La Chronique Agora

Zone euro : la Grèce n’est pas l’Islande

▪ L’équipe des sherpas de Wall Street a tracté les indices américains sur le toit du monde pour célébrer l’avènement de l’été. Ce dernier a coïncidé avec la séance des Quatre sorcières de vendredi dernier, marquant deux records historiques — l’un pour le Nasdaq à 5 143,3 points, l’autre pour le Russell 2000.

L’indice le plus large est venu tester par trois fois le record absolu des 1 287 points vendredi en l’espace d’une demi-séance avant d’en terminer parfaitement inchangé à 1 284,7 points.

Maintenant que la cordée a atteint le sommet de l’Himalaya boursier, c’est chacun pour soi. Les sherpas ont pris congé de leurs clients et entament la descente en rappel ; d’autres plus rusés sautent en parachute pour s’épargner la fatigue et les dangers d’une désescalade périlleuse… mais le gros des effectifs se retrouve planté entre les abysses et les cieux, devenus presque noirs à cette altitude où l’oxygène se fait rare…

… Si rare qu’au-delà de 7 700/8 000 mètres d’altitude, les alpinistes et les physiologistes baptisent cette partie du toit du monde « zone de la mort ».

Ce n’est pas à la montée que se produit l’hécatombe qui alimente les chroniques nécrologiques tibétaines et népalaises mais bien sur le chemin du retour, quand la perte de l’acuité intellectuelle se combine avec l’épuisement.

Cette valeur est en train de dessiner notre ville et notre société de demain. En deux mots, elle est en train de changer le monde !

Voici comment…

 

Les bombonnes d’oxygènes fournies par les banques centrales permettent en effet aux alpinistes motivés d’entamer l’ultime assaut en direction de l’arête sommitale… mais le temps joue contre les organismes et en particulier contre le bon fonctionnement du cerveau.

Avec la perte de lucidité, certains finissent par croire que le masque à oxygène — tout comme le soutien artificiel des cours — n’a plus d’objet : mieux vaut déposer cet équipement qui alourdit considérablement les sacs et rend chaque pas plus pénible…

La plupart des opérateurs de Wall Street ne semblent plus conscients de la dangerosité de l’environnement boursier

▪ Du danger ? Ou ça ?
La plupart des opérateurs de Wall Street ne semblent plus conscients de la dangerosité de l’environnement boursier. Aucune réaction d’effroi lors du basculement de Shanghai dans le vide vendredi dernier (-6,5%)… plus aucune sensation de froid glacial alors que le thermomètres des banques grecques affiche du -40. Oui, moins 40 milliards d’euros, soit 20% du PIB grec et le quart des fonds propres des banques qui se sont enfuis sous d’autres cieux, dont 10% rien que pour la semaine passée.

Le week-end a donné lieu à deux manifestations devant le parlement à Athènes. Quelques milliers de Grecs ont prié samedi leur gouvernement de trouver une solution pour rester dans la Zone euro… Et dimanche, ce sont plusieurs dizaines de milliers de citoyens qui ont appelé Tsipras et Varoufakis à ne pas capituler devant Jean-Claude Juncker, Angela Merkel ou Christine Lagarde.

Vu la propagande anti-grecque orchestrée par une bonne partie de la presse allemande… vu la fatigue des protagonistes… vu l’intransigeance du FMI, le moindre faux pas — et le miracle serait qu’il ne s’en produise pas — pouvait précipiter la Grèce et l’Europe à sa suite dans l’abîme.

Wall Street s’en moque : les contrats sur indices et options trimestrielles échéance juin ont expiré le 19/06, ce qui signifie que les compteurs sont remis à zéro. Après les Quatre sorcières le déluge… et ce qui est pris n’est plus à prendre. C’est une nouvelle aventure — une page vierge — qui s’ouvrait lundi sur la « réunion de la dernière chance ».

Il aurait été surprenant qu’Athènes ne tente pas un nouveau coup de bluff à quelques heures du sommet des ministres des Finances de l’Eurogroupe. Les marchés ont même cru lundi matin qu’Alexis Tsipras avait élaboré des propositions que les créanciers pourraient juger « crédibles » (autrement dit : possible déblocage des 7,2 milliards d’euros promis à la Grèce avant le 30 juin)… Toutefois, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schaüble, s’est empressé de démentir, estimant qu’il n’avait constaté aucune avancée substantielle.

