La Chronique Agora

Vague de faillites

faillite, récession, e-commerce, Covid

Le rideau de fer de la paupérisation tombe d’abord sur les enseignes milieu de gamme. Le changement n’est pas seulement celui des habitudes de consommation.

La vague de faillites d’enseignes d’habillement, de restauration, d’équipement de la maison et d’articles de sport annoncée ces dernières années est spectaculaire.

Rien que pour ces six derniers mois, parmi les noms connus de tous citons, par ordre alphabétique, les chaussures André, BHV Marais, Camaïeu, Célio, la holding FIB (de l’homme d’affaires Michel Ohayon, qui vient de placer les Galeries Lafayette sous protection), Go Sport, la Halle, Kookaï, Naf Naf, Pimkie, San Marina… puis de nombreuses autres enseignes plus confidentielles de notoriété régionale.

L’accélération des dépôts de bilan depuis le début de l’année 2023 est sans précédent et contraste avec une euphorie boursière qui semble refléter une croissance optimale et une furia de consommation (sans laquelle cette croissance ne saurait exister).

Fin du crédit

Une telle hécatombe ne résulte évidemment pas d’un unique coup du sort « fatal », mais d’une conjonction de facteurs.

Nous citerons en premier lieu les lendemains qui déchantent après le « quoi qu’il en coûte ». Les injections massives correspondant aux plans de soutien ont permis à (certaines) des enseignes déjà très mal en point avant les fermetures administratives liées au Covid de survivre 24 à 36 mois de plus de façon clairement artificielle, grâce à de l’argent gratuit obtenu sans condition de rentabilité.

Mais à un moment, un crédit – même « facile » – doit être remboursé, et ni le chiffre d’affaires en baisse, ni les marges sous pression ne le permettent (les loyers dans les galeries des centres commerciaux n’ont pas baissé, il y a toujours plus de normes de sécurité à respecter, il faut des vigiles pour empêcher les vols, etc.).

C’est le cas de figure exactement inverse du luxe, où les ventes explosent et où les « pricing power » des marques font merveille : plus c’est cher, plus la clientèle fortunée achète.

Et c’est également dû au « quoi qu’il en coûte » : cette catégorie de population a particulièrement profité de l’argent abondant et gratuit, la hausse fantastique des actifs financiers en 2021 a considérablement accru leur richesse, et il est très facile de dépenser des plus-values d’une ampleur inespérées et accumulées sans effort.

Changement d’habitudes

A l’inverse, les classes moyennes et les classes dites « populaires » ont très vite épuisé les subsides mobilisés au titre de l’indemnisation des périodes de chômage imposés pour raison sanitaire, et l’envol de l’inflation à partir du second semestre 2021 a commencé à laminer le pouvoir d’achat, les salaires ne suivant absolument pas la courbe des prix de l’énergie et de l’alimentaire.

Les périodes de non-activité imposées de mars 2020 à février 2022 ont également modifié les habitudes de consommation avec un recours massif au e-commerce pendant les périodes de confinement.

Celui-ci a amputé de 20% des parts de marché réalisés en boutique (internet, c’est le monde des promos permanentes, des « ventes flash » et des « soldes à 80% à saisir de suite »). En parallèle, les reventes d’articles de seconde main (Vinted et autres sites de friperies en ligne) ont explosé, tandis que les plateformes comme Leboncoin font également un tabac pour les articles de seconde main à tout petit prix.

Les enseignes ont tenté d’y répondre par l’accélération de la rotation des collections (pour tenter de prendre de vitesse les « déstockeurs » et autres « outlets »), mais se sont vite trouvées entraînées dans la spirale mortelle de la surenchère promotionnelle, alors que le e-commerce aura toujours une longueur d’avance.

Finalement, plus de la moitié du chiffre d’affaires en boutique est réalisé grâce à des étiquettes soldées.

Deux gammes

L’après-Covid aura marqué une véritable bi-polarisation vers le haut de gamme et le bas de gamme (Primark, H&M, etc.). Entre ces deux extrêmes, on retrouve intercalées les « solderies de marques », et les « outlets ».

Le moyen de gamme « sympa et abordable », qui a connu son heure de gloire au début des années 1980, lorsque la croissance reposait sur une classe moyenne solvable bien moins regardante sur les « achats plaisir », est en train de disparaître.

Ces faillites sont bien le reflet de la paupérisation, voire de la désintégration des classes moyennes, qui tendent à basculer vers le niveau inférieur.

L’appauvrissement des citoyens européens dément les promesses de prospérité dont les eurofédéralistes avaient fait leur cheval de bataille : en France en 2022, le pouvoir d’achat aurait baissé que de 0,9% selon les « chiffres officiels »… mais les classes moyennes sont confrontées à une hausse de 15 à 100% du coût de l’énergie (factures d’électricité), les prix de l’alimentaire auront explosé de 15% d’après les dernières projections sur le mois de mars, et de 20% sur 12 mois en juin.

Les enseignes qui tirent le rideau de fer sont également le reflet d’un rideau de fer de déclassement et de paupérisation des classes moyennes qui se tournent vers internet et vers les solderies, plus par contrainte que par choix inconscient, les plaisirs du shopping étant de plus en plus réservé au « CSP+ » et surtout « CSP+++ » avec un pouvoir d’achat XXL.

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