Derrière les bénéfices pharaoniques de Nvidia, le marché repose sur une demande largement artificielle, des montages financiers circulaires et un mur énergétique impossible à franchir.
Wall Street s’est hissé vers des sommets jugés encore inaccessibles en juin dernier, alors que les indices US avaient réussi presque l’impossible : effacer, en deux mois seulement, les stigmates de la refonte du commerce mondial par le biais de l’alourdissement (+15 % en moyenne) des droits de douane imposés au monde entier par Donald Trump.
Ce sont pourtant 18 % qui seront rajoutés, dans le cadre d’un mouvement ascendant quasi linéaire de 18 semaines (soit un rythme inexorable de +1 % par semaine), qui s’est achevé par une pluie de record absolus et simultanés de tous les indices US – Russell 2000 compris – le 29 octobre dernier.
Ce rallye estival inspiré par la révolution de l’IA fut digne des envolées euphoriques de janvier à mars 2000. Ces gains ont tenu jusqu’au 12 novembre, c’est-à-dire jusqu’à la cinquième séance précédant la publication des résultats de Nvidia.
Ils n’ont pas déçu. Toutes les attentes ont été battues, dans tous les domaines : profits (31,8 Mds$ de bénéfices), marges (73,4 %), prévisions annuelles (Nvidia vise 65 Mds$ de CA au quatrième trimestre)… Un carton plein absolu.
Selon le P-DG, Jensen Huang, le succès serait tel que les derniers GPU Blackwell – les plus chers du marché – seraient « sold out » pour des mois et des mois… et si la cadence de production explosait, tout serait vendu jusqu’au dernier exemplaire.
Mais si les carnets de commande sont pléthoriques et que de nombreux ordres d’achat comportent dix zéros, il faut se demander à un moment comment un tel rythme est soutenable, alors que l’IA génère en réalité peu de revenus (OpenAI a déclaré 3,7 Mds$ de revenus en 2024 et espère monter à 15 Mds$ d’ici fin 2025), et surtout des pertes pour 90 % des clients de Nvidia.
Qui a les moyens de rivaliser à coup d’endettement avec les « Sept Fantastiques », ou du « Top-10 » du S&P 500 ?
Dan Ives, l’analyste star de Wedbush Securities, « hyper-bull » sur les valeurs technologiques depuis trois ans, se félicité d’un trimestre « monstrueux » de Nvidia qui justifie que les marchés « débouchent le champagne ».
Mais en analysant les flux financiers réels, on constate que plus de 85 % d’entre eux s’échangent en circuit fermé. Si l’on exclut les transactions circulaires entre OpenAI, Microsoft, Oracle et AMD, la demande organique des utilisateurs finaux semble archi-marginale.
En réalité, 98 % des entreprises du S&P 500 font appel aux « Big Four » et OpenAI ne pourra lever des fonds qu’à condition de démontrer que ChatGPT demeure le modèle le plus performant. Et ce n’est déjà plus le cas, puisque des tests de performances placent Gemini 3 de Google loin devant, Grok le surclasse également, ainsi que Perplexity. Sept moteurs dominent actuellement le marché.
Tout n’est pas qu’une question de course à la puissance de calcul (OpenAI reste le plus « musclé »), car comme au sumo, le poids ne fait pas tout : l’agilité et la capacité de retourner la force de l’adversaire contre lui (comme l’a fait le Chinois DeepSeek) peuvent rebattre profondément les cartes.
Souvenons que la domination « pour des décennies » de Nokia – crédité d’une avance jugée « irrattrapable » dans le secteur des téléphones mobiles en l’an 2000 – n’a pas duré plus de deux ans. Mais Nokia n’avait pas de problème de gigantisme des investissements, ce qui rend la bulle actuelle encore plus explosive : le « modèle » ne tient tout simplement pas la route en se référant à des notions comptables élémentaires.
Le secteur de l’IA coté en Bourse représente aujourd’hui 30 000 milliards de dollars de capitalisation boursière (plus que le PIB américain), mais ne repose que sur 1 400 milliards de dollars d’investissements annoncés dans les infrastructures.
Et ces engagements, dont Nvidia se targue de capter le volume le plus important, pourraient d’ores et déjà avoir été gonflés par des artifices comptables et ne pas refléter une demande réelle parce que cela nécessite des CAPEX gigantesques et sans « modèle prouvé » de retour sur investissement.
Si les résultats du quatrième trimestre 2025 montrent que Microsoft ou Nvidia tirent plus de 50 % de leur croissance de ces montages financiers complexes, à base de SPV et de sociétés écran pour dissimuler l’ampleur des dettes déjà accumulées, la probabilité d’une correction systémique atteindra un seuil critique.
S’il s’avérait que la demande réelle est inférieure de 20 % aux estimations, alors tous les modèles de valorisation actuels s’effondreront.
Et les raisons de ne pas commander les millions de GPU que Nvidia prétend avoir déjà pré-vendus, c’est tout simplement le manque de gigawatts pour alimenter des giga-data centers consommant chacun l’équivalent d’une ville de 250 000 habitants. Ce sont des centaines de projets à 1 gigawatt qui sont dans les « starting blocks » d’ici trois ans aux Etats-Unis (plusieurs par Etat !).
La courbe est exponentielle, la future puissance installée (qui reste éminemment théorique) double tous les ans, l’offre d’énergie progresse actuellement de 5 % à 7 % par an. Imaginons un « méga-plan » de production d’électricité qui mobilise toutes les centrales au charbon, qui prévoit de tapisser une partie de la Californie de panneaux solaires et de champs d’éoliennes, cela pourrait faire doubler l’offre de gigawatts à +15 % par an… en regard de +100 %.
A quel coût ? Qui va payer ? Certainement pas le contribuable car à part les 10 % d’Américains les plus riches, la consommation est en crise aux Etats Unis, le surendettement des ménage atteint des sommets.
Ce sera sans aucun doute les usagers, c’est-à-dire les consommateurs de puissance de calcul. Ils vont devoir rajouter des centaines de milliards à la rubrique « CAPEX » – en plus de GPU Nvidia – s’ils veulent disposer de gigawatts « verts ».
Problème bien connu, le photovoltaïque ne produit rien la nuit et l’éolien nécessite une quantité équivalent de « pilotable » pour ne pas qu’un état en pointe sur l’IA comme la Californie se retrouve confrontée à un scénario de blackout énergétique « à l’espagnole ».
Voilà un pays qui a trop misé sur les énergies vertes et l’intermittent et qui a subi la première panne globale à l’échelle d’un pays de l’histoire de l’humanité, avec un effet de contagion contaminant en quelques seconde son voisin, le Portugal, qui s’est retrouvé dans le noir (en plein jour).
La bulle de l’IA a déjà explosé, c’était inexorable : il n’y a ni assez d’endettement possible – sans profits pour le financer – ni assez de gigawatts pour que les hypothèses de montée en puissance et donc de valorisation actuelles soient soutenables.
Elles ne le sont pas depuis des mois.
Le marché court dans le vide – mais il a tellement fermé les yeux, tellement il tient à son rêve éveillé, qu’il croit encore, comme dans les dessins animés, être en lévitation au-dessus du vide alors qu’il s’apprête à tomber dans le canyon !
