La Chronique Agora

Votre mission, si vous l’acceptez…

Le monde financier bruissait d’impatience et d’inquiétude dans la perspective des déclarations des banquiers centraux du monde réunis comme tous les ans à Jackson Hole pour l’Economic Policy Symposium.

Pour bien s’assurer que personne ne soit surpris par le manque de surprises, le porte–parole de Mario Draghi affirmait d’avance à qui voulait l’entendre que son discours n’apporterait rien de nouveau.

Pourquoi cet intérêt alors ? Parce que les banquiers centraux dominent les marchés plus que jamais auparavant. Et parce qu’on s’inquiète de voir ces fabricants de monnaie de singe submerger par leurs achats les activités normales de marché. Ils achètent trop de tout.

Il faut ajouter à cela des volumes faibles, des valorisations bizarres, la proportion d’actifs que les banquiers centraux possèdent déjà et une pénurie d’actifs admissibles à l’achat.

Quelques exemples ?

Etc, etc…

Source: Bloomberg

Avec une telle influence sur les marchés, le moindre balbutiement émis par un banquier central peut faire ou défaire des hedge funds ou des fonds de pension.

[NDLR : Il est cependant possible d’enchaîner des gains et d’éviter les pertes même dans ces conditions de marché. Cliquez sur ce lien pour découvrir comment.]

Mais laissez–moi vous dire ce dont les investisseurs ne se sont pas encore rendu compte : les banquiers centraux se tracassent au sujet des marchés plus que les marchés ne se tracassent à leur sujet. Là se trouve la clé pour prévoir les tendances des marchés.

Mettez–vous à leur place…

Imaginez–vous dans la peau d’un banquier central. Puis posez–vous cette question : que feriez–vous à la place de Mark Carney, Mario Draghi, Janet Yellen ou Haruhiko Kuroda ?

Imaginons que vous êtes nommé par Donald Trump cette semaine, suite à la démission de Yellen parce qu’elle est trop petite de taille pour pouvoir pêcher à la mouche à Jackson Hole : ses bottes en caoutchouc ont pris l’eau l’année dernière.

Pour mémoire, le premier symposium des banquiers centraux s’est tenu la première fois à Jackson Hole pour faire venir le président de la Réserve fédérale du moment, Paul Volcker –un géant fanatique de la pêche à la mouche. Le climat est parfait pour pêcher la truite à cette époque de l’année.

Quoi qu’il en soit, vous vous retrouvez à la tête de la Réserve fédérale. Que ferez-vous ?

Votre mission, si vous l’acceptez

Chargé de gérer l’inflation, l’emploi et la stabilité financière, vous devez faire un numéro d’équilibriste entre ces trois dimensions. Le problème c’est que celles-ci peuvent être contradictoires.

Vous tentez ce numéro de funambule depuis des années et vous n’y êtes toujours pas arrivé.

Ces 10 dernières années, l’économie n’a pu être maintenue à flot que grâce aux interventions incessantes des banquiers centraux. Littéralement, des milliers de milliards de nouveaux dollars, euros, yen, livres sterling et francs ont été utilisés pour acheter d’énormes quantités de dettes gouvernementales, de créances hypothécaires et d’obligations d’entreprises.

Sans votre aide continue, le monde financier connaîtrait des récessions comme jamais auparavant. Les gouvernements pourraient-ils financer leurs déficits avec de nouvelles obligations si vous essayez en même temps de vendre ces mêmes obligations que vous détenez ? Quels taux d’intérêt devraient-elles fixer ?

Les entreprises et les emprunteurs sur marge sur les marchés pourraient-ils refinancer leur endettement record si vous augmentez les taux d’intérêt ? Qui sait si les banques pourront encore souscrire des prêts hypothécaires si vous essayez de vendre vos milliers de milliards de dollars de titres adossés à des créances hypothécaires sur le marché ?

Pire, le marché frémit à peine avez-vous ouvert la bouche. Si vous ne répétez pas exactement les mêmes mots que le mois dernier, il s’envole ou s’effondre.

