▪ Il sera toujours tentant pour les dirigeants politiques et économiques de demander à une Banque centrale de payer leur gabegie, leurs inconséquences — voire leurs incompétences.
En effet, ce type d’institutions reste le prêteur en dernier ressort (pour sauver les banques en crise de liquidité) et l’acheteur en dernier ressort (pour sauver les Etats en crise de solvabilité et/ou de liquidité voire pour influer sur le prix de certains actifs financiers).
Les banques centrales en général — et la BCE en particulier — vont devenir les poubelles du système financier international. Ce seront elles, les vraies bad banks, puisque l’on va profiter de leur double spécificité.
1/ Ce sont les seuls acteurs financiers dont une partie du passif (dettes) n’est pas exigible. En créant de la monnaie, la Banque centrale émet une dette sur elle-même, non remboursable — du moins tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve.
On n’imagine pas un seul instant qu’il en soit autrement car les agents économiques que nous sommes tous n’ont pas d’autre choix.
2/ Ce sont aussi les seuls acteurs qui sont indifférents au mark-to-market (valorisations au prix du marché) des actifs qu’ils détiennent. En cas de perte, aucun besoin de recapitaliser : il suffit juste, par un jeu d’écriture comme on sait si bien le faire en finance, d’inscrire au bilan une provision de passif.
▪ Nous voilà donc à la dernière étape de la crise financière : celle de la monétisation institutionnalisée
Oui, malgré l’hostilité de la Bundesbank, du Bundestag et du gouvernement fédéral allemand, nous assisterons à une monétisation contrainte mais massive de la BCE en Zone euro. Car nous n’avons pas vraiment le choix.
Les solutions dites structurelles de résolution de la crise des dettes souveraines ne sont politiquement et socialement tout simplement pas envisageables et très peu probables. Il est, pour moi, impensable d’envisager :
– la sortie de la Zone euro de pays fragiles (coûts économique et social insupportables pour ces pays) ;
– la sortie de la Zone euro de l’Allemagne (coût macro-économique considérable avec une perte de compétitivité importante et coût financier élevé au regard des engagements des banques allemandes sur les pays périphériques de la Zone euro) ;
– la restructuration de la Zone euro avec la mise en place d’une « zone nord » budgétairement vertueuse et d’une « zone sud » cherchant à rattraper ses handicaps de compétitivité. Cela reviendrait à séparer les six fondateurs de l’Europe : l’Allemagne et le Benelux d’une part ; la France et l’Italie d’autre part ;
– la mise en place d’une véritable union politique avec fédéralisme fiscal et donc transferts budgétaires systématiques des plus riches vers les plus pauvres. L’Allemagne n’acceptera jamais cette solution. Et plus généralement, on peut difficilement anticiper ce scénario qui supposerait un abandon de souveraineté nationale de chaque pays. Et l’on imagine bien que les peuples ne sont pas prêts à cela.
▪ Il n’y a pas d’autre solution que la monétisation…
La BCE sera donc contrainte de monétiser et donc de créer de la monnaie ex nihilo pour acheter des actifs de plus en plus toxiques.
La BCE avait, jusqu’à présent, mis en place une monétisation soft avec stérilisation de la liquidité. Cela veut dire que la création monétaire générée par l’achat de titres de dettes périphériques était retirée par d’autres moyens.
Depuis le mois d’août 2011, la BCE a mis en place une monétisation plus agressive avec les achats de dette italienne et espagnole. Sans les « stériliser », et pour cause : compte tenu des sommes, la stérilisation de ces achats massifs aurait profondément perturbé le fonctionnement du marché monétaire. Car la BCE a acheté pour 75 milliards d’euros de titres d’Etat (grecs, portugais et, dans une moindre, mesure irlandais) entre mai 2010 et juillet 2011. Mais avec les achats directs de dettes italienne et espagnole, le rythme s’est considérablement accéléré et, à fin octobre 2011, les encours des titres achetés s’élevaient à 175 milliards d’euros.
D’un rythme de cinq milliards d’euros de monétisation (qui plus est stérilisée) par mois entre mai 2010 et juillet 2011, la BCE est passée à une moyenne mensuelle de 30 milliards entre août 2011 et aujourd’hui sans stériliser intégralement la masse monétaire. Nous sommes pourtant très loin des montants accumulés par la Fed et la BOE (Bank of England) au travers de leurs programmes de quantitative easing depuis début 2009.
