La Chronique Agora

Vers un régime de forte inflation durable (1/2)

inflation, dette, étalon-or, quantitative easing

Dans le système actuel, les banques centrales finissent par transformer les dettes des Etats en monnaie…

Chacun sait qu’une banque centrale est officiellement le seul acteur économique pour lequel la dette émise n’est pas exigible (pas remboursable). Le mécanisme est simple : en créant de la monnaie ex nihilo (à partir de rien), la banque centrale émet une dette sur elle-même qui est non-exigible. Ou, en tout cas, qui le sera tant que la monnaie émise est acceptée comme moyen d’échange, de paiement, de transaction et de réserve.

Voici qui permet de définir véritablement ce qu’est la monnaie, ou en tout cas, comment enseigner la macroéconomie monétaire à un étudiant en économie ou à tout citoyen curieux des affaires économiques.

Il n’y a qu’une seule définition de la monnaie dans une économie « moderne » (on pourrait aussi dire « financiarisée ») : puisque c’est une dette émise par la banque centrale (au passif de son bilan) qui ne peut être refusée et qui sert de garantie à celle « émise » par les banques commerciales, la monnaie n’est rien d’autre qu’une créance à vue des agents économiques non bancaires sur le système bancaire.

Oui, mais alors, qu’est-ce que les agents économiques non bancaires ont remis concrètement au système bancaire, pour disposer de cette créance ? Eh bien… rien, si ce n’est une espèce de reconnaissance de dette.

Avant et après l’étalon-or

Deux grands systèmes monétaires se sont succédés, avec des fonctionnements différents, qui facilitent ou pas l’apparition de périodes d’inflation.

Dans un système d’étalon-or (comme ceux du XIXème siècle, ou comme celui, plus près de nous, qui a existé entre 1944 et 1971), ce mode de fonctionnement est clair : la monnaie est convertible en métal-or et tout détenteur de billet peut exiger le remboursement en or, ce qui contraint le système bancaire à gérer activement une réserve en métal. (En réalité, c’est surtout la banque centrale qui doit disposer en permanence d’une réserve métal.)

On se retrouve donc dans un système simple et sain, qui peut être analysé comme suit : les banques commerciales interviennent – en quelque sorte – en délégation de la banque centrale lorsqu’elles émettent une monnaie convertible en billets, lesquels billets sont convertibles en or.

Attention, beaucoup d’économistes ou analystes, lorsqu’ils évoquent ce système, expliquent que la monnaie était émise en contrepartie de l’or, ce qui est faux (et les tenants d’un retour à l’étalon or s’appuient là-dessus). En réalité, il faut comprendre que c’est l’or qui garantit la circulation monétaire, ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Puis, depuis le 15 août 1971, date de rupture du lien or-monnaie avec la décision du président Nixon de non-convertibilité or du dollar, la monnaie n’est émise qu’en contrepartie du crédit, donc sans limite.

Dans les conditions de ce second système, parmi les différentes sources de l’inflation (perte de pouvoir d’achat de la monnaie), la source monétaire est bien la seule qui ne pourra pas être combattue, car elle est consubstantielle au système monétaire international dans lequel nous évoluons depuis plus de 50 ans. Certes, l’inflation officielle a presque « disparu » entre 1980 et 2020, sous l’effet de la mondialisation des économies, mais le fort potentiel inflationniste des économies a toujours existé.

Quand les Etats se versent des intérêts à eux-mêmes

Nous reviendrons sur ces différentes sources de l’inflation, en distinguant l’inflation d’origine monétaire (qui ne refluera pas) des autres inflations. Ces dernières seront plus volatiles, plus conjoncturelles, et peuvent plus ou moins efficacement être influencées par la politique économique et/ou la mise en place de réformes structurelles.

Aujourd’hui, la création monétaire sans limites a conduit à des situations de surendettement public extrêmes. Les programmes de quantitative easing mis en œuvre de 2009 à 2021 par les banques centrales des pays de l’OCDE ont en pratique conduit à la monétisation des dettes publiques. On peut donc considérer qu’une partie de plus en plus importante des dettes publiques a été transformée en monnaie. Et, puisque les banques centrales sont « nationalisées », la dette publique est donc de plus en plus auto-détenue et donc de moins en moins exigible.

Cela signifie qu’en plus de la situation de non-exigibilité de la dette émise par les banques centrales, situation de base d’une économie moderne comme nous l’avons vu plus haut, nous évoluons vers une situation de non-exigibilité de la dette émise par les Etats.

Tout ceci revient à détruire ou à annuler une partie de plus en plus importante de la dette publique, celle qui est détenue par la banque centrale. Cette annulation de dette se fait en deux phases

La première phase, c’est l’annulation des intérêts payés par l’Etat sur sa dette. En effet, quand la banque centrale nationale achète la dette publique de son pays, l’état débiteur devrait verser les intérêts sur sa dette à la banque centrale. Mais, en transférant – comme l’exige la loi – ses bénéfices annuels à l’Etat, notre banque centrale reverse les intérêts perçus directement au budget national, là-même d’où ils étaient issus.

C’est l’un des plus beaux exemples de consanguinité que nous connaissons en économie. Le résultat est que, par exemple, la dette publique achetée par les banques centrales nationales actionnaires de la BCE ces dernières années est en quelque sorte annulée, au moins pour la partie intérêts.

Certes, en 2023, la Banque centrale européenne n’a pas distribué de dividendes aux banques centrales nationales qui la détiennent, donc ces banques centrales nationales n’ont pas pu reverser de dividendes à leurs Etats actionnaires.

La raison est simple : la BCE a affiché un profit nul pour 2022 et a même pu éviter d’afficher un résultat net négatif en puisant dans ses réserves accumulées au fil des ans. Mais, sur ce sujet, il faut plutôt considérer que sur la durée de détention d’une obligation d’Etat par la banque centrale, les intérêts payés par l’Etat en question à son institut d’émission auront été largement payés par les dividendes versés par la banque centrale pour la période sous revue. Cette année est plutôt une exception.

Dette perpétuelle

La seconde phase d’annulation de la dette est celle qui se déroule après ce cercle des intérêts. Cette fois, il s’agit de savoir comment le stock de dette (le capital) va être annulé.

D’un point de vue économique et financier, on peut imaginer que toutes les dettes publiques achetées par les banques centrales seront renouvelées lorsqu’elles arriveront à échéance, ce qui revient pour les Etats à ne jamais rembourser leurs dettes (encore une fois, pour l’instant, nous parlons de la part de ces dettes détenue par les banques centrales).

Peut-être que ce phénomène sera même transposé d’un point de vue institutionnel et législatif, en transformant en dette perpétuelle à zéro coupon les obligations d’Etat détenues par les banques centrales nationales.

En zone euro, par exemple, afin de donner un semblant de sérieux et de rigueur à ce type d’évolutions, on rassurera les derniers partisans de la vertu budgétaire en stipulant que la BCE pourra s’engager à reconvertir la dette perpétuelle en dette amortissable, mais seulement si les Etats en question respectaient certaines obligations budgétaires. Mais bon… personne n’y croira vraiment.

Nous verrons demain pourquoi cette accumulation de dettes non exigibles provoquera une inflation continue.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile