Malgré des poches de faiblesse et les annonces de la Fed, l’inflation des crédits semble se poursuivre sans relâche.
Oui ou non, y a-t-il resserrement monétaire aux Etats-Unis ? La question se pose et elle est importante pour l’analyse de la situation et les futurs développements.
En un mot, voici mon hypothèse de travail : je me demande si le resserrement monétaire qui nous est vendu et survendu est bien réel. N’est-il pas cosmétique ? Les autorités ne font-elles pas le pari – incroyablement audacieux – de croire qu’un vrai resserrement n’est pas nécessaire, et que l’on peut se contenter de jouer sur les perceptions et les anticipations ?
Bref, je me demande si les autorités ne se contentent pas d’actions psychologiques.
Inflation anticipée et inflation réalisée
Ce serait cohérent avec le cadre analytique actuel des têtes pensantes de la Fed : elles n’ont plus aucune théorie de l’inflation, ni quantitativiste ni keynésienne, et, en dernier ressort, elles se sont rabattues sur une théorie de pure psychologie : l’inflation, c’est quand les anticipations d’inflations se mettent en branle.
Donc le véritable point d’appui de la lutte contre la hausse des prix c’est, ce sont, ce seraient les anticipations et les perceptions.
Ce serait aussi cohérent avec les contraintes devant lesquelles sont placées les régulateurs : contrainte de ne pas casser l’économie et le marché du travail et contrainte de ne pas enclencher de chaos boursier désordonné.
Le seul moyen de lutter contre l’inflation serait alors de lutter au niveau de son imaginaire et de son imaginé, au niveau de la magie, en essayant de préserver au maximum la transmission au réel. Il faudrait faire mal à certaines parties de la sphère imaginaire, sans toucher à l’essentiel.
La richesse perçue est du domaine de l’imaginaire, on est dans l’univers du papier.
Le deuxième trimestre 2022 a été misérable pour les marchés des valeurs mobilières. Il y a eu une forte baisse de la richesse perçue, ainsi qu’un resserrement significatif des conditions financières apparentes du marché. Pendant ce temps, le trimestre a été marqué par une poussée extraordinaire des pressions sur les prix.
Comment ces forces antagoniques ont-elles joué ?
Le crédit continue de galoper
Mon hypothèse est que l’action-spectacle, cosmétique, au niveau de la Bourse, a certes agi comme un signal de lutte contre l’inflation, comme un marqueur, mais que l’action en profondeur, objective, réelle, a été menée en sens inverse !
En clair et pour parler simplement, les conditions financières ne se sont contractées qu’au niveau du visible, le marché boursier. En parallèle, elles ont continué de déraper allègrement au niveau souterrain, au niveau que personne ne surveille, que personne ne voit : le crédit ! Les marchés, trop visibles, ont passé le témoin aux banques, plus discrètes.
Le crédit a continué de galoper, et c’est voulu pour ne pas abimer, pour ne pas faire mal.
Certes, porté par un fort ralentissement des emprunts du Trésor (de 10,22% à 5,56%), la croissance de la dette non financière (NFD) totale a ralenti, elle est passée de 8,32% au T1 à 6,49%, mais, en sens inverse, toutes les autres dettes ont galopé.
Le taux de croissance de la dette hypothécaire des ménages a atteint 8,78 %, le rythme le plus élevé depuis 2006. Le crédit à la consommation a accéléré à 8,51 % au T2. Les emprunts des entreprises ont progressé de 7,93 %. Le rythme de croissance du crédit aux entreprises est le plus rapide depuis 2007.
En somme, malgré des poches de faiblesse, l’inflation des crédits se poursuit sans relâche. La politique du crédit est tout sauf orientée vers la modération et l’austérité.
Sur une base désaisonnalisée et annualisée (SAAR), la dette non financière a augmenté à un rythme de 4 316 Mds$ au cours du deuxième trimestre. C’est plus du double de la moyenne annuelle de 1 846 Mds$ pour la décennie 2010 à 2019, et près de 50% de plus que le pic du cycle de 2 899 Mds$ de 2004 – qui n’a été dépassé qu’en 2020, avec la folie du crédit à 6 796 Mds$.
Un an de dettes en six mois
Pour la perspective, la croissance des prêts a été en moyenne de 363 Mds$ par an sur la période de 2000 à 2019. Ici les prêts bancaires ont augmenté à un taux fulgurant de 17,3% au cours du deuxième trimestre. Au milieu de l’année 2022, la croissance des prêts de 721 Mds$ a déjà dépassé le record de 685 Mds$ enregistré en 2005.
Pendant des années c’est le marché boursier en plein essor qui a joué le rôle de moteur inflationniste, mais en 2022 c’est le système bancaire revigoré qui prend le relais. Les prêts bancaires ont bondi de 555 Mds$ supplémentaires au cours du trimestre, c’est un chiffre qui n’a été dépassé que par le record de 561 Mds$ du premier trimestre 2020, qui était dû au Covid.
Les prêts et le crédit bancaire sont redevenus de puissants moteurs de la croissance du crédit.
Les responsables de la Fed non seulement connaissent ces chiffres, mais ils en jouent ! Ils savent qu’ils alimentent les conditions inflationnistes, ils savent qu’ils les solvabilisent. Ils savent que l’inflation ne reviendra pas vers les 2% tant que le crédit continuera d’être distribué aussi généreusement. Mais, dans le cadre de la stratégie révélée en préambule, ils ne veulent surtout pas que le crédit se modère, car c’est lui qui permet au système de ne pas craquer et de rester ordonné.
C’est cette surabondance de crédit encore historique qui permet aux canalisations et à la tuyauterie de ne pas se colmater. Et c’est possible parce que les banques américaines sont en bonne santé ; elles se sont refait une santé depuis 2008.
Les autorités ont été forcées pour des raisons politiques de faire quelque chose contre l’inflation, elles ont tenu le grand discours de la rigueur au niveau public, au niveau des conditions financières perçues du marché, mais elles ont encouragé le laxisme des conditions financières au niveau de l’autre segment celui des conditions financières réelles, le segment bancaire !
La dynamique spéculative a certes été cassée, mais en contrepartie la dynamique de distribution du crédit bancaire a été ressuscitée.
La suite au prochain article…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]