▪ Il n’y a décidément pas moyen de voir les marchés réagir autrement que dans l’excès face à chaque inflexion ponctuelle et très partielle du paysage macroéconomique.
Pour preuve, il a suffi du premier "bon chiffre" (l’ISM des services) publié depuis une bonne semaine aux Etats-Unis pour que Wall Street explose littéralement à la hausse. On a enregistré +2% moins de 40 minutes après l’ouverture, +2,2% à la mi-séance.
Il faut dire que les actions américaines bénéficient depuis une bonne quinzaine de jour d’un biais haussier qui trouve son origine dans la dégringolade (dévaluation compétitive) du dollar. Ce dernier se retrouvait lundi en chute libre sous les 1,38/euro (-1,2% à 1,3850/euro), menaçant d’enfoncer son plancher historique des 83 face au yen.
▪ A Paris, ce sont pas moins de trois séances de repli consécutives qui se trouvent effacées d’un seul élan. Le CAC 40 a repris 100 points en cours de séance hier, effaçant la moitié du terrain perdu depuis le zénith des 3 830 points du 20 septembre. Il en a terminé sur un gain inespéré de 2,25%.
Mais les indéfectibles optimistes qui voient les indices remonter vers les sommets d’ici la publication des chiffres de l’emploi vendredi occultent un peu trop à la légère un aspect technique important.
Les volumes ne sont pas au rendez-vous… et certains parallèles donnent le vertige (sauf à ceux qui ne regardent pas ce qui se passe sous leurs pieds). En effet, le CAC 40 a chuté de 3 730 points vers 3 650, avec 10,3 milliards d’euros ; le même écart est accompli en sens inverse en une seule demi-journée avec seulement 3,2 milliards d’euros échangés.
Le déséquilibre est flagrant, même si nous admettons volontiers qu’après six séances de repli d’affilée, les valeurs européennes étaient mûres pour un rebond, ce qui pouvait faire soudain disparaître les vendeurs du paysage boursier.
Dès qu’il est devenu évident que les marchés n’iraient pas plus bas, il est devenu facile de précipiter les "rachats de découvert" en propulsant le CAC 40 au-delà des 3 700 points.
Les places "latines" ont été particulièrement favorisées puisque Milan grimpait de 2,15% et Madrid de 2,5% — tandis que Francfort et Amsterdam se contentaient de +1,4% et l’Eurotop 100 de +1,5%.
La journée avait pourtant démarré sur une note de lourdeur en Europe. Les ventes de détail ont en effet reculé deux fois plus fortement que prévu au mois d’août (-0,4% au lieu de -2% anticipé).
Ce chiffre contrebalançait l’envol de 1,45% de la bourse de Tokyo. Cette dernière a bondi de 2% par rapport à ses planchers de la matinée en apprenant que la banque centrale du Japon réduisait — comme elle en avait exprimé l’intention — la fourchette de son taux directeur de 0,00% à 0,1% (contre un plancher de 0,1% précédemment).
Cette mesure technique ne pouvant suffire à relancer la croissance dans l’Archipel, la Banque du Japon annonçait dans la foulée un nouvel épisode d’assouplissement quantitatif. Il est destiné à injecter de nouvelles liquidités dans le système financier nippon et soutenir la consommation en offrant aux banques de la marge de manoeuvre supplémentaires.
Le retour à une politique de "taux zéro" sur fond de surliquidité chronique est donc acté depuis mardi matin. Le fait accompli semble avoir joué face au dollar : le mécanisme de reverse carry trade se poursuivait de plus belle en faveur de la devise nippone.
Le dollar n’a aucunement profité de ces initiatives japonaises puisqu’il demeurait ancré à proximité de son plancher historique face au yen, vers 83,2. Il a également à nouveau perdu du terrain face à l’euro (-1,2% à 1,3850, nouveau plus bas depuis le 4 février dernier).
Les cambistes sont d’autant plus enclins à laminer le billet vert que les derniers sondages prédisent une défaite électorale assez cuisante pour le parti démocrate fin novembre, les défections s’avérant de plus en plus nombreuses parmi les conseillers de Barack Obama.
