▪ Selon les journaux, les investisseurs sont sur les dents. Ils attendent de voir ce qui va se passer à Washington. Tout le monde sait qu’un défaut serait désastreux. C’est pour ça que personne ne s’en inquiète : « ils empêcheront ça », se disent les gens.
« Aucun des partis ne bouge », titrait le New York Times cette semaine.
On assume un peu partout — y compris à la Chronique — qu’ils vont bientôt bouger. Sinon, l’enfer se déchaînera… et c’est eux qu’on accusera. Les démocrates ont peur d’être plus réprimandés que les républicains. Les républicains ont peur d’être plus réprimandés que les démocrates. Et aucun des deux côtés n’a vraiment les tripes ou le ressort nécessaires pour jouer jusqu’à la fin ce jeu de « je te tiens par la barbichette ».
A la place, les politiciens bougeront. Et ils trouveront une solution qui sera tout aussi efficace que la solution européenne à la situation de la dette grecque.
« Des imbécilités », c’est ainsi que Felix Zulauf décrit la solution européenne. C’est un trucage politique… non une solution économique. Le marché avait appliqué une décote de 50% à la dette grecque. Les autorités lui ont enlevé 20%, ont prêté plus d’argent et renvoyé le problème à plus tard.
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Des imbécilités, c’est ce qui arrivera aux Etats-Unis également — et même pire. Pas de décote. On renvoie le problème à plus loin encore. La vraie solution, c’est celle que ni les démocrates, ni les républicains ne peuvent tolérer — laisser M. le Marché régler les choses lui-même. M. le Marché est un pro pour ce genre de choses. Il fera le boulot. Il dévaluerait probablement toute la dette… et éliminerait ce qui ne peut pas être remboursé. En quelques mois, la crise serait terminée. L’économie pourrait alors mettre une vraie reprise en place.
« Bill, êtes-vous en train de dire qu’il n’y aurait pas de graves conséquences à un défaut américain ? Comment être sûr que ça ne déclencherait pas une dépression gravissime ? »
Hé, nous ne sommes sûr de rien. Nous ne serions pas le moins du monde surpris de voir arriver une dépression. Le chômage grimperait probablement en flèche. Les prix de l’immobilier s’effondreraient plus encore. Les actions seraient probablement divisées par deux. Et le PIB passerait dans le rouge.
De plus, les taux d’intérêt réels seraient plus élevés… les investisseurs se méfieraient de la dette gouvernementale américaine, compliquant la tâche des autorités voulant continuer à dépenser comme avant.
Atlantic Magazine liste « 13 façons dont un dépassement du plafond de la dette détruirait l’économie ». Les sottises habituelles : un défaut ferait grimper les taux d’intérêt. Cette hausse rendrait la reprise plus difficile, et ainsi de suite.
Et n’oubliez pas que les autorités américaines envoient 88 millions de chèques par mois. Si quelque chose devait arriver — comme un défaut, qui empêcherait les gens de recevoir lesdits chèques — ça porterait un sérieux coup à l’économie américaine. Sans ces revenus de consommation, elle plongerait à pic.
Tout ça est vrai. Et tout ça ne rime à rien.
▪ Nous ne doutons pas qu’un défaut de paiement de la part des autorités américaines — même s’il s’agit d’un défaut technique et temporaire — pourrait faire couler l’économie. Mais selon nous, l’économie doit encore régler tous les problèmes qu’elle a rencontrés durant la crise de 2007-2009. Notamment les dettes. Il y en avait trop. Tant qu’elle n’aura pas ôté la poussière de ses sandales, l’économie ne peut rien construire sur des fondations solides.
Les autorités ont essayé de régler ce problème en ajoutant plus de poussière. Plus de dettes. Une nouvelle étude du GAO montre que durant la crise de 2007-2009, les autorités ont injecté une somme supérieure à l’intégralité du PIB américain pour essayer de stimuler l’économie. Qu’ont-elles obtenu pour tout cet argent ?
Plus de dette et rien d’autre.
