La Chronique Agora

Une reprise aussi vigoureuse qu’un concombre de mer !

▪ Les marchés sont-ils définitivement abandonnés entre les mains des day traders ? Il y a quelques années, cette question aurait provoqué des haussements d’épaules : « on ne gère pas l’argent des futurs retraités par le biais de robots paramétrés pour surfer sur des tendances de quelques heures » !

Aujourd’hui, si vous avouez que vous passez des ordres « soignants » à une équipe de traders après avoir mûrement réfléchi aux perspectives moyens terme de votre liste de valeurs favorites, vous passez au mieux pour un dinosaure, au pire pour un idiot.

L’argent se gagne au fil de l’eau, en accumulant des milliers de petits gains, sans jamais s’exposer plus de quelques minutes si la tendance sous-jacente perd de sa vélocité.

Les ordinateurs gèrent des milliers d’ordres à la minute dans les moments chauds. Les ouvertures de positions s’effectuent en fonction de paramètres techniques sophistiqués ; elles sont clôturées automatiquement dès qu’un risque de moins-value passagère se matérialise.

Ce sont comme autant de lignes lancées au milieu d’un torrent des liquidités. Si ça ne mord pas, les ordinateurs les relèvent rapidement — ce qui évite que le courant ne les emporte vers des racines et autres pièges invisibles pour le pêcheur situé sur la rive.

▪ Pardonnez-nous une parabole aussi téléphonée en cette veille de 1er avril… mais cela fait plus de trois jours que ça ne mord plus, malgré le paquet d’appâts lancés par Ben Bernanke jeudi dernier (et son irrésistible « taux bas pour très longtemps »).

Peut-être le banc de poissons est-il épuisé, peut-être a-t-il migré en amont ou en aval. En tout cas, une chose est sûre : cette partie de pêche est devenue « périssante d’ennui », comme disent les amateurs qui adorent mouiller le fil dans les rivières à saumon du Québec et de la Gaspésie.

Aujourd’hui, ils n’auraient sorti de l’eau qu’une ablette… A peine de quoi constituer un vif suffisamment appétissant pour les poissons carnivores.

Ensuite, plus une touche pendant des heures… Sans parler des lignes qui avaient une fâcheuse tendance à s’entortiller entre elles avec un petit vent soufflant depuis la Côte est des Etats-Unis et devenu tourbillonnant. Wall Street n’a cessé de passer du vert au rouge, et inversement, tout au long de la matinée.

▪ A Paris, après trois séances, la nasse du pêcheur ne contient toujours que du menu fretin : -0,29% vendredi, +0,29% lundi (ça ne s’invente pas) puis -0,33% mardi. La jolie prise de +1,3% de jeudi dernier ne s’était guère débattue : on aurait dit du poisson d’élevage venant tout juste d’être rejeté en eaux vives.

C’est aussi passionnant à ferrer qu’une méduse ou un concombre de mer… Toutefois, la notion de plaisir importe peu aux ordinateurs qui actionnent automatiquement les gaules et déploient mécaniquement les épuisettes.

Beaucoup d’opérateurs rêvaient depuis lundi d’accrocher à Paris le zénith annuel de clôture des 4 045 points. La tentative a encore échoué ce mardi alors que l’euro donnait rapidement des signes de faiblesse, dès le milieu de matinée.

Ce phénomène s’est confirmé en fin de journée avec une incursion de la monnaie unique sous les 1,34 $  — l’euro s’échangeait hier soir autour de 1,3410 $. La clôture s’est effectuée à proximité des 3 990 points, un niveau de cours qui correspond à la moyenne algébrique des échanges observés depuis jeudi dernier.

Le compartiment automobile, qui avait flambé jeudi dernier, achevait d’effacer la quasi-totalité de ses récents gains. Avec un repli de 3% en moyenne, les constructeurs et les équipementiers ont clairement pesé sur la tendance. Les valeurs les plus défensives, telles que Vinci, EDF, Danone ou Pernod Ricard, affichaient les meilleures performances du jour, sans qu’elles dépassent jamais les +1,35%.

Un euro plus faible semblait pourtant constituer un avantage… mais une autre réalité beaucoup moins souriante s’impose : la reprise n’est pas au rendez-vous et les immatriculations risquent de chuter durablement en 2010.