Horreur, malheur, la Grèce pourrait donc quand même faire défaut

Horreur, malheur, la Grèce pourrait donc quand même faire défaut.

Quelle honte, quelle infamie, que c’est vilain !

▪ La Grèce et ses précédents
Mais au fait, connaissez-vous la liste des pays dits « occidentaux » (hors Afrique, hors Amérique du Sud, hors Indochine) qui ont fait défaut depuis la Deuxième guerre mondiale ?

Oui bien sûr, l’Islande. Elle vous revient très vite en mémoire : c’est encore tout frais !

Nous retrouvons ensuite le Japon, en 1946 et 1952. Vient également la vertueuse Allemagne en 1948 puis de nouveau en 1956 — un bon coup d’éponge consenti par les créanciers en pleine guerre froide, l’Union soviétique faisant davantage peur qu’un arriéré de paiement, on a préféré remettre les compteurs à zéro.

C’est seulement depuis 1956 que l’Allemagne peut se considérer comme un Etat indépendant, débarrassé de la tutelle de créanciers agissant en colons — non en « amis » (prêter de l’argent est le meilleur moyen de les perdre), et pas même en partenaires.

L’Islande a choisi de ne pas renflouer les banques privées lors de la crise des subprime. Elle a très vite réuni toutes les conditions pour permettre un rapide redémarrage de l’économie sur des bases saines, bien à l’abri des vautours de la finance et sans passer par la case austérité.

Si la Grèce suivait cet exemple, ce serait effectivement une catastrophe… pour la Troïka

Si la Grèce suivait cet exemple, ce serait effectivement une catastrophe… pour la Troïka. Une répudiation des créanciers internationaux et européens constituerait en effet un fâcheux précédent.

L’exemple à ne pas suivre quand on ne s’appelle pas l’Allemagne ou le Japon : seuls les puissants ont le droit de faire défaut sans risquer de mesure de rétorsion (comme les Etats-Unis en 1933 ou l’Angleterre en 1932). Les petits doivent se saigner à blanc jusqu’au trépas.

En ce qui concerne l’Islande, la situation était effectivement bien moins compliquée que pour la Grèce. Elle ne faisait pas partie de la Zone euro, et compte tenu de la façon dont Athènes a été « soutenue » par l’Europe… elle n’a plus aucune intention d’être candidate à la monnaie unique.

L’Islande s’est ainsi épargné une chute de 25% de son PIB, de 30% du revenu des ménages, de 38% des salaires moyens, de 45% des pensions de retraite, sans oublier la fermeture de 30% des entreprises (souvent du commerce de détail et de l’artisanat), le doublement du taux de pauvreté, un triplement du chômage.

Quelle population sur terre aurait accepté un tel scénario catastrophe

Quelle population sur terre aurait accepté un tel scénario catastrophe pour détenir une monnaie dont le principal mérite est d’avoir cours dans 18 pays qui ne sont même pas frontaliers ? Mais la Grèce va de nouveau être « sauvée », n’est-ce pas ? Si les indices boursiers reprennent 5% en 48 heures (+4+1%), c’est bien que le pire sera évité, non ?

Le pire sera évité une nouvelle fois pour les créanciers privés (banques d’affaires et hedge funds vautours)… Mais pas pour les Grecs, sommés de dégager plus d’excédent primaire avec moins de pouvoir d’achat puisque la TVA va être augmentée, les pré-retraites retardées, les taxes sur les produits de luxe relevées (il était temps, plus personne n’en achète depuis quatre ans !).

Cerise sur le gâteau… l’imposition sur les riches va être alourdie.

Le problème consiste juste à réclamer de l’argent à un Grec fortuné qui a mis tout le sien à l’étranger.

Tenez, rien que sur les journées de vendredi dernier et de lundi, les Grecs (enfin… ceux qui ont de l’argent, cela va de soi) ont retiré des banques grecques deux milliards d’euros puis 1,6 milliard en 48 heures, soit autant que durant tout le mois de mars.

Les retraits doivent maintenant avoisiner 50 milliards d’euros depuis le 1er janvier — et ça va être dur de faire rentrer la féta dans le pis de la chèvre (un vieux dicton grec traduit aujourd’hui par « c’est impossible de renfourner la pâte dans le tube de dentifrice »).

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