La Chronique Agora

Une visite à Felix et Eleena

▪ Aujourd’hui, nous sommes allé voir Felix et Eleena. C’était agréable de se retrouver en selle après des mois à Baltimore, Paris, Londres et ainsi de suite. C’était tout aussi agréable d’en descendre après deux heures de chevauchée ! Quel plaisir… parcourir la vallée sous le soleil… traverser la rivière… cheminer dans les herbes de la pampa… au travers des rochers…

Partout, il y a des ruines indiennes. Ils ont construit des terrasses pour maintenir la couche arable. Le temps devait être bien plus humide à l’époque. Le sol cultivable a désormais quasiment disparu. Tout ce qui reste, ce sont les murs de pierre, par milliers. Le climat doit avoir changé. On pourrait remettre de la terre, mais on ne pourrait y faire pousser quoi que ce soit. C’est trop sec.

Felix et Eleena vivent parmi les ruines. On trouve d’immenses meules de pierre près de leur maison… profondément usées là où les Indiens moulaient leur maïs. Dans la pièce qui leur sert de salon se trouve un pot sans doute vieux de plusieurs siècles. Et sur un rocher près de la cuisine, on peut voir un dibujo — un animal cornu gravé dans la pierre. Etait-ce une chèvre ? Y avait-il des antilopes sauvages ou des moutons dans la région, à une époque ?

Nous n’en savons rien.

C’est un endroit magnifique : de vertes prairies… des enclos pour les chèvres et les chevaux… des bâtiments en adobe… de l’eau qui ruisselle dans les canaux d’irrigation… un verger avec des vignes vieilles de 100 ans sur une treille antique. Caché dans les montagnes, un joyau fertile sous l’intense lumière du soleil — c’est presque le paradis.

Mais vous n’avez pas payé pour que nous vous décrivions nos voyages, n’est-ce pas ?

Comment, vous n’avez rien payé du tout ? Alors nous écrirons ce qui nous plaît, bon sang !

▪ Les Européens sont déprimés…
Mais non… notre misérable vocation, c’est de garder l’oeil sur l’argent… et de rapporter ce que nous voyons. Nous interprétons cette mission dans le sens le plus large possible, toutefois. Nous gardons l’oeil non seulement sur comment gagner de l’argent… mais aussi comment le conserver… et comment le dépenser. Gagner de l’argent est déjà assez difficile. Le conserver est encore plus dur. Mais s’en débarrasser tout en gardant sa dignité — c’est là le vrai défi.

Nous retournerons au ranch dans une minute. D’abord, voyons ce que disent les marchés.

Eh bien, rien d’important. Pas aux Etats-Unis. Mais regardez ce qui se passe en Europe.

Un article du Financial Times nous apprend qu’on n’avait pas vu autant d’Irlandais quitter le pays depuis 1987. L’Irlande a toujours été grande exportatrice de population. Presque partout dans le monde, on trouve un Mick ou un Paddy dont le grand-père ou l’arrière-grand-père venait d’Irlande. Il y en a beaucoup en Argentine. L’un est candidat aux présidentielles depuis longtemps — Ricardo Lopez Murphy.

Et puis il y avait le célèbre fauteur de troubles Ernesto Lynch Guevara, également connu sous le nom de Che.

Mais ne nous écartons pas du sujet. Les gens quittent l’Irlande parce que l’économie est dans le pétrin. Et l’Irlande n’est pas la seule concernée. Toute l’Europe est dans le pétrin.

Nous disions hier que le chômage n’a jamais été plus élevé… depuis qu’on a commencé à suivre le chômage pan-européen en 1995. 18 millions de personnes sont sans emploi.

Aujourd’hui, nous découvrons que les travailleurs britanniques sont déprimés. Ils sont un sur 10 à avoir pris des congés maladie pour cause de dépression — ce qui fait d’eux les salariés les plus déprimés d’Europe.

Et en Espagne, la partie la plus riche du pays — la Catalogne — en a tellement assez de la dette et de l’austérité qu’elle menace de faire sécession !

Mais laissons l’Europe mariner dans son jus. Revenons au ranch.

▪ … Alors retournons en Argentine !
Notre but, lors de notre visite à Felix et Eleena, était de s’assurer qu’ils allaient bien. Ils ont tous deux entre 70 et 80 ans (c’est difficile à dire). Nous voulions les convaincre de descendre de leur nid d’aigle, de sorte que nous puissions leur fournir des soins médicaux s’ils en avaient besoin. Jusqu’à présent, à chaque fois que nous avions fait une telle suggestion, ils avaient décliné.

« C’est si nous descendons dans la vallée que nous allons tomber malades », avait rétorqué Eleena.

Mais une année avait passé, nous avons donc pensé réessayer. Ils semblent tous deux remarquablement en forme et pleins d’entrain. Non seulement ça, mais ils semblent remarquablement heureux… riant et se souriant mutuellement. Ils sont leur seule compagnie depuis 30 ans… mais ils ne semblent pas s’en être lassés.

Rien ni personne ne dure éternellement, cependant. Et dans la mesure où l’on ne peut aller chez eux qu’à cheval, on pourrait penser qu’ils voudraient déménager.

« Aller en ville ? » demanda Eleena d’un air horrifié. « Je déteste la vie en ville. Je n’aime pas être en ville ».

« Moi aussi », a dit Félix. « Je ne veux rien avoir à voir avec la ville ».

« Mais il s’agit juste de déménager dans la vallée. Il n’y a qu’une seule maison, là-bas. Et elle est abandonnée », avons-nous expliqué.

« Eh bien… je n’aime pas la foule », a répondu Eleena.

Mais tous nos arguments étaient annulés avant même notre visite. Un hélicoptère avait atterri dans leur pré quelques minutes avant notre arrivée.

« C’était un hélicoptère de l’hôpital », a expliqué Félix. « Il était là pour emmener à l’hôpital la vieille dame qui vit dans les montagnes. Le pilote ne connaît pas le coin, alors il s’est arrêté pour demander son chemin. Je lui ai dit qu’elle vit de l’autre côté, mais il a dit que la montagne était trop haute. Il ne pouvait pas la survoler. Alors il l’a contournée. Cette dame a 94 ans, à ce qu’il a dit. Apparemment, elle ne va pas très bien ».

« Eh bien, vous n’êtes plus très jeunes non plus », avons-nous remarqué. « Peut-être devriez-vous déménager dans la vallée. Il y a une maison là-bas toute prête pour vous ».

« Non. J’ai passé toute ma vie ici. Je ne partirai jamais. Et si je tombe malade, l’hélicoptère médical peut venir me chercher ».

Plus tard, nous avons appelé l’hôpital pour voir comment allait la vieille dame.

« Nous n’avons pas pu la chercher », nous a-t-on répondu. « Il y avait trop de vent… et la vallée est si étroite que nous ne pouvions pas atterrir. Nous envoyons une équipe à cheval la chercher demain ».

« D’accord », avons-nous répondu, « nous vous fournirons les chevaux et un guide. Mais vous savez que c’est un trajet de six heures ? »

« Oui… Espérons que la vieille dame dure jusque-là ».

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