▪ Jamais la Bourse n’a autant ressemblé à un casino et si peu à un marché respectant certaines limites techniques reconnues (surachat ou survente) et statistiques. La Bourse de Paris outrepasse depuis 72 heures les écarts maximums historiques sur une période de cinq séances, et met en échec les outils d’investigation mathématiques visant à identifier des règles comportementales sur des séries de 10 000 séances ou plus.
Il faut dire que l’actualité du jour se résumait surtout ce mercredi à l’annonce d’une « action coordonnée » des banques centrales. A y regarder de plus près, c’est surtout la Fed qui avance des dollars à la BCE — ainsi qu’aux autres banques centrales qui interagissent avec les principales institutions financières américaines, elles aussi à court de dollars.
Si nous mettons de côté l’euphorie qui pourrait laisser penser que tous les problèmes du moment vont être résolus par la seule injection de nouvelles liquidités, il convient de réfléchir à la motivation primordiale de la Fed. Elle a d’abord consisté à éviter un naufrage immédiat du système bancaire. Comme cela avait failli se produire au lendemain de la liquidation de Lehman !
Dès que la nouvelle d’une réinjection de dollars dans le système financier a été rendue publique à 14h (ce qui prouve que les banques centrales avaient bel et bien diagnostiqué un désastre bancaire imminent), tous les robots ont annulé les ordres de vente.
▪ Le CAC 40 a pris plus de 60 points sans aucune transaction — si ce n’est l’exécution sporadique de quelques ordres de vente à cours limité placés dans les carnets pour la journée (ce mercredi coïncidait avec la fin du mois calendaire).
Nous avons assisté à un « krach à la hausse ». C’est tellement vrai que les échanges informatisés (les ordres manuels étant totalement inexistants) n’ont véritablement repris — après plusieurs gaps successifs entre 3 105 et 3 130 — que vers 14h05.
Les transactions sont demeurées nerveuses entre 3 125 et 3 150 jusque vers 14h15 — encore quelques gaps vers le haut. Il a fallu attendre 14h20 pour qu’un plancher se dessine enfin vers 3 130 tandis qu’une résistance se dessinait vers 3 160 points, au niveau de la moyenne mobile à 20 semaines.
Ce scénario a mis en échec toutes les stratégies de protection des positions de couverture ; impossible de faire exécuter le moindre rachat stop durant trois minutes. Il s’agit d’un des plus gros gaps intraday de l’histoire… si ce n’est le plus gros.
Pour les acheteurs du début de séance (plancher inscrit vers 2 990 points), la performance s’établit à +170 points (5,5%) en quelques heures. Après l’envolée de 5,5% survenue lundi, le scénario des dernières 72 heures s’apparente à un petit miracle qui n’a pas une chance d’occurrence sur mille (c’est beaucoup moins en réalité).
Un gain de 10,4% hebdomadaire ne se présente qu’une fois par décennie — c’est-à-dire toutes les 2 500 séances. Il reste encore 24 heures pour prendre en défaut (ou pas) les statistiques.
En-deçà de 1% de probabilité — s’agissant d’une séquence hebdomadaire dans le cas présent — un scénario peut être considéré comme accidentel.
Au-delà de un pour mille, c’est soit un « cygne noir »… soit la preuve d’une inefficience totale du marché qui met en échec la quasi-totalité des opérateurs utilisant des algorithmes standard (et toutes les méthodes de gestion classique).
La prise en compte de l’activité ne permet pas de trancher en faveur ou non de la pérennité de ce rally haussier. Après la hausse démesurée de lundi, au vu des volumes d’échanges les plus faibles de l’histoire du CAC 40 à variation comparable, la séance de mercredi a vu les échanges s’étoffer un peu.
Cependant, un chiffre d’affaires de cinq milliards d’euros pour une hausse de 4,2%, cela représente un ratio variation/volumes encore extrêmement faible.
▪ A Wall Street, les gains moyens avoisinaient 3,5% mercredi soir. Les indices américains reprenaient ainsi l’intégralité du terrain perdu au mois de novembre. Il n’aura donc fallu que quatre séances pour effacer la correction survenue au tout long des quatre semaines précédentes.
A Paris, les pertes se sont réduites de 12% jeudi dernier à 2,7% : on s’est fait peur pour rien !
