La Chronique Agora

Vous découvrez un trésor ! Pouvez-vous en faire ce que vous voulez ? (1/2)

trésor œuvre d’art fiscalité

C’est rare, mais cela peut arriver : une œuvre d’art trônant des décennies durant dans la cuisine de la maison familiale se révèle valoir plusieurs millions d’euros. Si vous voulez la vendre, il faudra avoir quelques éléments en tête…

La presse est friande de ces histoires dans lesquelles un citoyen comme vous et moi déniche, dans le grenier de la maison familiale, une vieille croûte qui s’avère être une toile de maître valant des millions d’euros.

Quelquefois, l’œuvre est à la vue de tous, comme cette icône russe du XIXe siècle accrochée au-dessus du bar, entre la cuisine et le salon, d’une maison de Compiègne. Lorsque la propriétaire décède en 2019, le commissaire-priseur chargé d’estimer les biens meubles de la succession doute de l’origine présumée de l’œuvre. A juste titre. L’expertise révèlera qu’il s’agit d’un tableau de Cimabue (vers 1240-1302) intitulé Le Christ moqué et estimé entre 4 et 6 M€. Finalement, l’œuvre sera vendue aux enchères en octobre 2021 pour 24 M€ !

Qui n’a jamais rêvé de faire une telle découverte ? Mais connaissez-vous les règles qui s’appliquent lorsque l’on découvre un trésor ? Car, selon la situation et le type de bien, vous ne pouvez pas toujours vous considérer comme pleinement propriétaire et disposer de votre découverte comme bon vous semble. Passons en revue les différents cas.

Le certificat d’exportation, la préemption et le trésor national

Reprenons l’exemple du Cimabue.

Le musée du Louvre aurait aimé le préempter, c’est-à-dire user du principe – fixé par la loi du 31 décembre 1921 et modifié par la loi du 10 juillet 2000 – qui autorise l’Etat à exercer « sur toute vente publique d’œuvres d’art […] un droit de préemption par l’effet duquel il se trouve subrogé à l’adjudicataire ou à l’acheteur ». Dans ce cas, un représentant du Louvre se serait donc glissé parmi les enchérisseurs et, au moment du coup de marteau final, il se serait levé pour dire : « Préemption pour les musées de France au profit du musée du Louvre. »

Le Louvre se serait alors substitué à l’acheteur et aurait acquis l’œuvre au prix de la dernière enchère. Mais, ici, le musée n’avait pas pu réunir à temps les fonds nécessaires pour une telle manœuvre.

L’affaire ne s’est cependant pas arrêtée là… Et quelques questions supplémentaires ont été posées… Cliquez ici pour lire la suite.

Le collectionneur acheteur – on parle d’un couple de milliardaires chiliens – avait donc de quoi se réjouir. Las, le tableau ne disposait pas d’un certificat d’exportation ! Or celui-ci est indispensable pour qu’un bien culturel – en l’espèce ici un tableau de plus de 50 ans dont la valeur est supérieure à 30 000 € – puisse quitter le territoire national. Sans cette autorisation d’exportation délivrée par le ministère de la Culture, Le Christ moqué ne peut pas sortir de France, même après l’acquittement de la taxe forfaitaire – 6% du prix de vente – due lorsqu’un bien culturel d’une valeur minimale de 5 000 € est exporté hors d’Union européenne.

De toute façon, le ministre de la Culture a déclaré le tableau « trésor national » – alors qu’il n’était jusque-là qu’un simple « bien culturel » – parce qu’il présente un intérêt majeur pour le patrimoine national d’un point de vue historique, artistique ou archéologique. Et, de ce fait, tout certificat d’exportation est maintenant interdit.

A partir de la date de reconnaissance du bien comme trésor national, l’Etat a 30 mois pour faire une proposition d’achat. Si le vendeur refuse la proposition d’achat faite par l’Etat, il est à craindre que ce dernier prolonge la reconnaissance, empêchant ainsi le « trésor national » de quitter le territoire. En cas de non-respect de l’interdiction de sortie du territoire, le contrevenant s’expose à la confiscation du bien, à une amende de 450 000 € et à deux ans de prison.

Précisions, enfin, qu’en dernier recours, l’Etat peut classer le bien comme « monument historique », qui devient alors imprescriptible et interdit d’exportation définitive.

Déterminer qui est le propriétaire légitime 

Dans le cas du tableau de Cimabue, la question de la propriété ne se posait, pas puisque ce sont les héritiers de la dernière propriétaire qui ont mis le tableau en vente. Mais que se serait-il passé si la maison avait été vendue avec Le Christ moqué oublié au grenier ou à la cave ?

Vous le savez, le droit français stipule qu’« en fait de meubles, possession vaut titre » (art. 2276 alinéa 1er du Code civil). La morale voudrait cependant que le nouveau propriétaire signale à l’ancien la présence d’un objet oublié. De toute façon, la vente aux enchères du tableau – qui a fait la une de plusieurs journaux – aurait peut-être « réveillé » l’ancien propriétaire, qui aurait alors estimé avoir été volé. D’ailleurs, celui-ci a le droit de réclamer un bien pendant trois ans à compter du jour où il estime l’avoir perdu ou se l’être fait voler.

Car, ce qui est essentiel ici, c’est le fait que le tableau ait été dissimulé ou non. Comme le précise l’article 716 alinéa 2 du Code civil, est considéré comme un trésor « toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard ». Il aurait donc fallu que le tableau ait été trouvé, par exemple, dans une cache, derrière un mur, pour qu’il puisse être qualifié de trésor et que personne ne puisse prouver qu’il en est le propriétaire légitime.

Pour continuer cette analyse, nous allons demain abandonner l’exemple du tableau et prendre plutôt celui de lingots d’or.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile