La Chronique Agora

Vivre et laisser mourir

Une histoire de bains de sang et de leçons ignorées.

« Laissez le Messie… le roi des Juifs… descendre de sa croix pour que nous puissions voir et croire. » – Les grands prêtres de Jérusalem

Ce dimanche a marqué le début de la Semaine sainte, et le jour où le Christ est arrivé triomphant à Jérusalem. Il n’est pas arrivé sur un cheval de guerre. Il n’a pas brandi une grande épée, n’était pas vêtu de robes royales et n’a pas envoyé de drones pour préparer son chemin. Au lieu de cela, il était monté sur un âne, un baudet, vêtu d’une robe modeste. Il ne s’agissait pas d’un faux vainqueur, comme Maxwell Taylor à Saigon ou David Petraeus à Bagdad. C’était un vrai triomphe, le genre de victoire que Steven Pinker pourrait célébrer.

Déjà à l’époque, les prêtres locaux ne voyaient pas en Jésus un messie, mais un provocateur, un imposteur, prétendant être le « roi des Juifs ». Blasphème ! Ils savaient reconnaître un roi quand ils en voyaient un, et il n’en avait pas l’allure. Ils l’ont traité comme un dénonciateur ou un terroriste.

Puis, Judas Iscariote l’a trahi, les autres disciples l’ont renié, une servante a dénoncé Pierre… et la foule a voulu du sang.

Et elle en veut encore. Qu’est-ce qui a changé ? Le New York Times rapporte :

« L’ombre du bilan de Gaza : des corps ensevelis sous les décombres 

Gaza est devenue un cimetière de 140 kilomètres carrés, chaque bâtiment détruit constituant une nouvelle tombe déchiquetée pour ceux qui y sont encore enterrés.

L’estimation la plus récente du ministère de la Santé concernant le nombre de personnes disparues à Gaza est d’environ 7 000. Mais ce chiffre n’a pas été actualisé depuis novembre. Les responsables de Gaza et de l’aide humanitaire affirment que des milliers d’autres personnes se sont probablement ajoutées à ce bilan dans les semaines et les mois qui ont suivi.

Les personnes enterrées constituent une ombre au tableau des morts à Gaza, un astérisque de plomb au décompte officiel du ministère de la santé de plus de 31 000 morts, et une plaie ouverte pour les familles qui espèrent, contre toute attente, un miracle. »

La majorité des familles ont accepté que leurs disparus étaient morts…

Par l’épée

Nous fréquentons régulièrement l’église depuis soixante-dix ans. Nous ne sommes pas particulièrement religieux, mais nous gardons l’esprit ouvert.

Qu’elles soient réelles ou fictives, les histoires de la Bible sont une bonne source d’instruction. Elles nous expliquent comment le monde fonctionne, que la course n’est pas toujours à la portée du plus rapide, ni la bataille à la portée du fort… que celui qui vit par l’épée meurt par l’épée… et que là où se trouve la bourse d’un homme se trouve aussi son coeur – parmi bien d’autres choses.

Il ne s’agit pas du monde du progrès matériel ou scientifique, de la course aux gadgets. Il s’agit du monde fait de chair et de sang, qui ne s’est pas beaucoup amélioré au cours de milliers d’années.

Les anciens scribes et prophètes, qui ont observé la situation pendant des centaines d’années, n’ont pas manqué grand-chose. Ce qu’ils ont décrit était un monde « moral », qu’on le veuille ou non. Il y a toujours un élément de « plus » dans l’histoire. Et toujours une morale.

Ponce Pilate, le gouverneur romain de Judée, a interrogé Jésus lorsqu’il a été amené devant lui. Il ne lui trouvait rien de répréhensible et soupçonnait les prêtres juifs d’être jaloux de lui. Mais la foule insistait. « Crucifiez-le ! », criait-t-elle.

Bien sûr, on ne crucifie plus les gens. Progrès ! Ils ne souffrent plus sur une croix pendant des heures, des jours avant de mourir. Mais autrefois, on ne crucifiait pas non plus les enfants. Jules César, dans un élan de miséricorde, avait fait étrangler un groupe de pirates avant de les crucifier. Qui étranglerait des enfants aujourd’hui, avant qu’ils ne soient ensevelis sous les décombres ?

Une histoire de bains de sang

Steven Pinker démontre de manière convaincante que nous sommes généralement moins assoiffés de sang aujourd’hui qu’autrefois. Peu de gens assistent à une pendaison pour le divertissement. Peu de gens se rendent dans les asiles d’aliénés pour regarder et rire. Peu de gens éprouvent encore des sensations fortes en torturant des gens.

Toujours est-il qu’il est tout de même remarquable de constater ce qui se passe.

Lorsque George Floyd a été abattu par la police, presque tout le monde a pensé qu’il s’agissait d’un acte épouvantable de violence ou d’imprudence dont l’origine était probablement la haine raciale. S’en sont suivis des jours d’indignation. Il s’agissait certainement d’un jalon dans la marche vers un public plus empathique et moins enclin à la violence.

Mais à peine deux ans plus tard, les guerres en Ukraine et les massacres en Terre sainte suggèrent un recul substantiel dans la marche du progrès social de l’humanité.

En regardant en arrière, nous voyons une série presque ininterrompue de boucheries – comme un collier fait d’oreilles humaines – qui remonte à bien avant la naissance de Jésus.

Un bilan bien sombre

Jérusalem doit détenir un triste record à cet égard. Placée comme elle l’est, sur le chemin probable de l’Afrique vers le reste du monde, elle a pu être le théâtre de batailles d’extermination entre les Néandertaliens ou d’autres formes humaines archaïques… et l’homo sapiens. Puis vinrent les Cananéens, les Égyptiens, les Assyriens, les Juifs, les Babyloniens, les Perses, les Grecs, les Hasmonéens, les Romains… (Nous avons besoin de faire une pause pour reprendre notre souffle.)

Ponce Pilate a été rappelé de Judée peu après la résurrection et a disparu de l’histoire. Mais l’histoire des massacres et des conquêtes sur les rives de la Méditerranée orientale s’est poursuivie. Les Byzantins, les Arabes, les Seldjoukides, les Croisés, les Mamelouks, les Ottomans, les Anglais, une guerre en 1948… une autre en 1967 – du siège à la bataille… au massacre et à l’exil… et un autre massacre en 2023-2024.

Qui a descendu le Christ de la croix ?

Le message de Jésus était que nous devrions faire aux autres ce que nous voudrions qu’ils nous fassent. Tout le monde y gagne. C’était un credo tellement révolutionnaire. Dommage qu’il n’ait jamais été adopté.

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