La Chronique Agora

Une livre de chair pour UBS

** Le crédit continue de se resserrer. Une autre grande banque a dû payer pour ses péchés de subprime avec plusieurs livres de chair financière. "UBS a annoncé une réduction de 11,3 milliards de dollars et une injection d’urgence de fonds provenant de Singapour et du Moyen-Orient, ce qui en fait la plus grave crise du subprime en date pour les principales banques européennes", rapporte Reuters.

– "Le plus important gestionnaire financier du monde a prévenu ses actionnaires qu’il risquait une perte globale sur l’année, et que les dividendes seraient supprimés", ajoute Christine Seib dans le Times of London.

– Le plus important gestionnaire du monde ? Le plus important gestionnaire du monde subit une perte de 11,3 milliards de dollars ? Avec ce type de gestion, ne pensez vous pas qu’il ne restera plus très longtemps "plus important gestionnaire du monde" ?

– En plus de cette lourde perte, l’entreprise a regonflé son capital en vendant des valeurs à un autre fonds monétaire souverain. La Corporation d’investissement du gouvernement de Singapour a ouvert son porte-monnaie aux banquiers suisses. En échange de cette injection de capital pour renflouer le bilan de la banque, elle a pris une part de 9% dans l’entreprise.

– Dans cette affaire, il y a également eu un autre partenaire, plus petit, et resté secret. Les rapports de l’agence de presse annonçaient initialement que le fond de réserve général de l’Etat d’Oman pourrait avoir pris une part de 1,5% d’UBS en échange de liquidités. Oman a démenti la rumeur.

– Le fond monétaire souverain d’Oman n’est constitué que de six milliards de dollars, ce qui est relativement peu comparé à d’autres géants qui parcourent en ce moment le monde à la recherche de capitaux en perdition et de capitaux tangibles. Une part d’UBS serait un gros investissement pour un si petit fonds. Mais comme l’a si bien fait remarquer Omar Fell d’ABN Amro, "c’est une tendance qui se développe. Les investisseurs souverains d’Asie et du Moyen-Orient possèdent énormément de liquidités et ont une perspective à beaucoup plus long terme que l’investisseur lambda".

** Quand vous avez à la fois de l’argent et du temps, vous pouvez vous permettre d’être patient. C’est ce qui rend les dettes si catastrophiques. Elles accélèrent le temps, vous font prendre des décisions hâtives que vous ne prendriez pas si vous aviez de l’argent. Mais soyons clair sur la situation. Les principales banques mondiales ont dilapidé le capital dans des prêts non-productifs et non-performants. Pour être vraiment limpides, elles ont vendu des parties d’elles même à des fonds qui ont déjà de l’argent.

– Le résultat final, c’est que les actifs mondiaux produisant de la richesse sont transférés des débiteurs aux créditeurs. C’est la conséquence d’un excès de dettes. Cela génère un transfert de propriété des éléments producteurs de richesse. Les débiteurs n’accumulent pas de revenu passif des capitaux qu’ils possèdent. Ils paient les intérêts et le reste aux propriétaires.

– C’est un sacré renversement, n’est-ce pas ? Mais nous avions tort, maintenant qu’on y pense, de comparer les fonds monétaires souverains à Shylock. Dans Le Marchand de Venise, Shylock tient Antonio par une promesse contractuelle. Shylock veut faire payer à Antonio des intérêts s’élevant à 3 000 ducats. Mais si Antonio ne peut pas payer, Shylock peut lui réclamer une livre de chair.

– Au final Shylock, trompé par une ruse, n’obtient pas sa livre de chair. A l’époque comme aujourd’hui, un contrat n’avait guère de valeur s’il était peu pratique de s’y tenir. On dit à Shylock qu’il peut avoir de la chair, mais pas de sang. Si jamais il fait couler le sang en prenant la chair, il sera accusé de meurtre. En plus de s’être fait arnaqué, il doit aussi se convertir au christianisme. Rien ne se passe comme il l’avait prévu.

– Cela nous rappelle la phrase de Benjamin Franklin : "ne soyez jamais ni emprunteur ni prêteur".

– Mais revenons au marché. Les rapports du journal du matin concernant UBS semblaient plutôt optimistes, comme si vendre des valeurs pour se sortir d’un mauvais investissement était une bonne affaire. Le marché aimerait penser que de telles manœuvres relèguent le crime des subprime au passé. Nous n’en sommes pas si sûr.

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