▪ Paris vient d’aligner mardi une dixième séance de hausse sur une série de 12. Il s’en est fallu d’un malheureux tout petit point d’indice supplémentaire pour que le CAC 40 (0,4% à 3 580,50) inscrive sa seconde meilleure clôture de l’année 2012 — après celle des 3 595 points du 16 mars dernier.
Au fait, vous souvenez-vous du niveau de la croissance anticipée en France il y a neuf mois ?
Mais oui, c’est cela, un bon 0,5% à 0,7% — prévisions officielles de Bercy le 23 mars dernier, vous pouvez vérifier.
L’objectif n’est pas aussi ambitieux que celui fixé par le FMI qui tablait même, fin 2011, sur 1,4% en France cette année, 9% en Chine et 4,5% dans l’ensemble du monde.
Autrement dit, à une époque où le consensus de croissance tournait autour de 1,2% en France (et 1,8% en 2013), le CAC 40 était valorisé à 3 150 points.
Douze mois plus tard, la France se débat pour échapper à la récession via des artifices comptables ; chacun s’accorde à reconnaître qu’elle connaîtra une croissance proche de zéro en 2013 sur fond de chômage record… mais le CAC 40 vaut 13% de plus !
▪ Le CAC 40 : un marché sous-valorisé ?
Comme les bénéfices des entreprises sont en contraction depuis deux trimestres consécutifs (et cela ne va pas s’arranger au quatrième), les gérants et stratèges se disputent le privilège d’affirmer la main sur le coeur qu’à 3 600 points, le marché parisien est notoirement sous-valorisé. Il y a 15 jours, un tel objectif, c’était l’Everest. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un simple muret à enjamber.
Le marché leur donne pourtant raison et les séances de hausse s’enchaînent.
Nous cherchons chaque jour (en vain) la moindre trace d’un flux acheteur mais le CAC 40 grimpe dans le vide et tout le monde est content : à cheval donné, on ne regarde pas les dents.
Paris vient de gagner 7,5% avec un peu plus de 20 milliards d’euros d’échanges cumulés en deux semaines et demi — d’ordinaire, il en faut le double pour alimenter une telle flambée — et nul ne s’étonne.
Lorsque l’exceptionnel se banalise, lorsque les plafonds historiques en termes de surachat volent en éclat, plus les cours montent, plus les anticipations rivalisent d’optimisme.
Pourquoi ne pas croire que les 260 points gagnés sans la moindre correction intermédiaire à Paris ne seront pas suivis de 200 points supplémentaires d’ici le 21 décembre prochain (journée des « Quatre sorcières ») ? Une année de récession s’achèverait ainsi par une envolée boursière de 20% !
Déjà 13%, ce serait du jamais vu et cela tiendrait du miracle… mais 20%, c’est devenu (à force de hausse somnambulique) une hypothèse qui ne choque apparemment plus personne.
Mais voyons, Messieurs de la Chronique Agora, le marché « paye » l’avenir et se moque du passé !
Tiens donc ! Alors le marché voit loin… car ce ne sont pas les perspectives 2013 qui justifient un tel rally : aucun redressement de l’activité n’est prévu en Europe avant 2014 ou 2015 — à condition que les plans d’austérité ne débouchent pas sur un scénario à la grecque dans la péninsule ibérique.
Ne voyons-nous pas planer l’ombre d’un doute ? Pour la troisième séance consécutive, Paris a connu une fin de séance laborieuse, caractérisée par un net affaiblissement de la dynamique haussière. Mais les vendeurs n’ont pas repris la main pour autant : aucune pression à la vente comme en témoignent les 1,55 milliard d’euros échangés à 17h29 et les deux milliards d’euros en clôture.
▪ Le sauvetage de la Grèce, encore et toujours
De toute façon, il n’y a aucun chance que les marchés corrigent puisque la Grèce vient de se voir accorder deux années de plus par l’Eurogroupe pour réduire ses déficits — le compte à rebours est repoussé de 2014 à 2016. Le risque de faillite est donc écarté une bonne fois pour toute.
Ce genre d’affirmation surréaliste nous est assénée deux fois par an en moyenne (fin 2011 et début 2012, il y avait un sommet de toute dernière chance tous les 15 jours). Tous les six mois, il faut soit faire un chèque, soit trouver une bidouille pour ne pas acter un défaut de paiement.
Pendant que la presse titre sur les 34 milliards qu’Athènes espère en vain depuis avril dernier, voilà que Chypre vient réclamer — et va obtenir — 17 milliards d’euros d’aide d’urgence car sa faillite est proche.
Quant à l’Espagne, le gouvernement voudrait nous faire croire que 40 milliards d’euros vont suffire à remettre le pays à flot. Une telle affirmation nous apparaît au mieux ridicule ; au pire, c’est une pure intox et une insulte à notre intelligence.
▪ Espagne/Crédit Lyonnais : même combat
Mais attendez, il y a peut-être du vrai dans cette affirmation, à condition de préciser qu’il s’agit de 40 milliards d’euros par an et pendant 10 ans. Une ardoise totale de 400 milliards d’euros à l’horizon 2022 (c’est-à-dire 15 ans après le début de la crise), voilà qui semble cohérent par rapport au stock de créances irrécouvrables détenues par les organismes de crédit espagnols.
Prenez le Crédit Lyonnais : le dossier sera soldé mi-2014, 20 ans après la mise en place du CDR. Notez que cela va coûter cinq milliards d’euros de plus au contribuable français, et que pas un euro n’a encore été provisionné.
Le Crédit Lyonnais, tout le monde a oublié. Alors les 40 milliards d’euros nécessaires aux banques espagnoles, au bout de la troisième édition, tout le monde s’en fichera, ce sera devenu une routine… à moins que les Allemands disent « stop » dès 2013.
Mais qui irait bloquer le versement de 40 malheureux milliards si cela peut empêcher la dislocation de la Zone euro ? Le problème, c’est que si l’euro tient le coup, c’est le modèle social et le pouvoir d’achat des Européens qui va se disloquer. Cela va coûter au final bien plus que 40 milliards d’euros par an.
Pour paraphraser le célèbre aphorisme de Winston Churchill au lendemain des accords de Munich : « c’est 40 milliards d’euros ou le chaos dites-vous… mais cela nous coûtera bien plus que 40 milliards d’euros et nous aurons le chaos ».