▪ Il ne s’est pas passé grand’chose sur les marchés hier. Alors à quoi allons-nous consacrer ces lignes ? Que pensez-vous de la fin du monde tel que nous le connaissons ? Dans le Wall Street Journal :
« L’économiste en chef du groupe HSBC Stephen King est l’homonyme d’un célèbre écrivain d’histoires effrayantes — une coïncidence dont il se lassera peut-être d’entendre parler ».
« Mais il serait juste de dire qu’avec son dernier livre, When the Money Runs Out: the End of Western Affluence [« Quand il n’y aura plus d’argent : la fin de la richesse occidentale », ndlr.], il se lance dans l’équivalent financier du genre horrifique. Plus effrayant encore peut-être, son livre n’est pas de la fiction ».
« Selon la thèse de M. King — résumée dans un entretien avec le Wall Street Journal — l’Occident risque un beau choc lorsque nous découvrirons que les taux de croissance élevés auxquels nous sommes habitués ne reviendront pas. Aux Etats-Unis, nous avons élaboré nos budgets en nous basant à tort sur un retour aux taux moyens de croissance réelle de 3,5% qui ont persisté tout au long de la deuxième moitié du 20ème siècle — une affliction que subissent à la fois les décideurs politiques et les ménages, qu’il appelle un ‘biais optimiste’ — et pourtant, avant même que la crise financière ne détruise des milliers de milliards de dollars de richesse, l’économie n’enregistrait que des gains de 2,5% par an ».
« Oubliez vos inquiétudes sur l’arrivée post-crise d’une ‘décennie perdue’ à la japonaise, dit M. King. ‘Nous avons déjà vécu une décennie perdue’. »
« Parmi les raisons de cette évolution de long terme vers un taux de croissance potentiel plus lent, il cite l’épuisement des divers gains de productivité qui ont stimulé la croissance après la Deuxième guerre mondiale : l’entrée des femmes dans la main-d’oeuvre ; la libéralisation du commerce mondial ; le triplement du crédit à la consommation basé sur une augmentation insoutenable des prix de l’immobilier ; et l’éducation. Ces gains ne sont pas réplicables, dit-il, mais les politiques sont aveugles à cette réalité et chargent donc les économies des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon avec des dettes à long terme ».
Est-ce bien vrai ? Probablement. Personne ne sait ce que l’avenir lui réserve, mais un homme sage espère le meilleur et se prépare au pire. Des taux de croissance plus bas ne sont pas le pire que l’avenir puisse nous envoyer… mais ils représentent un gros défi.
▪ La fin de la croissance telle que nous la connaissons
Durant la majeure partie de notre vie, la croissance économique était tenue pour acquise. Nous dépendions d’elle pour nous apporter plus de choses. Plus d’emplois. Plus de dépenses gouvernementales. Et pour nous rendre plus riches.
L’article du Wall Street Journal (WSJ) ne mentionne pas les deux autres raisons pour lesquelles la croissance économique rapide appartient peut-être au passé, et non à l’avenir. Nous avons déjà vu l’une dans ces lignes. L’autre est évidente.
En ce qui concerne la première raison, tout ou presque dans la nature est sujet à la loi du déclin de l’utilité marginale. On déguste un sundae pour le dessert. On aime ça. On en mange un deuxième, qui nous procure probablement moins de satisfaction. Le troisième commence à nous rendre malade. De même, dans les années 70, les économies matures — l’Europe, les Etats-Unis, le Japon — étaient déjà en train d’atteindre le point de déclin de l’utilité marginale en termes d’énergie. Elles aimaient encore ça. Mais cela ne leur procurait plus l’euphorie d’autrefois.
En plus des facteurs mentionnés ci-dessus par le WSJ, ce sont les carburants fossiles qui ont permis aux économies développées d’accomplir un tel bond durant les années d’après-guerre. L’utilisation d’énergie a grimpé ; la croissance du PIB aussi. Mais ensuite, dans les années 80 et 90, l’utilisation d’énergie a commencé à se lisser, voire à chuter — surtout en Europe. Le taux de croissance du PIB a décliné aussi — parce que le retour sur investissement énergétique n’était plus aussi intéressant. Les gens avaient déjà des automobiles, des camions, des machines, des appareils ménagers — tous les accessoires de la vie moderne. Ils ne pouvaient guère obtenir de croissance réelle en en rajoutant.
C’est pour cette raison que les découvertes de pétrole de schiste aux Etats-Unis sont importantes pour le secteur de l’énergie, mais probablement pas pour le reste de l’économie. Les Etats-Unis n’ont jamais manqué d’énergie ; simplement, ils ne peuvent pas en utiliser efficacement de plus grandes quantités.
▪ L’importance de la démographie
Quant à la deuxième chose qui manque — la démographie –, nous ne serons pas le premier à remarquer que l’Etat-Providence, dans toutes les démocraties matures, dépend de la croissance. Une génération — plus riche et plus nombreuse que la précédente — doit payer le prix de soutenir ses parents. Les soins de santé et les retraites sont devenus les premiers postes des budgets gouvernementaux… et ceux qui résistent le plus aux coupes.