Aujourd’hui, le monde est fixé sur les indices boursiers comme jamais auparavant. A chaque fin de mois, systématiquement, les gens versent une grosse partie de leur salaire, volontairement ou involontairement, dans des fonds de pension qui achètent des actions quelle qu’en soit la valorisation, les perspectives de croissance, le dividende ou quoi que ce soit d’autre. C’est une stratégie d’investissement complètement folle appelé « indexing. » Il faut acheter, à tout prix.

Etant donné votre influence – ou, comme on dit, votre « contrôle » sur le marché – la mode soudaine de l’investissement indiciel vous a propulsé gestionnaire par défaut de toutes les retraites. Si vous échouez à faire monter le prix des actions, le concept même de retraite dans le monde occidental implosera. Sur la base d’études académiques, les fonds de pensions misent sur 7% de gains ou plus par an. Bonne chance pour les aider à tenir leurs promesses.

Aujourd’hui tout le monde a les yeux braqués sur votre prétendue « stratégie de sortie. » Des effigies de Volcker ont été brûlées la dernière fois qu’on a organisé la sortie en force d’une politique monétaire trop laxiste.

La seule bonne nouvelle est que l’inflation n’est nulle part en vue. Le mécanisme comptable préhistorique des banquiers centraux est en hibernation. Personne ne sait exactement pourquoi.

A présent que vous êtes le seul responsable de la décision. Que pensez-vous de mettre fin au soutien des banques centrales à l’économie et au système financier ?

Pensez-vous que les autres banquiers centraux le tenteront ?

Même Greenspan était déjà acculé

Tout ceci explique pourquoi même Alan Greenspan, partisan du marché libre et de l’étalon or, s’est retrouvé acculé. Une fois nommé président de la Réserve fédérale, il abandonna ses principes et devint un extraordinaire souffleur de bulles.

Ses réussites dans de ce qu’on appelé la Grande Modération furent d’avoir financé une bulle technologique et immobilière et d’avoir volé à la rescousse de tout ce qui était assez gros pour faire faillite. Tout le contraire de ses opinions avant d’entrer à la Fed.

Gérer la principale source d’interférence de l’Etat dans l’économie tout en gardant sa foi dans les marchés libres, voilà qui est totalement paradoxal. Greenspan croyait que le marché libre s’auto-corrigerait alors même qu’il l’inondait de monnaie de singe et de taux d’intérêt bas.

Cela semble absurde. Mais c’est parfaitement logique si l’on se met à sa place.

Relèveriez-vous les taux d’intérêt ? Réduiriez–vous l’assouplissement quantitatif, ce qui ferait couler le marché boursier et réduirait le niveau des retraites de tous ceux qui vous entourent ? Arrêteriez-vous de financer les bons du Trésor, émis par votre patron ?

Seul un théoricien académique sans conscience du monde réel pourrait à la rigueur gérer  la responsabilité et la pression qui pèsent sur une banque centrale. (Ou alors un banquier d’investissement sortant de chez Goldman Sachs.)

C’est pourquoi Yellen a été choisie. Son insensibilité extrême face à la crise des subprime fut extraordinaire. Son attitude blasée face à la prochaine crise- qu’elle est en train de mettre en place- est tout aussi impressionnante. Comment peut-elle dire « je ne crois pas que nous verrons une autre crise financière de notre vivant » alors qu’elle est celle qui finance la prochaine ?

A moins, naturellement, qu’elle n’ait raison.

Prédiction ou prophétie autoréalisatrice ?

Personne ayant le potentiel de devenir un banquier central de premier plan ne soutiendrait une crise financière pour le principe d’imposer une politique monétaire raisonnable. Ni vous ni moi ne le ferions. Nous nous retrouverions empêtré comme l’a été Greenspan.

Aucune politique monétaire raisonnable ne viendra.

C’est simple, dès que les marchés vacilleront, que les prêts enregistreront une baisse, que les taux d’intérêt augmenteront ou que tout autre chose ira mal, les banquiers centraux reviendront au QE. Ou peut-être à un nouvel outil de politique monétaire.

Surveiller la peur au ventre la réduction prévisionnelle du bilan des banques centrales c’est comme s’inquiéter que votre chien morde sa queue si jamais il arrive à l’attraper. C’est que vous n’avez fondamentalement pas bien compris ce qui se passe.

Ce sont les marchés qui déterminent les politiques des banques centrales, pas le contraire.

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