La Chronique Agora

Une reprise difficile à croire

▪ La journée du 12 mars nous a servi de leçon ! Le basculement de Wall Street dans le rouge après la publication d’un mauvais baromètre de la confiance des ménages américains (compilé par l’université du Michigan, une région sinistrée s’il en est) au mois de mars ne voulait une nouvelle fois rien dire. Les marchés US n’ont pas tardé — cela n’a pris qu’une petite heure — à reprendre leur trajectoire inexorablement ascendante.

L’indice Nasdaq 100 semble donc bien parti pour aligner une treizième séance de hausse… qui ne sera jamais que la vingt-et-unième sur une série de 24. Le S&P 500 profite de l’occasion pour battre (à la marge) son record annuel de la mi-janvier (1 150,5 points), le nouveau zénith 2010 ayant été inscrit à 1 153,40 points.

Pas de record en revanche pour la Bourse de Paris. Le CAC 40 a clôturé vendredi quasi inchangé (-0,04%), après avoir cependant inscrit vers 14h35 un plus haut depuis le 20 janvier à 3 956,4 points… Cependant, les volumes n’étaient toujours pas au rendez-vous, avec seulement 3,17 milliards d’euros échangés — la moyenne quotidienne étant largement inférieure à trois milliards d’euros.

Même si l’impression que le marché s’inscrit dans un biais haussier inoxydable depuis un mois domine, le CAC 40 n’a grappillé que 0,45% cette semaine. L’Euro-Stoxx 50 (+0,09%), pour sa part, échoue d’un cheveu sous le seuil psychologique des 2 900 points.

Rien à voir avec le rally du Nasdaq 100, qui gagne 1,7%, ou du S&P 500 (+1%), ces cinq derniers jours. Cela porte leur performance annuelle à +3,5% et +3% respectivement, contre -0,25% pour Paris.

▪ Les hausses qui s’enchaînent outre-Atlantique finissent par anesthésier le sens critique des opérateurs, une routine s’installe. Quels que soient les événements, il existe toujours une version positive du dernier indicateur micro- ou macro-économique… Et si ce n’est vraiment pas bon (même après avoir tordu la question dans tous les sens), c’est que le prochain chiffre sera meilleur. L’espoir fait vivre… et progresser les cours.

Tenez, pas plus tard que vendredi, il s’est produit un recul inattendu de la confiance des ménages — l’indice du Michigan chutant de un point, à 72,5 contre 73,6 mi-février. Il a pourtant été compensé par la hausse de 0,3% des ventes de détail aux Etats-Unis au mois de février (+0,8% hors automobile).

Et pendant que la marée boursière monte, la volatilité s’enfonce sous les flots au fil des jours. L’indice VIX du stress rechute sous les 18 alors qu’il évoluait au contact des 30 début février. C’est du pain béni pour les vendeurs de valeur temps car tous les acheteurs de produits dérivés à échéance courte de type warrant ou options perdent de l’argent (la journée des « Quatre sorcières », c’est vendredi prochain).

Ils perdent aussi bien s’ils ont joué le rebond dès la mi-février que s’ils ont misé sur la poursuite de la consolidation amorcée mi-janvier. Ne s’en sortent gagnants que ceux qui travaillent les contrats sur indices (futures) ou les CFD… à condition de suivre aveuglément la tendance.

Et pour ceux qui recherchent une inspiration, il est difficile d’identifier une thématique d’investissement ou une rotation sectorielle — même si certaines valeurs bancaires ont bénéficié de rumeurs d’OA ou d’OPE aux Etats-Unis. Les cours montent mais le mouvement perpétuel à la hausse actuel n’est soutenu par aucun afflux de liquidités.

▪ Du côté des devises, la journée de vendredi a été beaucoup plus animée que sur les actions. La probabilité d’un plan de soutien à la Grèce a fait grimper l’euro vers 1,3750 $. Cependant, le repli symétrique de 0,6% du dollar ne parvenait pas à doper durablement le pétrole ; l’or noir a chuté de 1,5%, à 80,8 $, après avoir retracé en milieu d’après-midi son zénith annuel des 83 $.