Ces systèmes privés et publics sont désormais menacés par des taux de natalité déclinants, générant ce que Ed Hadas appelle « des économies zombie » :
« Les zombies ne sont ni vraiment vivants ni complètements morts. Les spectateurs de cinéma le savent, mais l’idée est également utile en ce qui concerne la démographie et l’économie. Bien que la zombification économique reçoive peu d’attention, ses conséquences pourraient être aussi importantes que la politique monétaire, les déficits budgétaires et les réformes structurelles ».
« Les tendances démographiques sont bien connues. Au cours des trois ou quatre dernières décennies, dans la plupart des économies développées, le nombre d’enfants nés a été trop bas, souvent beaucoup trop bas, pour maintenir une population constante. Le Japon est en tête dans ce déclin. En fait, la zombification de la population japonaise pourrait bien être le changement de ce genre le plus dramatique de l’histoire, du moins durant une période de paix, de prospérité et de bonne santé ».
« Bien entendu, Tokyo et Osaka ne sont pas réellement remplis de cadavres ambulants mangeurs de chair. Mais comme dans un film d’horreur, les forces vives de la nation s’épuisent. Au cours de la dernière décennie, le nombre de Japonais âgés de 20 à 25 ans a baissé de 22%. Dans la mesure où il n’y a quasiment pas d’immigration, l’avenir démographique est facile à prédire : une autre chute de 22% au cours des 20 prochaines années ».
« Par comparaison, le déclin de l’Eurozone semble modeste : une chute de 5% des 20-25 ans au cours de la dernière décennie. Certaines régions d’Europe ont des taux de natalité relativement élevés, et l’immigration maintient le niveau. Tout de même, la zone dans son ensemble peut s’attendre à un déclin démographique quasi-certain ».
« Les Etats-Unis ont résisté à la malédiction zombie. Le nombre de jeunes de 20-25 ans est 12% plus élevé qu’il y a 10 ans. Il se produira probablement un creux au cours des prochaines années suite aux derniers effets du déclin radical de la taille des familles après le baby-boom post-Deuxième guerre mondiale. Ensuite, la population jeune américaine devrait rester quasi-stable. Avec l’immigration, elle continuera probablement à se développer, quoique plus lentement que par le passé ».
« La zombification économique ne rendra pas nécessairement les gens plus pauvres. La richesse dépend de la productivité de l’économie, non du nombre de gens ou de leur âge. Mais elle a des conséquences ».
« La plus évidente est une croissance du PIB beaucoup plus lente. Le déclin est plus prononcé que ne le suggéreraient de simples comparaisons de la population totale ou de la main-d’oeuvre. Durant la zombification, les jeunes gens qui intégreraient l’économie si le taux de natalité était au niveau de remplacement ou plus manquent à l’appel. C’est un vide significatif, parce que les jeunes adultes fondent de nouveaux foyers ».
« La formation d’un foyer nécessite bien plus que des vêtements et du linge de lit. Dans les économies développées, les nouvelles familles ont besoin de maisons, de voitures et des autres infrastructures qui rendent la vie moderne si confortable : des centrales électriques, des câbles, des routes, des serveurs informatiques et des aéroports ».
« Les infrastructures requièrent des investissements, de sorte que les nouveaux foyers sont la portion de la population contribuant le plus au PIB ».
▪ Zombies contre zombies
Nous aurions aimé que M. Hadas n’utilise pas le terme « zombies » pour décrire des économies à la croissance lente. Le terme, correctement employé, fait référence à la manière dont, au cours du temps, de plus en plus de gens comprennent comment obtenir quelque chose en l’échange de rien. Des gens deviennent « éducateurs » et n’enseignent jamais rien à un seul étudiant. Ils transforment des secteurs entiers — la défense, la santé, la finance — en gigantesques systèmes de transfert de richesse qui produisent peu — voire aucun — bénéfice pour les gens qu’ils sont censés servir. En bref, les zombies consomment plus qu’ils produisent : ce sont des « négatifs net » pour la société.
M. Hadas a raison, en revanche, sur les effets de la baisse du taux de natalité. Ils diminuent aussi la « croissance ». Et sans croissance substantielle, la vie telle que nous l’avons connue prendra fin. Les actions chuteront, les créditeurs (par exemple les investisseurs obligataires) ne seront pas remboursés et les gouvernements devront réduire leurs dépenses… ou faire faillite.
Le problème, c’est que les gens dont les allocations devraient être réduites sont aussi les électeurs. Les zombies ont désormais le contrôle des secteurs les plus importants… et du gouvernement lui-même. Qu’arrivera-t-il quand le gouvernement ne pourra plus donner aux zombies ce qu’il leur a promis ?
Platon l’avait deviné. Dans le livre VIII de La République :
« Mais quand il en a fini avec ses ennemis du dehors, en s’arrangeant avec les uns, en ruinant les autres, et qu’il est tranquille de ce côté, tout d’abord il ne cesse de susciter des guerres, pour que le peuple ait besoin d’un chef. Et aussi pour que les citoyens appauvris par les impôts soient forcés de s’appliquer à leurs besoins journaliers et conspirent moins contre lui. Et s’il soupçonne que certains d’entre eux ont l’esprit trop indépendant pour se plier à sa domination, il a dans la guerre un prétexte pour les perdre, en les livrant à l’ennemi ».