La Chronique Agora

Zone de perturbation pour les banques centrales

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Comment les dettes souveraines peuvent-elles absorber une inflation à 5% et la hausse des taux qui s’ensuit sans devenir complètement insoutenables ?

Cela fait moins d’un an que la Fed a mis fin à l’assouplissement quantitatif et à peine huit mois depuis qu’elle a commencé à réduire son bilan.

La Fed de Powell a continué à injecter des liquidités dans le système, même après avoir commencé à monter les taux. Une prudence qui reflète le peu de confiance que les décideurs avaient dans leurs propres modèles. Puis, au dernier trimestre 2022, elle a suggéré le fameux pivot.

Les conditions financières se desserrent depuis plusieurs mois, contrecarrant les objectifs de la Fed. On pense maintenant qu’il n’y aura pas de récession, à peine un petit ralentissement.

Consommateurs optimistes

Il y a eu de nouvelles preuves cette semaine que des conditions financières souples opèrent leur magie. L’indice du sentiment des consommateurs de l’université du Michigan a ajouté 1,5 point de plus que prévu au fort gain de janvier pour atteindre 66,4, la lecture la plus élevée depuis janvier 2022. Les conditions actuelles ont augmenté de quatre points pour atteindre un sommet de 72,6 sur 14 mois. La composante des attentes des consommateurs a en revanche légèrement baissé à 62,3.

La dispersion des attentes entre les partis politiques est remarquable. La lecture des attentes des consommateurs est passée à 76,3 pour les démocrates, 48,5 pour les républicains et 61,7 pour les indépendants. Fait intéressant, l’enquête sur les attentes d’inflation des prix sur un an a augmenté de trois dixièmes à 4,2 %.

Et maintenant, les médias font l’éloge de responsables de la Fed – Neel Kashkari, John Williams, Lael Brainard, Susan Collins, Mary Daly, Rafael Bostic et d’autres – comme s’ils étaient de grands prévisionnistes. Ils bombardent continuellement les pages financières de la presse sur la nécessité d’avoir un « taux terminal » quelque part autour des 5,5%, incitant les autres à surenchérir avec des appels pour 6% voire, comme un expert l’a proposé la semaine dernière, 8%.

Il est temps pour la Fed de faire preuve d’humilité.

La médiocrité des prévisions du FOMC remonte à Greenspan. Plus important encore, l’ancien président de la Fed Ben Bernanke, l’ancêtre de la prospective et du QE, a proclamé que la crise des subprimes était contenue… juste avant qu’elle ne se transforme en crise financière mondiale puis en grande récession !

C’est la même équipe de Bernanke qui avait affirmé pouvoir arrêter les mesures non conventionnelles en 2011, avant d’y replonger de plus belle et pour longtemps.

Powell patauge

La banque centrale est une très mauvaise prévisionniste et elle est obligée de naviguer au jour le jour, sans carte et sans boussole. Elle essaie d’optimiser sans plus et, surtout, elle essaie d’empêcher les agents économiques et financiers d’anticiper et de s’adapter. Sa politique est en fait pragmatique.

La discussion de Powell avec David Rubenstein la semaine dernière a montré le président de la Fed à son meilleur – si l’on peut dire ! Powell patauge. Reuters :

« Le rapport sur l’emploi très fort [du 3 février] a montré pourquoi la lutte contre l’inflation ‘prendra un peu de temps’, a déclaré le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell […], reconnaissant que les taux d’intérêt pourraient devoir augmenter plus que prévu si ce type de vigueur économique menace les progrès de la Fed dans la réduction de l’inflation.

Lors d’une séance de questions-réponses devant l’Economic Club de Washington, Powell a refusé à plusieurs reprises de dire explicitement que l’ajout surprenant de 517 000 nouveaux emplois en janvier forcerait nécessairement le taux d’intérêt de référence de la Fed à dépasser la fourchette actuelle de 5% à 5,25% qui est anticipée. »

La partie la plus critique de l’interview a été lorsque Rubenstein a demandé à Powell de revenir sur sa vision de la désinflation qui avait été jugée accommodante lors de la conférence de presse post-FOMC la semaine précédente.