L’OPEP l’affirmait jeudi : la reprise mondiale est poussive, la demande de pétrole ne devrait augmenter que de 1% ou 1,5% en 2010 — soit quelques dizaines de milliers de barils supplémentaires par jour. Nous sommes très loin des quantités induites par les projections de croissance du FMI, de la Fed et surtout celles retenues par les marchés.

Entre le réel et le virtuel, les marchés ont fait leur choix : avec 85% de hausse en 52 semaines, le Nasdaq 100 démontre que les investisseurs misent à 115% sur le virtuel.

Et nous sommes priés de ne pas vous alarmer avec la chute de 50% des crédits distribués par les banques chinoises ces deux derniers mois. Le moteur de la croissance ne va tout de même pas caler pour si peu, et la bulle immobilière n’a aucune raison d’exploser maintenant.

▪ Dans le monde réel, l’association française des sociétés financières françaises (ASF) nous apprend qu’en 2009, le montant total des crédits à la consommation s’est effondré de 13,3%, à 38 milliards d’euros. « Cette chute est d’une ampleur sans précédent en 45 ans de suivi statistique », affirme l’ASF, qui ajoute que « le niveau des prêts apparaît proche de celui de 2004 : cinq années de croissance viennent donc d’être effacées ».

Les crédits renouvelables enregistrent un lourd recul de 11,2%, à 15,4 milliards d’euros. L’effondrement le plus spectaculaire se situe cependant au niveau des prêts personnels : -22,7% à 8,9 milliards d’euros ; par ailleurs, les financements destinés à l’équipement du foyer reculent de 14,1%.

De tels chiffres nous rendent perplexe lorsque le gouvernement nous parle d’une France sortie de la récession bien avant l’Allemagne ou l’Angleterre. D’où provient la hausse de la consommation que l’on nous vante, sinon de la carotte fiscale constituée en 2009 par la prime à la casse ?

Mais admettons que la « reprise » atteigne bel et bien 0,6% au quatrième trimestre 2009. Comment interpréter alors la contraction de 1,3% de la masse salariale du secteur privé en 2009 ? C’est du jamais vu depuis 1949, a annoncé jeudi l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss).

Les cotisations salariales constituent la principale source de recettes pour la Sécurité sociale… or pas moins de 620 000 emplois ont été détruits l’an passé, sur fond de hausse du chômage partiel (144 000 salariés fin 2009) et de diminution des heures supplémentaires.

Mais souriez, braves investisseurs et contribuables, car nous sortons notre joker ! Tout ce qui précède est certes désolant mais c’est « moins pire que prévu » (formule magique). Les prévisions de l’Acoss en octobre dernier étaient en effet beaucoup plus pessimistes puisque ses experts tablaient sur une baisse de 2,1% voire 2,5% de la masse salariale en 2009.

En revanche, pour ceux qui ont encore du travail, les revenus ne progressent que de 1,2% — c’est-à-dire deux fois moins vite qu’en 2008, qui n’était pas précisément une année faste !

En ce qui concerne les exportations, nous ne vous apprenons rien. La France affichait un déficit de 43 milliards d’euros en 2009 après un record de 55 milliards en 2008. Cela fait tout de même pas loin de 100 milliards d’euros en deux ans — tandis que le déficit budgétaire est passé de son côté de 37 milliards fin 2007 à 150 milliards d’euros fin 2009.

Nous avons du mal à nous convaincre que de tels chiffres caractérisent un pays bien engagé sur le chemin de la croissance… Il y a toutefois bien pire ailleurs, notamment en Angleterre qui n’exporte plus rien, et en Espagne, où la masse salariale a chuté de 6,5% en 2009.

Mais tout cela c’est de l’économie réelle. C’est bien la dernière chose dont les traders se préoccupent : ils sont bien plus intéressés de savoir si la tradition du « rally du lundi » sera respectée aujourd’hui, ce qui permettrait au Nasdaq 100 d’aligner une quatorzième hausse d’affilée.

Il faut avoir les idées claires et ne pas se tromper de priorités lorsque l’on veut gagner de l’argent sur les marchés, que diable !

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