La Chronique Agora

Wall Street se rit de Roubini… mais les cambistes s'enfuient !

▪ L’OCDE s’aligne sur les conclusions de la dernière enquête éditée par Blue Chip Economic Indicators. Les prévisions de croissance doivent être révisées à la baisse dans de nombreux pays… mais promis juré, ce n’est qu’une faiblesse passagère.

Il n’est pas question d’avaliser le scénario d’un "double creux" comme l’envisagent des oiseaux de mauvais augure tels que Nouriel Roubini… ou tous ces cambistes qui fuient la zone dollar et cherchent activement refuge sur le yen et le franc suisse (deux devises qui pulvérisent aujourd’hui même des records historiques face au billet vert ou à l’euro).

M. Roubini, dans une interview accordée à CNBC hier soir, s’attend à ce que la croissance américaine soit plus proche de zéro que de 1% au troisième trimestre. Il explique cependant le haut niveau actuel des indices boursiers par l’impression favorable résultant du rythme d’expansion des profits des entreprises multinationales… mais en partant d’aussi bas qu’en juin 2009, il n’est pas difficile de faire ressortir des taux de progression qui donnent le tournis.

Nous ajouterons que l’optimisation de l’utilisation des ressources et la réduction des coûts ont atteint leur limite au deuxième trimestre 2010. Les marchés ont volontiers zappé le sujet ; toutefois, la chute de la productivité américaine (-1,8%) préfigure une dégradation mécanique des marges au second semestre 2010.

▪ Tout à l’euphorie de l’apparente embellie du marché du travail, Wall Street s’est bien abstenu d’en tenir compte début septembre — tout comme de la faiblesse de la consommation ou de la contraction du volume du crédit.

Tous ces chiffres sont connus… mais ils n’ont pas suscité une ligne de commentaires dans les médias depuis 10 jours !

La cinquantaine d’économistes indépendants qui participent à l’élaboration du baromètre conjoncturel Blue Chip Economic Indicators en ont tenu compte. Ils soulignent la dégradation des perspectives de consommation des ménages, d’investissement des entreprises et des constructeurs de logements individuels.

Pour l’ensemble de 2010, le PIB américain est désormais attendu en hausse de 2,7% contre 2,9% il y a tout juste un mois et 3,3% prévus en juin. Pour 2011, le consensus recule de 0,3% pour revenir à 2,5%… ce qui satisferait beaucoup de monde compte tenu de la teneur du dernier Beige Book de la Fed.

La Fed identifie une "profusion" de signes de ralentissement de l’activité dans tout le pays. C’est une formulation pour le moins inhabituelle… mais le terme de récession ne sera jamais prononcé quoi qu’il arrive, alors il faut bien faire preuve d’originalité pour suggérer la chose. Quoi qu’il en soit, sur les 12 antennes régionales de la banque centrale, seules deux ont pu faire état d’une amélioration de la conjoncture.

▪ Le principal point noir demeure l’emploi. Le secteur tertiaire est en perte de vitesse (les chiffres de l’ISM des services étaient sans équivoque vendredi, même s’ils ont été délibérément ignorés), et les entreprises continuent de recourir aux "extras" et aux CDD plutôt qu’aux embauches fermes.

La durée hebdomadaire du travail demeurant stable au mois d’août (une hausse des heures supplémentaires préfigure souvent un rebond des créations d’emploi), il nous est difficile de partager l’enthousiasme forcené de Wall Street vendredi dernier.

Si les cambistes croyaient en une reprise, pourquoi continueraient-ils de se débarrasser de leurs dollars ? Si les spécialistes croyaient dans une hausse de l’activité en Chine et aux Etats-Unis, pourquoi maintiendraient-ils le baril de pétrole sous les 75 $ depuis fin août, au lieu de le propulser vers les 83 $ ? Les indices boursiers ont bien retrouvé leurs niveaux de l’époque…

▪ Les opérateurs qui ont fait grimper les cours de Bourse ces dernières 48 heures (3% ont été repris en ligne droite depuis les planchers testés mercredi matin) ne font plus mystère de leurs motivations : elles n’ont, comme nous le supposions dès l’origine, rien à voir avec la conjoncture.

Ils font le pari que le comité "Bâle III" va faire preuve de mansuétude concernant les  nouvelles règles de constitution des fonds propres des banques.

Les banques pourraient se contenter de devoir respecter un ratio de fonds propres "durs" (core tier one) de 7% — au lieu d’un montant estimé initialement à 9% –, qui se décompose en un ratio minimum de 4,5% à 5% et un ratio "matelas" de 2 à 2,5%.

Certaines banques respectent déjà ces seuils. D’autres, qui ne sont pas encore sorties de l’ornière des créances douteuses (ceci inclut également certaines dettes souveraines), pourraient avoir du mal à lever les capitaux nécessaires pour les atteindre… Mais faites comme les marchés : n’y pensez plus et savourez la hausse linéaire des indices boursiers depuis mercredi !

▪ Le CAC 40 a ainsi repris 120 points (soit +3%) en 48 heures. Si l’on fait le bilan des bons et des mauvais chiffres publiés dans l’intervalle, il est assez surprenant que la balance penche aussi unilatéralement à la hausse, de telle sorte que le CAC 40 déborde nettement les 3 700 points (à 3 722 points en clôture jeudi)… Cependant, les volumes ne sont toujours pas de la partie : trois milliards d’euros d’échanges quotidiens en moyenne.

De nombreux chartistes crient pourtant déjà victoire. Après tout, la résistance oblique moyen terme des 3 700 points est effacée — mais rien n’est encore acquis sur l’Euro-Stoxx 50 qui devra confirmer aujourd’hui sa capacité à déborder les 2 790 points.

Ils n’hésitent pas à donner rendez-vous au CAC 40 avec les 3 780 ou les 3 800 points avant la séance du 17 septembre (c’est-à-dire la journée des "Quatre sorcières" mensuelle et trimestrielle).

Hasard ou coïncidence, le deuxième trimestre 2010 s’était achevé à 3 687 points le 18 juin dernier — soit très précisément le niveau testé au plus haut en séance la veille. Et ne rien perdre sur un trimestre qui a vu la croissance américaine divisée par deux, c’est le genre de performance sur laquelle nous n’aurions pas misé une once d’or.

A propos, le métal précieux a réédité mercredi midi, à cinq dollars près, son record de la fin juin : 1 263 $ contre 1 268 $ le 21 juin dernier. Cela fait beaucoup de coïncidences pour un 9 septembre.

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