De nombreux analystes pensaient que Powell reviendrait sur la rhétorique désinflationniste après l’énorme chiffre des emplois du 3 février. Il ne l’a pas fait et il a semblé justifier le ralentissement de la hausse des taux par le souci d’évaluer l’impact de l’action passée depuis une année.

C’était une interview intéressante, bien que David Rubenstein ait raté l’occasion de demander à Powell de clarifier comment lui et son comité définissent les conditions financières.

Le coût de la dette grimpe avec les taux

Les rendements obligataires ont peu bougé lors de la comparution de Powell mardi à l’Economics Club de Washington. En revanche, les rendements avaient bondi plus tôt, avant la conférence de Powell, alors que les marchés se préparaient au recul de la Fed. Le président de la Fed d’Atlanta, Raphael Bostic, avait lancé le mouvement :

« Si une économie plus forte que prévu persiste, ‘Cela signifiera probablement que nous devons faire un peu plus de travail’, a déclaré Bostic à Bloomberg… ‘Et je m’attendrais à ce que cela se traduise par une augmentation des taux d’intérêt plus que je ne l’avais prévu, tout de suite.’ »

Les rendements du Trésor à dix ans ont bondi de 21 points de base dans la semaine à 3,73%.  Les marchés de taux ont maintenant atteint un sommet des anticipations pour les fed funds à 5,19% pour la réunion du FOMC du 26 juillet prochain, contre 5,03% la semaine précédente lors de la réunion du 14 juin.

Un article est paru dans le Wall Street Journal vendredi par Andrew Duehren intitulé « La lutte contre l’inflation de la Fed fait grimper le coût de la dette américaine ». Cet article vise juste. Le coût du financement de la dette massive accumulée par les réductions d’impôts de Trump et la prodigalité de Biden est en train d’être payé.

Duehren a écrit :

« Les dépenses du Trésor en intérêts sur la dette ont augmenté de 41% pour atteindre 198 Mds$ au cours des quatre premiers mois de cet exercice avec 140 Mds$ à la même période l’an dernier. »

Les projections du bureau du budget du Congrès américain sur le montant des coûts de financement du déficit massif sont basées sur des taux à 1,9% fin 2022 et 2,6% à la fin de 2023.

La question clé pour l’ensemble du système financier mondial devrait être de savoir comment les dettes souveraines peut absorber une inflation à 5%, étant donné une augmentation massive du coût de financement de la dette si les banques centrales doivent maintenir les taux plus élevés plus haut et plus longtemps.

Qui achète toute la dette américaine à long terme à 3,6% voire 3,8% ?

La BCE, la BoJ, la BNS, la BoE ainsi que de nombreuses banques centrales des marchés émergents s’efforcent de relever les taux dans le but de maintenir leur monnaie stable.

La BCE augmentera ses taux plus agressivement que la plupart des autres, car Lagarde subit une pression extrême de la part des faucons. Depuis la réunion du 2 février, ceux-ci inondent les médias d’appels à des hausses de taux plus rapides. Lagarde s’est déjà engagée à augmenter d’un demi-point de pourcentage lors de la réunion de mars dans le but de maintenir les faucons tranquilles.

Le resserrement quantitatif est un outil dangereux pour la BCE car il peut conduire à une refragmentation des marchés obligataires européens, ce qui est très préoccupant pour Bruxelles.

Si la BCE viole les règles du traité de Lisbonne pour empêcher la fragmentation, les voix anti-UE en Allemagne reviendront aussi devant la Cour constitutionnelle allemande, créant des problèmes potentiels pour un Olaf Scholz déjà assiégé.

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

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