** Il y a bien longtemps que Wall Street n’avait pas connu un climat aussi délétère ! Pour être précis, les indices américains n’ont jamais perdu 7% — Dow Jones, S&P et Nasdaq confondus — au cours d’un mois de novembre depuis la chute du mur de Berlin !
Il y a bien eu quelques précédents malheureux,comme en 1991, 1994 puis 2000. Cependant, le recul de Wall Street n’a jamais dépassé 5% (sauf une fois, mais c’était le fameux automne 2000). Il faut s’attendre à ce que ce mois de novembre 2007 laisse des traces…
Aucun recul supérieur à 10% n’avait plus été observé sur le Nasdaq Composite depuis février 2002. Et si la tendance haussière est en vigueur depuis octobre 2002 — cela fait très exactement cinq ans que l’orientation des technologiques demeure positive –, il faut bien prendre conscience qu’il s’agit d’un épisode de progression d’une durée exceptionnelle, largement supérieure à la moyenne des 25 dernières années. Mais chaque fois que les valeurs américaines ont réussi à progresser plus de quatre années d’affilée, les corrections se sont toujours avérées d’une amplitude supérieure à -20%.
Qu’en sera-t-il cette fois-ci, alors que la hausse des marchés mondiaux n’a reposé que sur une création monétaire galopante depuis l’automne 2001 ?
Des milliers de milliards de dollars ont été imprimés et ils ne correspondent à aucune augmentation de richesse réelle, puisque les Américains se sont endettés d’autant. La « création de valeur » (le pseudo-gonflement du patrimoine des ménages) qui en a résulté se résume à une bulle des actifs immobiliers et boursiers — l’un se hissant sur le dos de l’autre et réciproquement. Pendant ce temps, le taux d’épargne s’effondrait symétriquement et s’avère constamment négatif depuis plus de trois ans.
** Mais nous voici parvenus à la veille du black Friday, un vendredi dont le noir n’a rien à voir avec la bourse, tout du moins jusqu’à présent ! Cette couleur provient de la fréquentation des centres commerciaux américains qui sont… « noirs de monde ».
Il s’agit du vendredi le plus crucial pour le secteur de la grande distribution et du commerce de détail. C’est le jour « le plus long » en termes de consommation : les dépenses des ménages battent chaque année des records depuis cinq ans et Wall Street devient, cette année, le dernier bastion du sentiment de richesse.
Il importait que la débâcle actuelle ne dérape pas au-delà de cette séance de mercredi. La « main invisible » a évité aux indices américains de mettre un premier pied dans l’abîme avant le long pont de Thanksgiving.
** Paris n’y est malheureusement pas parvenu, contrairement à Francfort ou Milan (qui ont limité la casse à -1,5%). Le CAC 40 a chuté de 2,3%. Les valeurs moyennes regroupées dans le SBF 80 ont dévissé de 2,5%… et les valeurs françaises basculent nettement dans le rouge sur l’année 2007. Le CAC 40 accuse un repli de 3% mais il tentera peut-être de reprendre appui sur le plancher des 5 380 points du 10 septembre dernier.
Malgré une forte de volatilité et de gros écarts à la baisse, les volumes d’échanges n’ont pas été très spectaculaires : 7,85 milliards d’euros. C’est du même ordre que la veille, et légèrement supérieur (10%) par rapport à la semaine passée.
Le CAC 40 a dévissé dans le sillage des valeurs bancaires : la Société Générale s’effondre de 5,9%, victime d’une recommandation de vente de Goldman Sachs, Dexia dévisse de 6,15% et Crédit Agricole de 4,3%.
Les marchés ressentent maintenant les premiers effets d’une dégradation de l’environnement économique international : inflation, ralentissement de la croissance en Europe et aux Etats-Unis,… Ils s’alarment de la flambée du pétrole à 99 $, sur fond de prévisions pessimistes présentées par la Fed à l’occasion de ses minutes du mardi soir.
