** Lundi, nous avions accordé une chance aux indices boursiers de la Zone euro d’aligner une septième séance de hausse. Nous aimons bien le chiffre 7, il nous rappelle la nationale qui nous ouvrait le chemin de la Côte d’Azur et du Lavandou, du temps où Charles Trenet ignorait le mot péage et n’aurait jamais songé à le faire rimer avec paysage.
Parcourir les 1 100 kilomètres de la nationale 7 entre la porte d’Orléans et Saint-Jean-Cap-Ferrat devient une expérience onéreuse avec un baril qui frôle les 130 $ au moment où nous rédigeons ces lignes — il vaudra peut-être 133 $ au moment où vous les lirez. Les spécialistes du marketing commencent à plancher sur la nouvelle donne et mettent au point les futures campagnes de communication des années 2009-2010.
Parmi les argumentaires chocs, les futures accroches à succès, nous nous attendons à découvrir ce genre de slogan : « un 4×4 Chevrolet intérieur cuir offert pour tout plein de 100 litres de diesel qualité Ultimate » ou « une décapotable grand tourisme 8 cylindres pour un pack de trois pleins de sans plomb 95 utilisable sur la Riviera (des calanques à Monaco) entre le 4 juillet et le 15 août 2010 » — les stations services des côtes bretonnes ou de la Côte d’Opale ne délivrant plus que 10 litres de carburant par automobiliste muni de sa carte de rationnement en période estivale, à condition que le véhicule ne fasse pas plus de 1 200 centimètres cube de cylindrée.
Vous souriez presque… mais les marchés ont fait la grimace hier. La flambée du pétrole — qui avait été largement occultée depuis le début du mois de mai et jusqu’en toute fin de séance lundi dernier — semble s’être imposée au premier rang des préoccupations des investisseurs alors que le baril a pulvérisé la barre des 129 $ un peu après 16h00 sur le Nymex, à l’occasion d’un accès de fièvre de +2 $ (devenu presque quotidien) et qui a propulsé le WTI vers 129,45 $.
** Pourquoi les indices boursiers, qui ont grimpé de 10% en moyenne depuis le 1er avril, se sont-ils accommodés — sinon réjouis — de la spirale haussière qui a fait passer le pétrole de 99,5 $ à 127,5 $ en six semaines ?
Les investisseurs s’attendaient-ils à voir les super-riches de l’OPEP venir dépenser leurs dollars à Wall Street ou sur l’Eurotop 100 comme on va chez Sotheby’s se payer une toile à 100 millions de dollars, en se disant que ça impressionne les amis et qu’à moyen terme, c’est toujours un bon placement ? A condition de ne pas être le dernier acheteur !
Nous avons une pensée compatissante pour les opérateurs qui se sont dévoués lundi pour tirer le CAC 40 de 5 100 points vers 5 142 points en clôture — et n’oublions pas les 10 points supplémentaires gagnés au fixing, la cerise qui manquait sur le gâteau !
A ce moment précis, le CAC 40 venait de reprendre 16,5% par rapport à son plancher du 17 mars, inscrit dans des conditions quasiment identiques. La cassure du plancher des 4 500 points des 22 ou 23 janvier derniers avait déclenché la multiplication des stops à la vente ; rien ne semblait pouvoir empêcher l’indice phare de rejoindre 4 360 points, voire 4 250 points.
Fausse sortie à la baisse le 17 mars, fausse sortie à la hausse le 19 mai (deux mois plus tard), il se pourrait que la chute initiale de 0,8% des indices boursiers européens — dans le sillage du retournement de tendance survenu à Wall Street lundi soir — valide effectivement un tel scénario. Les derniers acheteurs se sont fait coincer les doigts dans la porte de la hausse, laquelle s’est refermée en claquant, prise dans le courant d’air généré par le retournement à 180 degrés des marchés américains à 90 minutes de la clôture.
** Le CAC 40 enfonçait d’entrée de jeu les 5 100 points mais la correction s’est ensuite amplifiée avec le recul de l’indice ZEW en Allemagne. Paris perdait alors 1% à l’heure du déjeuner. La correction a doublé en intensité au beau milieu de l’après-midi alors que l’or noir s’apprêtait à rejoindre les 130 $ à tout juste 24 heures de la publication de l’état des stocks de pétrole américains en données hebdomadaires.
Les cambistes ont du coup renoué avec leurs vieux réflexes de protection : le dollar n’a pas tardé à chuter de 1% à 1,5665/euro. Bizarrement, d’ailleurs, l’euro n’avait même pas été impacté négativement mardi matin par le recul inattendu de 0,7 points (à -41,4) de l’indice ZEW.
L’euro a ensuite retrouvé une nouvelle vigueur lors de la parution de l’indice des prix à la production en avril aux Etats-Unis. Ils ont progressé de 0,4% en avril en taux central (hors alimentation et énergie) dépassant les attentes moyennes des analystes (+0,2%). Il s’agit de la plus forte hausse mensuelle en 17 ans : elle pourrait traduire l’émergence d’une inflation de second tour.
Avec un baril prenant 8% (en moyenne) au mois d’avril et des denrées alimentaires (laitages et céréales) enregistrant des hausses stratosphériques, vous vous attendiez à un indice général du PPI flirtant avec les +0,7 ou +0,8% ? Que nenni ! Pas plus de 0,2%, on vous dit !
Mais c’était sans compter avec les ajustements saisonniers, les changements de base de référence — plus clairement, de vulgaires bidouillages des chiffres débouchant sur des statistiques tellement invraisemblables qu’elles feraient rougir un ministre de l’économie nord-coréen.
** Wall Street a assez peu goûté la plaisanterie. Les indices américains ont chuté de 1,5% en moyenne à la mi-séance. Le coup du prix de l’énergie qui stagne depuis fin mars, cela avait marché mercredi dernier, mais cette fois-ci, il devient difficile de faire semblant d’y croire avec un gallon de diesel à 4,50 $ dans la banlieue de New York (contre 4,10 $ début avril).
Le dérapage du Dow Jones (-1,8% en début de soirée) a incontestablement plombé le CAC 40 qui cédait au final 1,7%. L’indice phare a cependant sauvegardé in extremis le seuil des 5 050 points après avoir perdu plus de 100 points en fin d’après-midi et rebondi sur les 5 041 points.
Chez nos voisins, le DAX abandonnait 1,5%, Milan 1,56%, Madrid 1,8% et Londres se distinguait avec une perte sèche de 2,9% dans le sillage des valeurs minières. Voilà une contre-performance bien singulière car de nombreux commentateurs invoquaient une rafale d’achats de matériaux de base et de pétrole orchestrée par Pékin pour faire face aux immenses besoins de reconstruction suscités par le dramatique tremblement de terre du week-end précédent.
Comment expliquer la chute verticale des trusts miniers australo-britanniques ce mardi alors que, dans les circonstances actuelles, la Chine a certainement plus besoin de cuivre, de ciment et d’acier — et certes de médicaments — que de pétrole entre 125 $ et 130 $ ?
Philippe Béchade,
Paris