Par Sylvain Mathon (*)
Durant la décennie précédente, le nucléaire n’avait pas le vent en poupe. Les populations d’Europe gardaient un souvenir traumatisé de la catastrophe de Tchernobyl (1986) — et face à des cours pétroliers assez bas (10 $ le baril !), les gouvernements ne voyaient pas l’opportunité d’investir lourdement dans cette technologie. L’Italie a carrément arrêté ses programmes en cours ; l’Allemagne et la Suisse ont gelé leurs projets de développement ; la France et le Japon ont poursuivi les leurs, mais à petits pas. A l’inverse, les pays émergents comme la Chine ont commencé à s’y intéresser de près.
Tout change au début des années 2000
D’un côté, les cours pétroliers s’envolent à nouveau — et l’on se remet à parler de l’inévitable épuisement de nos ressources en hydrocarbures… De l’autre, la mondialisation donne un véritable coup d’accélérateur au décollage des pays émergents, Chine en tête.
Pour ces nations dont l’appétit énergétique ne connaît pas de bornes, les questions de pollution deviennent tout à coup cruciales : selon une récente enquête, 60% des grandes villes chinoises vivent au-dessous du seuil minimum de qualité de l’air. Et pour cause : l’énergie du pays est fournie à 90% par le charbon.
La vapeur d’eau que rejette un réacteur est nettement préférable aux émissions d’une centrale au fuel ou au charbon et son taux d’émission de CO2 très bas.
Les grands leaders émergents n’ont pas le choix
Parmi les énergies de production massive, seul l’hydraulique peut rivaliser avec lui. Compte tenu de l’augmentation du prix des hydrocarbures, le coût du nucléaire devient très compétitif pour les gros volumes (les choses se gâtent s’il faut moduler la production) ; les progrès technologiques ont permis non seulement d’abaisser les frais de construction (30% d’économie entre les centrales de première et de troisième génération), mais encore de renforcer la régularité et la sûreté des sites.
De toute façon, les grands leaders émergents n’ont pas le choix. Face à des besoins énergétiques de dimension industrielle, et à des défis écologiques sans précédent dans l’histoire de l’humanité, ils devront faire feu de tout bois (et de tout atome !) pour parvenir à contenir leur dépendance.
Preuves à l’appui !
Quelques chiffres devraient vous aider à y voir plus clair (sources : Agence pour l’énergie nucléaire, 2007 et Australian uranium association, 2007).
Il existait, en mai 2007, 437 réacteurs nucléaires en activité dans le monde. La part de ces réacteurs dans la production électrique mondiale est de 16%. Dans le cas français, 78% de l’électricité produite sur notre territoire sont dus au nucléaire.
Toujours en mai dernier, il y avait 30 réacteurs en chantier — dont quatre en Inde, cinq en Russie et six en Chine. 74 étaient en développement, dont 23 rien que pour la Chine, quatre en Inde, 11 au Japon et sept en Corée du Sud.
Par ailleurs, 182 projets étaient à l’examen : 54 pour la Chine, 15 pour l’Inde, 18 pour la Russie, 20 pour l’Ukraine et 21 pour les Etats-Unis !
La capacité de production nucléaire va s’envoler
La capacité globale des installations nucléaires existantes est à ce jour de 370 000 MW. J’ai fait le calcul pour vous : si l’on ajoute les réacteurs en chantier ou en développement — en oubliant les projets — cela nous donne une capacité de 474 000 MW d’ici à quinze ou vingt ans, soit une augmentation de 28%… Bien sûr, des sites vieillissants peuvent fermer dans l’intervalle, ce qui rend ce calcul hypothétique. Mais ces fermetures n’auront pas lieu dans les pays émergents — et ce sont eux qui tirent l’essentiel de la hausse.
Tous les pays développés — y compris les USA et le Japon, qui ambitionnent d’étendre leur parc — vont voir leur part stagner ou diminuer. En revanche, l’Inde va doubler sa contribution au palmarès… Et la Chine, la quadrupler !
Deux nouveaux réacteurs par an en Chine !
On estime qu’en 2015, la capacité totale de production électrique de la Chine aura rejoint celle de l’UE aujourd’hui. L’Empire du Milieu a pour objectif de tirer 4% de son énergie du nucléaire d’ici à une douzaine d’années. Pour y parvenir, il faudra ouvrir deux nouveaux réacteurs par an. Le pays compte mettre sur la table 50 milliards de dollars pour construire environ 30 nouveaux réacteurs d’ici à 2020 : la capacité électrique ainsi produite (40 GW) pourrait en gros alimenter toute l’Espagne !
Du yellowcake à la centrale nucléaire
Bref, si nous cherchons un "pure player emergings" dans le secteur des matières premières, nous pouvons difficilement faire mieux qu’avec le nucléaire. Ce qui nous mène tout droit au combustible de base de cette industrie : l’uranium.
Extrait de la mine, l’uranium naturel est d’abord concentré et converti en poudre jaune, que l’on appelle le yellowcake ; il faut ensuite l’enrichir en isotopes pour faciliter sa fission. Le yellowcake enrichi formera le combustible de la réaction en chaîne : la chaleur dégagée fera tourner, via des turbines, de gigantesques alternateurs. N’oubliez pas que tout au bout de cette chaîne technologique complexe, il y a l’équivalent d’une banale dynamo de bicyclette — avec une déperdition d’énergie impressionnante.
La suite dès demain…
Meilleures salutations,
Sylvain Mathon
Pour la Chronique Agora
(*) Globe-trotter invétéré et analyste averti, Sylvain Mathon, est un peu "notre" Jim Rogers… Après avoir travaillé durant dix ans au service de grandes salles de marché, il met depuis février 2007 toute son expertise en matière de finances et de matières premières au services des investisseurs individuels dans le cadre de Matières à Profits, une lettre consacrée exclusivement aux ressources naturelles… et à tous les moyens d’en profiter. Il intervient régulièrement dans l’Edito Matières Premières.