** C’est dans ce contexte qu’a été annoncée une baisse plus forte que prévue de l’indice des indicateurs avancés aux Etats-Unis en octobre. Cette baisse est de 0,5% (contre 0,3% seulement prévu par les économistes) et nous assistons à un recul de 2% des prix de l’immobilier aux Etats-Unis au troisième trimestre. La valeur moyenne des maisons chute à 220 800 $.
D’après Henry Paulson, le secteur immobilier n’a pas fini de purger ses années d’euphorie et le taux de défaillance des emprunteurs devrait aller en augmentant au cours des prochains mois.
Seul indicateur un peu rassurant : l’indice de confiance de l’Université du Michigan remonte à 76,1 (contre 75 début novembre). Mais les cambistes ignorent superbement ce chiffre et continuent de déboucler (à perte) leurs opérations de carry trade, au profit du yen qui pulvérisait, ce mercredi midi, la résistance des 109,3 $ pour s’envoler vers les 108,5 $.
Nul doute que le pessimisme des opérateurs européens a été renforcé ce mercredi par la chute du dollar sous les 1,4840 euro, laquelle s’est aussitôt soldée par une flambée du baril de pétrole à 99 $.
L’or noir joue à plein le rôle de variable d’ajustement (les spéculateurs font clairement le jeu des pays producteurs de l’OPEP… à moins que ce ne soient les mêmes ?) lorsque le dollar se délite et la facture s’alourdit spectaculairement pour les Etats-Unis depuis le 22 août puis surtout le 5 octobre dernier.
** C’est pourquoi beaucoup d’économistes — mêmes parmi les « sherpas » de Washington — manquent de s’étrangler lorsque la Fed affirme que les pressions inflationnistes devraient s’inscrire à la baisse en 2008 : le prix de la dinde (de Thanksgiving) a fait un bond de 10% en un an, les céréales du petit-déjeuner ont pris 15% à 20% — le maïs soufflé, notamment, et cela ne s’arrange pas si on l’arrose de lait, qui a pris 12%.
Et ne parlons pas du prix de l’essence et du fuel ! Il n’y a plus qu’à parier sur un hiver d’une douceur andalouse sur la côte est et le Middle West américain, cela pourrait faire baisser la facture de chauffage… et stoppera peut-être la transhumance nord-sud des ménages les plus aisés, qui fuient chaque hiver la froidure de la région des Grands Lacs.
Comment les ordinateurs de la Fed sont-ils parvenus à modéliser un impact neutre de l’inflation importée sur le panier de la ménagère, ou encore la non-répercussion du doublement du prix du baril en 10 mois sur les coûts de production des entreprises américaines ? Mystère. Comment Ben Bernanke espérait-il faire avaler cela à Wall Street ? Peut-être en calculant que les Américains vont faire de substantielles économies sur le prix des logements et les loyers si la décrue actuelle se perpétue en 2008… Il suffit de réintroduire cette variable dans les indices d’inflation et d’en exclure symétriquement les denrées garnissant les frigos et les congélateurs (un clou chasse l’autre) !
** Mais Wall Street semble perdre toutes ses illusions : la résistance mentale au concept de crise du subprime — à coup de faux fuyants et de mensonges grossiers — semble avoir rendu les armes ce mercredi.
Nous avons assisté hier soir à une capitulation en rase campagne des indices US. L’ultime tentative visant à éviter aux indices américains de commettre un faux pas — peut-être irréparable — en cette veille de week-end de Thanksgiving a lamentablement échoué. L’indice Dow Jones a très tôt perdu le contact avec les 13 000 points, mais parvenait jusqu’à la mi-séance à préserver ses planchers de la veille.
Le support des 12 845 points a volé en éclat à une demi-heure de la clôture, l’indice dévissant sous les 12 800 points : tout l’inverse du scénario observé la veille puisque l’intégralité des pertes avait été effacé au cours de 90 dernières minutes de la séance. Au final, le Dow a terminé en repli de 1,62% et inscrivait son plus bas niveau de clôture depuis avril dernier (le plancher du 16 août a cédé sans opposer une grosse résistance)… et le prochain objectif devient 12 520 points, le plancher intra-day du 16 août dernier
Philippe Béchade,
Paris