La Chronique Agora

Une vanité fatale

** Quand tout le monde pense la même chose, c’est que plus personne ne pense. Aujourd’hui, tout le monde pense que le marché s’est planté… et les bureaucrates se précipitent pour essayer de le déplanter.

* Garrison Keillor tient un discours typique :

* "Voilà pourquoi nous avons besoin de régulation gouvernementale. Des hommes ayant un oeil d’aigle et des lunettes cerclées d’acier, chaussés de souliers à semelle de crêpe, qui vérifient les chiffres et ont le pouvoir de dire : ‘ceci est une fraude et une arnaque, et soit vous arrêtez sur-le-champ, soit vous passez quelques années dans une prison fédérale à jouer au backgammon’."

* Il est facile d’imaginer des choses de ce genre. Mais ce n’est pas comme s’il n’y avait eu aucun bureaucrate en fonction entre 2000 et 2007. Comment penser que ces législateurs, qui n’ont rien vu de la plus grande arnaque de l’histoire des marchés, vont désormais pouvoir la nettoyer ?

* Pourquoi un bureaucrate — chargé de protéger l’argent du public — reconnaîtrait-il une escroquerie plus facilement qu’un investisseur dont l’argent est en jeu ? Quelle information a-t-il qui ne soit pas accessible au public ? Quelle théorie suit-il que les investisseurs ne connaissent pas ? Quelle viande mange-t-il… quel vin boit-il… qui l’empêchent d’être la proie des illusions et des tentations dont la chair est victime ?

* C’est ce qu’Hayek appelait "la vanité fatale", selon laquelle les autorités publiques — armées du pouvoir de forcer les gens à faire ce qu’elles disent — prendront de meilleures mesures que ce que les gens peuvent faire pour eux-mêmes.

* Apparemment, ni les maîtres de l’univers à Wall Street ni les génies des agences de notation ni les saints de la SEC… et certainement pas le pauvre lumpeninvestisseur… n’ont compris ce qui se passait. Aucun n’avait "un oeil d’aigle". Au contraire, ils avaient tous les yeux exorbités, bavant d’admiration devant l’oeuvre des ingénieurs financiers… et d’avidité devant les sommes qu’ils pouvaient gagner.

** Nous trouvons à présent, sur la première page de l’International Herald Tribune de vendredi, le défi très concret qui attend les bureaucrates. "Combien vaut tout ce bazar ?" Le plan Paulson met 700 milliards de dollars entre les mains des ronds-de-cuir, des politicards et de leurs associés. Que sont-ils censés faire avec ça ? Acheter les "actifs" dont Wall Street veut se débarrasser.

* Comment sont-ils supposés connaître leur valeur ? S’ils paient trop cher, le gouvernement US encaisse une lourde perte. S’ils paient trop peu, cela ne suffira pas à renflouer le secteur financier, et l’économie a toutes les chances de s’enfoncer dans la récession.

* "La réalité, c’est que nous ne saurons pas quel est le bon prix avant des années", déclare l’International Herald Tribune, citant un gestionnaire de portefeuille.

* N’est-il pas stupéfiant de voir combien les choses changent rapidement, cher lecteur ? Il y a seulement quelques mois, tous les gestionnaires de portefeuille de la planète se seraient fiés aux marchés. Qu’est-ce que vaut une chose ? Exactement ce que les acheteurs sont prêts à payer ! Pas un centime de plus, pas un centime de moins.

* Mais nous avons désormais une toute nouvelle théorie… selon laquelle la valeur d’un actif financier serait impossible à connaître… elle serait comme le visage de Dieu… ou la quadrature du cercle — elle flotte dans l’éther ; elle joue aux cartes avec Jimmy Hoffa. Selon cette théorie, la valeur d’un actif n’est plus déterminée par ce que les acheteurs sont prêts à payer… il n’y a plus d’équivalent à "la valeur du marché". Au lieu de cela, les valeurs sont métaphysiques… déterminées par ce que les acheteurs POURRAIENT payer d’ici des années… si tout se passe comme prévu.

* Selon Henry Paulson, le gouvernement US pourrait même s’en sortir avec des plus-values. Comment est-ce possible ? Eh bien, les bureaucrates pourraient se révéler plus rusés que les pros de Wall Street. Les prix fixés par les bureaucrates (avec de l’argent qui ne leur appartient pas) vaudront mieux que ceux fixés par les acheteurs et les vendeurs !

* Selon cette nouvelle théorie, les vendeurs ne savent pas quels joyaux ils sont en train de jeter. Vous avez peut-être entendu l’expression "donner de la confiture aux cochons" — eh bien selon la nouvelle théorie, les cochons de la finance jettent leur confiture ! Et ces petits malins de bureaucrates ne se privent pas de la ramasser.

* Et ensuite… tenez-vous bien… "le récent séisme à Wall Street pourrait être suivi d’une réplique de 900 milliards de dollars, la dette bancaire étant due l’an prochain".

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