Mais un petit détail nous intrigue… Comment se fait-il que les indices boursiers de l’Eurozone reprennent 10% en quatre jours alors que l’euro n’affiche que +2% (1,343 $) au cours du même intervalle ? L’initiative des banques centrales des pays développés semble pourtant avoir pratiquement résolu tous les problèmes aux yeux des détenteurs d’actions…
Nous observons comme une étrange similitude de scénario avec l’annonce de l’adoption du FESF renforcé ou des accords de Bruxelles. Rappelez-vous que cela avait fait bondir les indices boursiers mais avaient laissé les cambistes pratiquement de marbre.
Ce mercredi, les principales places continentales ont bondi de 5%, l’euro « s’envole » de 0,8% !
Le comportement plus que réservé et prudent des spécialistes des taux et des devises prouve qu’aucun des problèmes de solvabilité et de défaut de croissance ne sont résolus sur le fond. Mais ce n’est pas grave, faisons une fête boursière à tout casser, ce qui est pris n’est plus à prendre !
On se souviendra pendant longtemps de cette fin de novembre au champagne avec 100% de titres en hausse sur le Nasdaq 100… 99,8% de hausse sur les valeurs du S&P 500 avec +6% pour les valeurs liées aux matières premières, +5,5% pour celles liées à l’automobile et +5% sur les bancaires.
La liste des titres gagnant plus de 7% dépasse la centaine, c’est un record depuis certaines séances de rebond d’anthologie en octobre en novembre 2008 !
Bien entendu, certains titres s’envolent de 20% (et plus) depuis le début de la semaine. Il ne leur faut que trois jours pour reprendre autant que ce qu’il leur fallait en trois mois il y a 10 ans.
Encore un effort et il ne leur faudra plus que trois heures — comme certaines valeurs bancaires autour du 23 septembre ou du 5 octobre dernier.
N’importe quelle action peut valoir à peu près n’importe quoi à 48 heures d’intervalle. Il suffit d’avoir les bonnes avec le bon effet de levier pour faire fortune en une semaine… ou de les avoir achetées au mauvais moment (avant une note d’analyste négative par exemple) pour se faire rincer.
▪ Ce n’est plus de la Bourse, c’est du casino. Mais bien entendu, la roulette est truquée comme le démontre l’existence de ces abonnements spéciaux qui permettent à quelques privilégiés de connaître les intentions des agences de notation avant l’opérateur lambda. N’oublions pas non plus la manipulation intensive des carnets d’ordres et les rumeurs répandues par des officines spécialisées pour faire grimper à volonté telle ou telle star du Nasdaq ou faire s’effondrer telle ou telle banque européenne (au moment que certains jugent opportun) !
Tout fonctionne tellement de travers et à contretemps depuis le début de la crise grecque que personne ne s’étonne plus de voir Ben Bernanke déguisé en Père Noël déposer des milliards dans les chaussons des banquiers de la planète entière trois semaines avant le soir du réveillon.
Mais pourquoi diable ne l’a-t-il pas fait au cours des 10 jours qui ont précédé Thanksgiving, afin d’enrayer une série noire de sept séances de repli consécutif et doper au moment le plus opportun le moral des consommateurs ?
Sachant qu’il entretenait des discussions intensives avec la BCE depuis des semaines, cela revient à dire qu’une brusque dégradation de la situation s’est produite au cours des dernières 48 heures ou 96 heures (en incluant la journée de vendredi). Elle est probablement liée à la tension des taux en Europe à l’occasion des toutes dernières émissions des bons du Trésor en Allemagne mercredi dernier et notamment en Italie mardi matin.
Quelque chose a certainement failli mal tourner d’ici le sommet européen du 9 décembre mais la magie de Noël débarque bien avant la Saint-Nicolas sous forme de milliers de liasses virtuelles de billets de 100 $, disponibles à tout moment et en quantité illimitée aux guichets de la BCE (à un taux de 0,5%) jusqu’en janvier 2013.
Heureusement que les marchés s’en sont réjouis bruyamment car l’économie réelle aurait eu peu de chance de célébrer cet événement. Tout cet argent ne lui est pas destiné… il évite simplement la réédition du scénario de glaciation du marché interbancaire et de credit crunch post-Lehman.