▪ La première semaine du mois de mai (lequel a par tradition plutôt mauvaise réputation) se termine façon cauchemardesque en Europe. Elle restera certainement l’une des pires de l’histoire des marchés tant sur le fond que sur la forme.
L’ambiance vendredi dernier s’apparentait à bien des points de vue à celle qui régnait quelques jours avant la faillite de Lehman. Les banques ne se prêtent plus d’argent entre elles, chacune soupçonnant sa contrepartie d’être exposée au risque de banqueroute de la Grèce, du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne… et pourquoi pas à terme de l’Angleterre ou des Etats-Unis.
La béatitude surréaliste des marchés de la mi-février à la mi-avril a volé en éclats. S’y ajoute à présent la crainte de voir les ordinateurs livrés à eux-mêmes sans le moindre contrôle humain déclencher des cataclysmes boursiers sans même que les événements que redoutent les marchés ne se matérialisent.
▪ Les épargnants américains ont vu disparaître 10% de leur patrimoine en quelques minutes jeudi soir. Ceux qui détenaient des titres du géant Accenture ont par exemple vu leur future retraite anéantie vers 20h45, le titre ayant inscrit un cours de 0,01 $ (soit 99,9% de baisse !).
Wall Street a donc vécu un quart d’heure d’absurdité totale dans l’évolution des indices américains (-9% en moyenne vers 20h47). Cela risque d’entretenir la crainte que tout dérape de nouveau en cas de mauvaise nouvelle.
Le même scénario s’est reproduit quelques heures plus tard à Paris. La débâcle boursière y a pris l’apparence technique d’un krach entre 15h45 et 16h45, le CAC 40 s’effondrant de 4,5% en une heure — et de 5,75% au plus bas du jour, avec un test des 3 350 points à la clé.
Pas une seule valeur du SBF n’a terminé en territoire positif ni ne perdait moins de 2% en clôture. Toute la cote est à vendre — à tout prix, est-il besoin de le préciser –, des considérations telles que le rendement, la qualité de la signature, l’absence d’exposition au risque grec semblent n’avoir plus aucun objet.
Malgré quelques rachats techniques en fin de séance, le CAC 40 n’est pas parvenu à se redresser au-dessus des 3 400 points (plancher de la mi-août, ex-zénith de début juin 2009).
Aucune lueur d’espoir n’a réussi à poindre à l’horizon au moment du fixing. De lourds dégagements se sont poursuivis jusqu’au bout — et même au-delà de l’heure habituelle puisque la valeur du CAC 40 n’a pu être calculée que vers 17h45.
Wall Street n’a pas davantage rassuré vendredi soir. Le Dow Jones a lâché 1,33% à 10 379 points et perd 7% sur la semaine, la pire depuis novembre 2008.
Le Standard & Poor’s 500 s’est replié de 1,53% à 1 111 points (-6,5% sur la semaine). Le Nasdaq a chuté de 2,33% à 2 266 points, dans le sillage d’Apple (-4,25%).
Preuve de la nervosité ambiante, le VIX s’est encore envolé de 25%. Il a re-franchi la barre des 40 : dire que ce baromètre de la peur venait de toucher un plancher de 15,25 quinze jours auparavant ! C’est la marque d’une véritable situation de panique… irrationnelle ?
▪ Wall Street n’a en tous cas pas réussi à redresser la barre après le mouvement de panique souvent qualifié d’accidentel vu le scénario délirant et complètement ubuesque engendré par une déferlante d’ordres de vente informatisés « à l’aveugle » qui a abouti à l’effondrement de 99,9% du cours de certains titres.
Il ne faut pas perdre de vue que le krach météorique de jeudi soir a provoqué la liquidation de milliers d’investisseurs individuels. Ils ont vu leurs positions soldées d’office et leur compte en Bourse réduit à néant en quelques secondes pour cause d’absence de couverture suffisante.
L’hypothèse même de l’erreur de passation d’ordre (il y a en pourtant eu, c’est certain, mais pas d’aussi spectaculaires que la rumeur le prétendait initialement) ayant déclenché une apocalypse informatique est remise en cause.
Ce n’est pas une bonne nouvelle car cela signifierait que le marché n’a eu besoin d’aucun catalyseur accidentel ou exogène pour s’effondrer comme un château de cartes. Cela prouve également que des millions d’investisseurs individuels n’ont aucun moyen de se protéger contre ce genre de scénario, qui ne laisse même pas le temps d’allumer son ordinateur pour accéder à son compte. Ils peuvent donc voir leur épargne se volatiliser sans cause identifiable.
Il n’est pas étonnant que beaucoup d’intervenants se posent des questions et soient réticents à remettre de l’argent dans un système qui peut dérailler à tout moment.
▪ Un second constat saute aux yeux : il s’agit de l’illiquidité généralisée des marchés au-delà d’un certain niveau de stress… Et cela n’est carrément pas modélisé dans les logiciels experts qui gèrent l’exécution des ordres — à la milliseconde ou non.
Le mythe de la capacité du marché à fixer le juste prix (parce qu’il synthétise toute l’information disponible) a définitivement disparu.
La démonstration a été faite jeudi que la principale information servant à fixer un cours… c’est le cours lui-même. Il s’agit là de la négation même du concept de marché.
Ce n’est pas nous pour une fois qui l’affirmons mais l’un des chroniqueurs vedette de CNBC : il a en effet interpellé l’un des plus brillants concepteur de logiciels de flash trading, venu défendre tout ce qui rend prétendument le marché toujours plus liquide et efficient, en lui posant cette question qui l’a laissé longtemps sans voix : « pouvez-vous m’expliquer l’utilité sociale du type d’activité que vous pratiquez » ?