▪ Ce phénomène est assez traditionnel avant le scrutin de la mi-mandat. Il correspond d’ordinaire à un mini-remaniement stratégique destiné à tracer les lignes directrices de la politique qui sera menée ultérieurement (d’ici novembre 2012). Mais les politologues ont cette fois-ci du mal à déterminer quelles sont les nouvelles orientations de la Maison Blanche.
Ils ont en revanche une certitude : les démocrates vont perdre leur majorité dans les deux chambres, et il va devenir extrêmement facile pour les républicains de torpiller tous les projets présidentiels… surtout ceux qui viseraient à réduire les déficits par un alourdissement de la fiscalité sur les plus riches — et plus généralement n’importe quel projet de hausse de taxation, qu’elle concerne les revenus du travail comme du capital.
Ben Bernanke s’est appliqué dans le discours qu’il a prononcé lundi à promettre "du sang et des larmes" pour l’Amérique si elle ne s’attaque pas immédiatement à la réduction des déficits. Cela ne laisse qu’une seule issue à l’administration Obama : réduire les dépenses, y compris militaires.
Le retrait des troupes américaines d’Irak, annoncé prématurément au printemps dernier, pourrait plonger ce pays dans le chaos politique. L’Iran n’attend que cela pour pousser ses pions chez son voisin et prendre sa revanche sur la coalition occidentale. Les républicains ne manqueraient alors pas de dénoncer une politique étrangère irresponsable qui compromet les intérêts vitaux du pays en matière d’approvisionnements pétroliers.
Si Barack Obama fait marche arrière face à un danger de désintégration auquel le régime en place à Bagdad ne peut faire face, les républicains dénonceront l’incohérence de la gestion de ce dossier, le coût financier et humain exorbitant de cette aventure.
Après avoir empoisonné la fin du second mandat de George Bush, l’Irak pourrait s’avérer constituer le même genre de malédiction pour son successeur.
▪ Les cambistes peuvent surfer sur un troisième handicap affectant le dollar. Handicap qui n’est ni budgétaire ni géostratégique puisqu’il s’agit du risque de contestation de n’importe quelle politique — vertueuse ou laxiste, sociale ou libérale, logique ou absurde — mise en place au cours des prochaines années aux Etats-Unis si le mouvement Tea Party prend de l’ampleur.
La référence historique à ces quelques centaines de ballots de thé jetés dans le port de Boston en 1773 pour protester contre la multiplication des taxes et règlements commerciaux imposés sans discernement par l’Angleterre peut faire sourire. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il s’agit de l’acte fondateur d’une aspiration à l’indépendance qui devait mener, trois ans plus tard, à une guerre ouverte qui se solda par la défaite surprise de l’Empire britannique.
Le mouvement Tea Party du 21ème siècle ne désigne aucun adversaire à l’extérieur de ses frontières puisqu’il s’en prend à l’administration américaine au sens large et à la consanguinité du monde politique et des affaires en particulier.
Mais ce sont les démocrates qui symbolisent le mieux l’interventionnisme d’Etat que les libertariens rejettent ; ce sont donc les élus de ce parti qui sont particulièrement visés par le mouvement protestataire actuel.
Cela fait naturellement le jeu de l’opposition républicaine. Ce n’est pas un hasard si Fox News, une chaîne d’information ouvertement hostile à Barack Obama, a accordé très tôt aux leaders souvent inconnus du Tea Party une visibilité sans aucun rapport avec sa représentativité réelle dans l’opinion.
Les thèmes souvent populistes répercutés avec beaucoup d’empressement par les médias nationaux classés "à droite" n’ont pas tardé à séduire un large public. Il ne fait aucun doute que ce sont autant de votes et de supporters qui manqueront aux candidats démocrates d’ici la mi-novembre.
Une véritable promesse de blocage politique et de chaos budgétaire se dessine aux Etats-Unis à l’horizon 2011/2012. Ne cherchez pas beaucoup plus loin pourquoi l’once d’or vient de passer la barre des 1 340 $ mardi soir… alors que Wall Street fait semblant de croire en un avenir radieux !