▪ Alors que le premier trimestre s’achève ce soir, un petit tour d’horizon des prévisions économiques n’est peut-être pas inutile. Il permettra de bien garder à l’esprit l’ampleur du fossé — du canyon, et nous exagérons à peine — qui sépare la réalité issue du terrain et les folles anticipations des marchés.

Laissons d’abord s’exprimer les experts du Fonds monétaire international. Selon eux, l’Italie connaît « une reprise modeste et fragile » qui ne lui permettra pas de réduire le fardeau de la dette. Il devient urgent d’engager des réformes structurelles : elles seront nécessairement douloureuses pour les Italiens, en particulier les retraités. Le FMI tempère également son optimiste au sujet de l’Allemagne ; il abaisse nettement sa prévision de croissance à 1,2% en 2010, au lieu des 1,5% estimés début février.

Chez nos voisins du sud des Pyrénées, la Banque d’Espagne se démarque franchement du  gouvernement de M. Zapatero avec l’anticipation d’un repli de 0,4% du PIB pour 2010 — alors que Madrid espère atteindre l’équilibre d’ici la fin de l’année. La Banque centrale du Portugal a également réduit drastiquement ses prévisions de croissance pour 2010, de 0,7% à 0,4%… tandis que le déficit budgétaire pourrait passer la barre des 10%.

En France, le PIB a reculé de 2,2% en 2009, soit la plus forte baisse depuis l’après-guerre. Les dépenses de consommation des ménages se sont maintenues : +0,8% après +0,9% en 2008, grâces en soit rendues à la « prime à la casse ». Cependant, l’investissement a lourdement chuté : -7% après +0,4% l’année précédente… où tout s’était arrêté net à la fin de l’été, il y a déjà plus de 18 mois.

▪ Une reprise sans investissement, voilà bien un phénomène singulier mais qui ne dissuade pas le gouvernement de tabler sur 2,5% de croissance en 2011. François Baroin, nouvellement installé au ministère du Budget dans le fauteuil d’Eric Woerth, rappelle que le projet du gouvernement « vise justement à favoriser la reprise ». Mais il enchaîne sur ce terrible aveu : « si la croissance faisait défaut, la France ne serait pas seule dans ce cas de figure ».

Les économistes britanniques n’auront aucun mal à être d’accord. Même si le PIB du quatrième trimestre vient d’être révisé à la hausse en Grande-Bretagne, à +0,4% contre +0,3%, l’année 2009 s’est soldée par une récession de -2,1%. La rechute de l’activité industrielle et de la consommation en janvier et février outre-Manche laisse craindre un score légèrement négatif à l’issue du premier trimestre 2010 : le scénario du « W » s’insinue progressivement dans les esprits.

▪ Pas aux Etats-Unis, cependant. Wall Street feint de croire à l’existence d’une reprise durable, alors que les chiffres du PIB US sont aussi frelatés qu’un stock de lieu jaune découpé façon dos de cabillaud et rebaptisé colin d’Alaska. Pour connaître l’état réel de l’économie, il faut rassembler une foule de composants hétérogènes et vérifier qu’aucune anguille — un « correctif saisonnier », par exemple — ne s’est glissée dans le panier de statistiques.

La confiance des consommateurs américains a progressé plus fortement que prévu en mars, bondissant de 4,1 points à 52,5. Mais cette embellie ne compense pas, loin s’en faut, la chute de février : de 56,5 en janvier vers 48,4.

L’enquête Case/Shiller sur le prix des logements neufs n’a pas non plus rassuré les investisseurs. On a annoncé un recul global de 0,4% (et 0,7% dans les 20 plus grandes métropoles américaines). Pour ceux qui invoqueraient une météo défavorable, le directeur de l’institut Case/Shiller balaye cet argument : il estimait mardi dans une interview sur CNBC que l’embellie de l’automne est en train de tourner court.

Peut-être a-t-il déjà intégré dans son analyse l’arrêt des rachats de créances immobilières des banques par la Fed… Cette dernière constituait la colonne vertébrale du programme d’assouplissement quantitatif : une fois ce dernier retranché, le rebond économique américain risque de devenir aussi vigoureux qu’un concombre de mer !

En ce qui concerne les perspectives du secteur de la construction de logements neufs aux Etats-Unis à moyen ou long terme, le diagnostic de Bill Bonner dans sa chronique de lundi était suffisamment « édifiant » (comment résister à jeu de mot aussi facile ? Poisson d’avril !).

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