quelle est la date d’aujourd’hui ? Où êtes-vous ? »

Un autre nous tendit une feuille avec un cercle dessiné dessus.

« Dessinez une horloge indiquant 11h30. »

Finalement, nous avons été allongés sur la table d’opération, sous l’ombre d’un grand robot, semblable à une déesse hindoue à plusieurs bras, prêt à entrer en action. L’anesthésiste nous a administré sa dose. Nos yeux se sont fermés, et nous avons commencé à somnoler, au pays des rêves.

C’est alors qu’une chose remarquable s’est produite.

Le chirurgien est apparu. Un homme de grande taille, vêtu d’une cape noire avec une grande capuche noire et une voix grave de stentor.

Il portait une grande faux. Ses yeux avaient la couleur de charbon ardent, son toucher était aussi froid que de la glace sèche.

« Quel est votre nom ? », a-t-il demandé, dans une voix similaire à celle de Dark Vador.

« Jack Jones », avons-nous menti.

« Oh… Il doit y avoir une erreur. Vous n’êtes pas celui que je cherche. »

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