Pourquoi ?
Le modèle de relance keynésienne cesse de fonctionner quand l’économie passe de l’ajout de dette à la destruction de dette. On peut alors injecter autant de crédit et de liquidités qu’on le veut, ça ne sert à rien. Les ménages hésitent à emprunter ; d’abord parce qu’ils n’ont pas les revenus ou le nantissement nécessaire, ensuite parce qu’ils ont déjà trop de dettes et veulent s’en débarrasser.
Lorsque l’économie passe dans une contraction de crédit, essayer de rajouter de la dette revient à verser du whisky dans le gosier d’un alcoolique en coma éthylique. Ce n’est pas le remède qu’il lui faut.
Il faut que l’économie se désintoxique ; qu’elle se débarrasse de la dette. C’est ce qu’une dépression… un défaut… un marché baissier… et des taux d’intérêt plus élevés… peuvent provoquer. Et le plus tôt sera le mieux.
▪ Nous rassemblons les pièces du puzzle. Nous avons déjà noté que le « programme impérial » est en partie responsable du fait que la classe moyenne américaine se retrouve sur la paille.
Le crédit facile a aidé à financer la fièvre dépensière de la classe moyenne. Il a également contribué à financer l’empire. Sans crédit artificiellement bon marché, ni le gouvernement fédéral ni les ménages US ne seraient dans le pétrin où ils se trouvent aujourd’hui.
Et maintenant, l’empire suit un cap inévitable. Du pain à domicile. Des jeux à l’étranger. Les électeurs ne veulent abandonner ni l’un ni les autres.
En ce qui concerne le pain à domicile, 44 millions d’Américains reçoivent actuellement des bons d’alimentation. Un enfant sur quatre en profite. 51% du public touche désormais de l’argent du gouvernement.
A l’étranger, les jeux deviennent plus imposants, plus coûteux et plus absurdes. Les Etats-Unis sont désormais impliqués dans six aventures militaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, si l’on inclut leurs interventions au Yémen et au Pakistan. Ils entretiennent des bases dans le monde entier. Et il faut désormais un million de dollars pour maintenir un soldat américain sur le front en Afghanistan.
Pendant combien de temps les Etats-Unis pourront-ils se permettre de telles dépenses ? Le gouvernement fédéral récolte environ 2 200 milliards de dollars de recettes fiscales. Il dépense à peu près 3 600 milliards de dollars. Vous pouvez le constater par vous-même : les autorités doivent emprunter près de 50 cents pour chaque dollar de revenus.
Mais ils vont s’en sortir par la croissance, comme toujours, n’est-ce pas ?
Euh… non. Pas cette fois-ci.
La dernière fois que les Etats-Unis avaient autant de dettes, c’était juste après la Deuxième Guerre mondiale. Le mot important, dans cette phase, c’est « après ». La Deuxième Guerre mondiale avait un début et une fin. La population avait fait des sacrifices durant la guerre, si bien que les gens étaient prêts à dépenser lorsqu’elle prit fin. Les dépenses militaires pouvaient aussi être radicalement réduites, donnant un coup de pouce à l’économie nationale.
Mais de nos jours, les guerres ne commencent jamais, pas plus qu’elles ne finissent. Il n’y a pas de déclarations de guerre. Pas de débat au Congrès. Pas de capitulation. Pas d’armistice. Pas de défilé sous les serpentins. Nous avons désormais des guerres qui durent éternellement, contre des ennemis qui ne sont jamais clairement identifiés, à des coûts qu’on ne peut calculer, pour des raisons qui ne peuvent être expliquées.
Pendant ce temps, à domicile, les autorités n’offrent plus de soulagement à des personnes temporairement au chômage, ou à une économie traversant une récession cyclique. A présent, elles accordent un soutien permanent à des gens dont les emplois ont disparu pour toujours… et à une économie prisonnière d’un ralentissement éternel.
Les guerres se traînent à l’étranger. A domicile, la reprise n’arrive jamais. Et l’empire fait faillite.