Les marchés restent enfermés dans leur univers imaginaire – et face à cela, les réactions se découpent en deux catégories.
Les marchés restent enfermés dans leur logique. C’est un univers imaginaire, déconnecté du monde réel sauf dans l’aspect « nouvelles ».
On joue, on répond aux nouvelles ou aux rumeurs, ce qui est bien le signe d’un marché qui fonctionne dans l’imaginaire. Cet imaginaire lutte contre l’entropie grâce aux injections d’énergie monétaire venue du ciel – ou plutôt des banques centrales.
Ce sont ces chiffres qui fournissent l’énergie ; les nouvelles ou rumeurs, elles, fournissent les prétextes.
Bien entendu, comme en toute matière, le monde est divisé en deux camps : ceux qui sont « pour » et qui en bénéficient, et ceux qui sont « contre » et qui le dénoncent.
L’imaginaire fait partie du monde : voilà ce que nous vous conseillons d’admettre… et si vous ne l’admettez pas, comme les Cassandre, vous allez être exclu.
Il ne suffit pas de constater les dysfonctionnements en regard de la logique et de la raison ; il faut aussi comprendre comment on dysfonctionne, pourquoi, et quelles sont les conséquences voulues et non voulues.
Nécessité de destruction
Ce que l’on sait ici, c’est que tous les artifices monétaires accroissent la nécessité future de destruction, mais pas plus. Personne ne peut deviner quand cette nécessité se manifestera – et surtout quand les autorités seront cette fois démunies, dans l’incapacité d’y faire face.
Beaucoup de gens fondamentalistes refusent d’habiter l’imaginaire qui a été tracé pour eux ; ils se bornent à dénoncer ce qui se passe. Je persiste à considérer que ce n’est ni scientifique ni rationnel. Ce n’est pas parce qu’une chose vous déplaît ou bien qu’elle est absurde qu’elle ne fait pas partie du monde : il faut le reconnaître et l’accepter – et ensuite, selon son tempérament, on y participe ou on refuse de participer.
Tout ceci pour vous dire que le « tout en bulle », c’est-à-dire le « tout en imaginaire », fonctionne bien. Ses mécanismes sont bien huilés avec les fourneaux d’alimentation, les processus de stimulation, les mentalités, les discours et les théories qui justifient le tout.
Le monde est un tout : le positif est indissociable du négatif, un arbre a toujours deux branches, disent les hindous. L’intelligence, la vraie, consiste à embrasser ce monde dans sa totalité, à le découper pour voir ce qu’il y a en dessous, ce qui est caché.
Ce qui est caché ici, c’est la logique de survie de ce monde, sa volonté forcenée, coûte que coûte, de durer encore un peu, fut-ce au prix d’un coût à venir colossal. Il s’agit d’une nouvelle tentative de se prolonger, au mépris de la prise en compte des destructions futures.
On s’enfonce sur le chemin sans retour de la grande aventure, grisé que l’on est par l’illusion qu’un jour un miracle se produira.
Nouvelle phase
Je vous ai expliqué que nous sommes dans une nouvelle phase.
D’abord chute de plus de 20% des marchés, puis correction en vertu de l’élastique de rappel technique, et enfin attentisme.
L’attentisme se résout positivement – c’est-à-dire qu’il se résout vers la hausse. Les investisseurs – si on ose les appeler ainsi – sont maintenant capables de se projeter au-delà du présent et de construire un horizon.
Dans cet horizon, ils voient tout en rose, reprise rapide, en « V », maintien des dopages, peu de destructions et ensuite à nouveau un scénario à la Goldilocks. Pourquoi pas ? Cela a marché N fois, cela peut bien marcher N+1 fois, n’est-ce pas ?
La philosophie qui domine, c’est le marginalisme, la dérivabilité, la linéarité… et elle est utile puisqu’elle permet de gagner de l’argent.
Dans ces conditions rien ne s’oppose à ce que l’on reparte pour un beau round de hausse :
– l’argent est là ;
– les perspectives sont là et ;
– la volonté unanime des gouvernements des banquiers est que tout soit regonflé.
Personne ne creuse, personne ne se projette dans le long terme : cela ferait douter et cela paralyserait. Le grand secret de nos systèmes c’est la négation de la dialectique et la positivation comme idéologie.
On accepte que la positivation soit fausse, injustifiée. On sait même qu’elle est inadaptée à la compréhension du monde – mais on sait aussi que les peuples ont la mémoire courte et qu’ils se nourrissent d’évidences.
La vérité, ils n’en veulent rien savoir. La vérité, cela fait trop mal.
Je ne vois plus d’analyses sérieuses de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Ceux qui avaient tenté d’en faire ont été submergés, emportés par le tsunami idéologique.
Le monde a effacé ses traces en marchant, personne ne regarde le chemin parcouru depuis les années 90. Personne n’essaie de mettre à jour les articulations organiques de notre désastre. Tout se passe comme si l’utilitarisme binaire avait provoqué une amnésie collective. Nous avons en quelque sorte perdu une dimension, celle de l’épaisseur des choses.
A suivre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]