Tenez : l’encours de Treasuries US est passé dans le bilan de la Fed de 480 milliards de dollars en septembre 2008 (faillite de Lehman) à près de 1 600 milliards de dollars en juin 2011 (date officielle de la fin du quantitative easing 2). Du côté britannique, l’encours de Gilts UK détenus par la Bank of England est passé de 45 milliards de livres sterling à 215 milliards de livres en juin 2011. Avec la perspective de faire monter cet encours à près de 300 milliards de livres d’ici le premier trimestre 2012 puisque, début octobre 2011, ils ont annoncé un nouveau programme de quantitative easing supplémentaire de 75 milliards de livres.
Il n’en demeure pas moins que la monétisation par la BCE est en marche et qu’elle est surtout irréversible. Alors, me direz-vous, allons-y gaiement et monétisons sans se poser de questions ! Sauf que cette monétisation, vous vous en doutez, ne sera pas sans conséquences.
▪ Première conséquence : la BCE deviendrait une bad bank… une banque pourrie
Imaginons que l’on mette en place de vastes programmes de monétisation, donc d’achats illimités de dette italienne, espagnole — et pourquoi pas de dette française — grâce à un FESF new look transformé en banque s’approvisionnant en liquidités auprès de la Banque centrale. C’est ce que souhaitaient d’ailleurs la France et d’autres pays.
Comme une banque, ce new FESF pourrait alors prêter jusqu’à une infinité de fois son capital. Surtout si les titres d’Etat achetés continuent à ne pas consommer de capital d’un point de vue réglementaire.
Rappelez-vous que, lorsqu’une banque prête 100 à une entreprise, elle consomme (au sens de la réglementation bancaire) 8 de capital. Quand elle prête à une autre banque, elle consomme 8 fois 20%, soit 1,6. Et quand elle prête à un Etat de l’OCDE, elle consomme 8 fois 0%, donc 0 — c’est bien connu un Etat OCDE, c’est ce qu’il y a de moins risqué…
Enfin… tout cela, c’était dans l’ancien monde : la réglementation avec Bâle II puis Bâle III évolue et, sous la pression des crises, évoluera encore — même si avec beaucoup de retard et d’inertie.
Mais à la différence d’une banque classique, ce FESF aurait deux types d’emprunteurs :
– d’une part, les Etats plus ou moins fragiles repoussant à plus tard leurs problèmes de solvabilité ;
– d’autre part, des banques insuffisamment capitalisées.
Autant dire que la qualité de bilan de ce FESF se dégraderait irréversiblement et, partant, le rating de cette institution… D’ailleurs, le collatéral apporté par ce FESF pour se financer auprès de la BCE serait donc de qualité de moins en moins bonne car il serait alors constitué de garanties apportées par des Etats fragiles, voire insolvables. Et puis il serait constitué d’actifs de plus en plus toxiques représentés par les titres de dette des Etats les moins solvables et des banques les moins bien capitalisées.
D’un point de vue macro-économique, on va donc assister à de la création monétaire pour acheter les dettes pourries directement par la BCE ou indirectement par le new FESF.
Si l’on considère que ces dettes sont achetées aux investisseurs privés avec la liquidité créée sur le marché secondaire, ceux-ci vont alors utiliser cette liquidité pour acheter des actifs refuges : dettes publiques non encore toxiques, actifs émergents, matières premières. Le risque est que tout ceci conduise à de nouvelles bulles d’actifs financiers et à des crises à répétition avec forte volatilité, choc patrimonial, effets de richesse négatifs et crise économique et sociale. Très réjouissant !
▪ Deuxième conséquence : l’hyperinflation
Il n’y a certes pas de limite technique, comme nous l’avons vu, à l’accroissement de la taille du bilan d’une banque centrale. Mais il y a une limite financière. En effet, la création monétaire incontrôlée (au passif de la Banque centrale) et l’accumulation d’actifs financiers de qualité médiocre (à l’actif du bilan de la banque centrale) vont provoquer une forte dévalorisation de la monnaie.
Cela porte plusieurs noms : perte de pouvoir d’achat de la monnaie, hyperinflation, rejet de la monnaie, stockage d’actifs physiques au rang desquels l’or, la pierre et la terre.
Première parution dans le Billet du Trader du 23/11/2011.